Saga Bezard-Lemaignen 1/4
Histoire des Familles
Aubert et Lemaignen
INTRODUCTION
L'abondance des anciens titres de propriété, contrats de mariage, inventaires, partages, relevés de comptes, carnets de notes, lettres, et d'innombrables autres documents de toute nature, remontant pour certains au XVIe siècle, qui existaient dans les greniers et armoires de la propriété de PERIGNY, m'ont incité, dès mon mariage, à essayer de retrouver l'histoire et la généalogie de la famille LEMAIGNEN et de celle de la famille MESCHIN.
Ces documents se présentaient dans le plus grand désordre, les uns dans des cartons, d'autres dans des armoires, et beaucoup en vrac, dans des sacs de toile ou des morceaux de draps noués aux quatre coins.
Leur dépouillement et leur classement m'ont occupé pendant de nombreuses soirées, durant plusieurs années.
Après avoir classé tous les documents concernant telle ou telle branche de la famille, j'en retrouvais de nouveaux mélangés à ceux d'une autre branche.
Bien mieux, une vingtaine d'années après le début de mon travail de recherche et de classement, je trouvais fortuitement dans un coin de grenier, un carton avec la mention "Sans intérêt". Or, il contenait plus de deux cents anciens titres et pièces de procédure concernant la fermette des Saulettes, commune de Danzé, qui appartenait à la famille BRETON et qui fut vendue vers 1830 par Léon LEMAIGNEN.
L'analyse de ces anciens titres m'a permis de découvrir et de reconstituer d'une façon très précise, non seulement la généalogie, mais la passionnante histoire de cette famille BRETON, depuis le début du XVIIe siècle, dont une descendante épousa François LEMAIGNEN-VILLORCEAU, et qui était totalement inconnue de Fernand LEMAIGNEN.
Pour écrire l'histoire des familles LEMAIGNEN et MESCHIN, j'ai eu la chance de pouvoir bénéficier des souvenirs de Fernand LEMAIGNEN et surtout de ceux de ma belle mère, que j'ai abondamment mise à contribution, notamment en ce qui concerne la famille MESCHIN.
En outre, l'étude généalogique établie par Monsieur Louis LEMAIGNEN m'a été d'un grand secours pour préciser mes propres recherches qui ne concernent que la branche des LEMAIGNEN de PERIGNY, et ne remontent pas au-delà du XVIIIe siècle.
Je n'ai pas eu la même chance en ce qui concerne les familles de mes ancêtres paternels et maternels, AUBERT et MORIN, mes parents ayant détruit à peu près tous les rares documents qu'ils pouvaient posséder.
Le long travail de dépouillement et de lecture, pas toujours facile, de ces titres de propriété, pièces de procédure, mémoire et autres pièces, m'a permis de retracer l'histoire des ancêtres de mes enfants.
Je souhaite qu'ils puissent la parcourir et prendre ainsi connaissance de la vie et des activités de leurs nombreux anciens grands-parents et aussi, dans la mesure du possible, du caractère, des sentiments et du cadre de vie de ceux dont ils sont issus.
Ils y découvriront sans doute, comme je l'ai fait moi-même, le sentiment qu'ils se rattachent à une longue ascendance familiale qui ne peut pas ne pas les avoir marqués.
J'ai d'ailleurs établi au début de cet ouvrage, un tableau généalogique d'ensemble, mais ne comportant, à chaque génération, que le père et la mère, à l'exclusion des collatéraux ; ils y trouveront les noms des 195 ascendants que j'ai pu relever, dont ils ont hérité directement des gènes physiques ou spirituels. Ils pourraient réciter la litanie de leurs prénoms pour se rattacher à leur mémoire.
S'ils en ont le loisir et la curiosité, ils pourront se reporter aux documents que j'ai analysés, pour rédiger cette histoire de leur famille. Leur classement correspond à chacun des chapitres. Ils y trouveront des pièces intéressantes ou curieuses, tels que de très beaux anciens parchemins, des partages, des inventaires très détaillés, comme on savait en faire autrefois, énumérant notamment le mobilier qui garnissait les habitations de ces ancêtres, des contrats de mariage signés en présence de toute la parenté, des mémoires, notes et comptes, des lettres dont certaines du XVIIIe siècle, et de nombreux autres documents dont la lecture est passionnante.
J'ai classé le fruit de mes recherches en plusieurs grands chapitres correspondant à chaque famille et à chaque branche de ces familles.
J'en donne ci-après le schéma qui permettra d'avoir une vue d'ensemble des familles qui font l'objet de cet ouvrage et qui en constitue le plan. L'étude de chaque famille est précédée du tableau généalogique le concernant.
Jacques AUBERT
PLAN DE L'OUVRAGE
I - FAMILLES MORIN et AUBERT
a) Famille MORIN - TAVERNIER, ascendants maternels de Jacques AUBERT
(page 6 à 13).
b) Famille AUBERT, ascendants paternels de Jacques AUBERT
(page 14 à 30).
II - FAMILLES AUCHER et PORCHER
dont une descendante, Emilie Marguerite PORCHER a épousé le 03 Février 1812, Pierre Samuel BEZARD. De ce mariage est issue Emilie Marie Brigitte BEZARD qui a épousé le 29 Juillet 1833, Léon LEMAIGNEN
(page 31à 54).
III - FAMILLE BEZARD et Léon LEMAIGNEN
(page 55 à 104).
IV - FAMILLES DEMEZIL - TIRONNEAU - VERITE et COUSIN
dont une des descendantes, Louise DEMEZIL a épousé le 23 Septembre 1862 Ernest LEMAIGNEN, fils de Léon LEMAIGNEN
(page 105 à 116).
V - FAMILLES LANCELOT - BRILLARD - DENYAU - FOUQUET - PITARD -
MELOT - PEZIERE - DERAS - VALERY - BRETON et FERRON
dont une descendante, Madeleine Eugénie FERRON a épousé le 06 Février 1807 François LEMAIGNEN-VILLORCEAU, père de Léon LEMAIGNEN
(page 117 à 217).
VI - FAMILLE LEMAIGNEN
(Pierre LEMAIGNEN et ses descendants, François LEMAIGNEN-VILLORCEAU, Léon LEMAIGNEN, Ernest LEMAIGNEN, Fernand LEMAIGNEN).
(Madame LEMAIGNEN née MESCHIN et Mademoiselle Marie-Thérèse LEMAIGNEN)
(page 218 à 281).
VII - FAMILLES CHIVERT - MESCHIN et MEUNIER
(page 282 à 327)
Histoire des Familles
Morin et Aubert
Famille
Morin-Tavernier
FAMILLE MORIN
La famille MORIN était originaire de Chabris dans l'Indre. C'était une famille de petits cultivateurs et de vignerons qui, au début du XIXe siècle, s'établit à Vineuil, près de Blois, dont est issu Henri MORIN, père de Madame Rachel Marie Georgette MORIN qui épousa Edmond Eugène Camille AUBERT.
I - Claude MORIN et Solange FOURNEAU
Le premier document que nous possédons sur cette famille est le contrat de mariage reçu par Maître JOSIAS, notaire à Villefranche sur Cher (Loir et Cher) le 12 Novembre 1835, de Claude MORIN, vigneron, demeurant à Varennes (Indres) près de Chabris, alors âgé de 29 ans, fils du défunt François MORIN et de Marguerite ROBIN, vigneronne, demeurant à Varennes, avec Solange FOURNEAU, domestique chez Monsieur AUGER, demeurant à Romorantin, alors âgée de 21 ans, fille de Pierre FOURNEAU, vigneron, et de défunte Solange LAMBERT, demeurant à la Chapelle-Montmartin (Loir et Cher).
Claude MORIN apporte ses droits mobiliers non liquidés dans la succession de son père, une créance de 105 Frs sur sa mère et un coffre.
Solange FOURNEAU apporte ses droits dans la succession de sa mère, résultant de l'inventaire établi en 1821, et un coffre.
Les futurs époux n'avaient donc aucune fortune, ce qui est confirmé par l'article 9 du contrat de mariage ainsi rédigé :
"Aussitôt après la célébration du mariage, les futurs époux demeureront chez la veuve MORIN à laquelle ils louent les prix de leurs travaux et soins, et ils s'obligent de lui obéir et de la servir fidèlement et d'avoir pour elle les soins et égards que les enfants doivent à une mère."
"De son côté, la veuve MORIN, pour les récompenser, s'oblige de loger, nourrir, chauffer, éclairer et blanchir les futurs époux, de leur fournir le linge et vêtements selon leur faculté et état, de les leur raccommoder, de payer le médecin qui les traitera en cas de maladie, le tout tant envers eux qu'envers les enfants qui pourront naître dudit futur mariage, pendant la durée du présent bail."
"Et en outre, de leur donner chaque année dudit bail 15 ares 19 centiares de gros grains et autant de menu. Le tout sera choisi par le futur époux sur les héritages de ladite veuve MORIN à l'époque de la moisson".
"Il est expliqué que si la veuve MORIN fume les terres, que ledit futur époux choisira, ce dernier sera tenu de laisser chez sa dite mère, les pailles et chaumes de la récolte qu'il aura. En cas contraire, il en fera comme du grain qui lui est ci-dessus donné".
"La durée du présent bail est fixée à un an".
Ce contrat de mariage est signé en présence de :
- Etienne MORIN, frère du futur époux, et de sa mère.
- Louis SOIDE, son oncle.
- du père de la future épouse, demeurant au Grand Village, Commune de la Chapelle- Montmartin.
- Anne FOURNEAU, sa soeur.
- Pierre FOURNEAU, son frère.
- Anna FOURNEAU, sa tante.
- et Jacques ROUPILLARD, son cousin.
Seul le futur époux a signé, aucun des autres ne sachant le faire.
De ce mariage naissent deux enfants :
1°) à Chabris en 1836, Claude Désiré MORIN.
2°) également à Chabris, le 03 Mai 1845, Henri MORIN.
Le 26 Février 1837, il est procédé devant Me JOSIAS, notaire à Villefranche sur Cher, au partage des immeubles dépendant de la succession de Solange LAMBERT, décédée vers 1820/1821, épouse de Pierre FOURNEAU, entre ses enfants, savoir :
- Solange FOURNEAU, épouse de Claude MORIN, cultivateur, qui demeurait toujours à Varennes chez Madame Veuve MORIN.
- Anne FOURNEAU, autrefois domestique et alors sans profession, célibataire, chez son père au Grand Village, Commune de la Chapelle-Montmartin.
- Pierre FOURNEAU fils, vigneron, demeurant à Grand Village.
Le deuxième lot, échu à Madame MORIN-FOURNEAU comprend :
- La moitié de 1 hectare 36 ares 75 centiares de pré au Prés Masson, commune de Chabris.
- 15 ares 18 centiares de terre au même lieu.
- 45 ares 58 centiares de terres aux Marais de la Grue de Chabris.
- 60 ares 78 centiares de terre au Chêne Habert, même commune.
- 15 ares 19 centiares de terre aux Vignes de Jéaux, même commune.
- 4 planches de vignes au Chaillou, commune de la Chapelle-Montmartin.
- 6 planches de vignes dans le Grand Clos, même commune.
- 3 planches de vignes au même lieu.
Madame Marguerite ROBIN, veuve de François MORIN, décède à Beauregard, commune de Chabris, le 08 Janvier 1852, laissant ses quatres enfants :
Claude MORIN, alors gardien à Beauregard, commune de Chabris, Madeleine MORIN, Etienne MORIN et Catherine MORIN.
On ne sait rien de la descendance de ces enfants MORIN, sauf de Claude qui n'était plus cultivateur et qui était devenu garde au château de Beauregard, commune de Chabris où sont nés ses enfants, Claude Désiré MORIN et Henri MORIN. Il vint habiter ensuite avec sa femme Solange FOURNEAU, à Vineuil, près de Blois où il décéda le 6 Mai 1883.
Il résulte de l'inventaire dressé après son décès par Maître DELAGRANGE, notaire à Blois, le 02 Novembre 1883, qu'il possédait un petit mobilier et que les immeubles propres aux deux époux ou dépendant de leur communauté, avaient été vendus pendant leur mariage (3 ou 4 hectares de terres et vignes sur les communes de Varennes et de Parpeçay et une maison à Varennes).
Madame veuve MORIN-FOURNEAU est elle-même décédée à Vineuil, chez son fils Claude Désiré MORIN, le 02 Septembre 1890.
Il résulte de l'inventaire dressé par Me DELAGRANGE, le 17 Février 1891 que sa succession ne comprenait, outre le mobilier existant au décès de son mari, que divers soldes de prix de vente des immeubles vendus par les époux MORIN-FOURNEAU, et quelques obligations de chemins de fer français.
Les époux MORIN-FOURNEAU sont enterrés au cimetière de Vineuil (concession du 04 Mars 1907).
II - Claude Désiré MORIN-BARDET
Le fils ainé des époux MORIN-FOURNEAU, Claude Désiré, né à Chabris en 1836 épousa Georgette BARDET (décédée à Blois le 22 Février 1907) fille d'Adolphe BARDET, pharmacien à Valençay où il est décédé le 29 Juillet 1876.
Il était négociant et demeurait à la Vallée, commune de Vineuil où il décéda le 16 Mai 1898.
Il eut deux enfants :
1°) Marthe MORIN, née à Blois en 1872, qui épousa Eugène FORGET et demeura à Paris. Trois enfant sont nés de ce mariage
- Suzanne FORGET, à Blois en 1897, décédée célibataire.
- André FORGET, à Paris en 1903, décédé célibataire.
- Christian FORGET, à Paris en 1909, marié et décédé, sans enfant.
2°) Albert MORIN, né à Vineuil en 1880, décédé à Paris en 1935, époux de Maria BRISSET, dont il eut un fils, Georges MORIN.
Aucune relation familiale n'a jamais été entretenue entre ce dernier et son grand oncle Henri MORIN.
III - Henri MORIN-TAVERNIER
Le deuxième fils des époux MORIN-FOURNEAU, Henri MORIN est né à Chabris, le 03 Mai 1845.
Très jeune il quitta Chabris, où il était un simple pâtre. Très intelligent et travailleur, il reçu un rudiment d'instruction grâce au dévouement de l'instituteur de son village. Il vint exercer la profession d'épicier à l'épicerie-chocolaterie POULAIN à Blois, 27 rue Denis Papin.
Alors qu'il était encore employé de commerce dans cette épicerie, il épousa à 37 ans Caroline Emilie (dite Céline) TAVERNIER, à Avaray (contrat de mariage Me LEROY, notaire à MER, du 1er Octobre 1882).
Il avait alors acquis une certaine fortune, puisqu'il apportait en mariage, outre divers meubles et une somme de 3.000 Frs, 64 obligations de 500 Frs des chemins de fer français et autres obligations. Ses parents lui constituaient une dot de 1.000 Frs.
La future épouse apportait une dot de 30.000 Frs.
Peu après son mariage, Henri MORIN exploite pour son compte personnel, avec sa femme, l'épicerie-chocolaterie, 27 rue Denis Papin à Blois.
Son commerce devient vite très prospère et entre 1890 et 1900, il crée une entreprise d'importation de sucre. En 1900, il est qualifié "courtier de commerce". Il associe à cette affaire son frère, Claude Désiré et son neveu Albert MORIN. Mais, il dut bientôt s'en séparer en raison de l'incompétence de ce dernier.
En 1894, date de l'installation du téléphone à Blois, il est un des 25 premiers abonnés "MORIN FRERES épiciers en gros, 27 rue Denis Papin" (La Nouvelle République du 18 Août 1976).
Il se constitua un important portefeuille de valeurs de bourse (principalement en fonds Russes !) et acquit une maison à Blois, rue Denis Papin (qu'il revendit dans des conditions désastreuses peu après la guerre de 1914-1918 pour sa valeur d'avant la guerre) et le 12 Novembre 1891, la maison nouvellement construite, 9 rue des Lices à Blois où il vint habiter après avoir vendu son fonds de commerce d'épicerie.
En 1930, lors de son décès, son portefeuille représentait encore une valeur de 764 352 Frs.
Il cessa son commerce d'importation de sucre vers 1910 et vécut alors confortablement de ses rentes à une époque où les revenus des valeurs de bourse permettaient une vie aisée.
Une des occupations consistait à découper avec de grands ciseaux les coupons de ses valeurs et à enliasser dans son coffre les billets de banque qu'il retirait de la Banque de France dont il était un client assidu. Il passait ses hivers à partir de 1910 ou 1912, sur la Côte d'Azur à Menton où il louait une villa. Il y reçut sa fille et ses petits enfants pendant l'hiver 1917 et son gendre vint l'y rejoindre au cours d'une permission. Il cessa d'y aller vers 1926 ou 1927, en raison de son âge.
Il s'était formé lui-même, n'ayant reçu qu'une instruction primaire élémentaire. Il avait acquis par son travail une certaine culture développée par son sens des affaires.
Il avait crée une association de JARDINS OUVRIERS qui avait pour but de mettre à la disposition des ouvriers de Blois des jardins potagers situés près de la rue qui porte aujourd'hui le nom de RUE HENRI MORIN.
Il avait une très belle écriture.
C'était un homme très digne, austère, de grande taille. Il saluait d'un large coup de chapeau à la façon des mousquetaires gascons, les personnes qu'il rencontrait. Il était d'une grande piété et d'une religion quelque peu janséniste. Il lisait LA CROIX et quelques journaux de bourse. Sa famille tremblait un peu devant lui et, en tout cas, n'osait jamais contester ses opinions.
Il était assez bricoleur et s'occupait lui-même de son jardin ; pendant un certain temps il éleva des abeilles. Il était d'un ordre méticuleux et quelque peu avare.
Il était servi par une domestique, Marie AZOUARD, qu'il eut à son service jusqu'à son décès.
Dans les dernières années de sa vie, il eut une névrite faciale qui le faisait énormément souffrir.
Il décéda dans sa maison, 9 rue des Lices à Blois, le 23 Mars 1930 à 85 ans, d'une congestion pulmonaire consécutive à une chute qu'il fit dans l'escalier où il se brisa le col du fémur. Il est enterré au cimetière de Blois, dans un caveau qu'il avait fait édifier de son vivant (concession du 17 Juillet 1923).
Il a laissé le souvenir d'un grand vieillard austère, probe, distingué et intransigeant, une peu d'un PATER-FAMILIAS égaré au XXe siècle.
Sa femme continua à habiter quelque temps rue des Lices. Mais en raison de son état maladif et de ses infirmités, elle prit pension à la Communauté des Soeurs de l'Espérance, rue Bernier à Blois, proche de sa maison. Elle était devenue impotente, ne se levait plus de son lit et s'éteignit le 13 Avril 1939 à 86 ans.
C'était une femme de petite taille, peu cultivée, d'un caractère terne et aigri, n'ayant jamais eu aucune occupation domestique ou autre depuis qu'elle avait cessé de seconder son mari dans son commerce.
Après son décès, sa fille unique, Rachel Marie Georgette MORIN, née à Blois le 07 Juin 1887 qui avait épousé Edmond Eugène Camille AUBERT (contrat de mariage du 21 Juin 1910) revendit tout le mobilier garnissant la maison de la rue des Lices (P.V Me THELOT, commissaire-priseur à Blois des 13, 14 et 15 Février 1938) à l'exception de quelques rares meubles transportés à Vendôme. Au cours du déménagement de cette maison, Madame AUBERT-MORIN se débarrassa de tous les papiers, registres, livres de comptes et autres documents ayant appartenu à ses parents, ce qui explique qu'il soit très difficile d'écrire leur vie.
La maison ainsi vidée, fut louée à Mr Germain MADELIN, Conservateur des Eaux et Forêts (bail du 23 Avril 1938) qui l'acheta en Novembre 1962.
FAMILLE TAVERNIER
Caroline Emelie TAVERNIER, épouse d'Henri MORIN était née à Avaray le 08 Octobre 1853 du mariage de François TAVERNIER et de Marie Marguerite THEVOT.
Le seul document qui nous soit parvenu sur cette famille est un inventaire des 25 et 26 Janvier 1900 après le décès de Monsieur et Madame TAVERNIER-THEVOT. La généalogie de cette famille a pu être complétée à l'aide de renseignements oraux fournis par Madame AUBERT-MORIN, puis à l'aide de documents émanant de Ferdinand CHARON, son cousin.
Voir la longue étude sur la famille TAVERNIER communiquée par Ferdinand CHARON (dossier MORIN-TAVERNIER).
A - Famille THEVOT
Marie Marguerite THEVOT est née en 1833 sans doute à Avaray (Loir et Cher) du mariage de François THEVOT et Marguerite ROUSSEAU, née à Avaray vers 1792, décédée à Avaray en 1885.
Elle avait un frère, Adrien THEVOT époux ... ? qui eut lui même deux enfants :
- Joseph THEVOT, né à Avaray vers 1880, cultivateur, ayant eu lui-même un enfant.
- Eugène THEVOT, né à Avaray vers 1875, décédé célibataire.
C'était une famille de cultivateur.
B - Famille TAVERNIER
François TAVERNIER est né à Avaray le 29 Décembre 1823. Il était vigneron. Il est décédé à Avaray le 31 Juillet 1899.
Il était le fils de Jean TAVERNIER, né le 09 Frimaire an IV, vigneron au Tertre d'Avaray, décédé à Avaray le 02 Octobre 1865, et de Anne GIRARD, née à Avaray le 25 Floréal an IV, décédée le 31 Octobre 1872. Le contrat de mariage des époux TAVERNIER-GIRARD a été reçu le 24 Juillet 1817 par Me Michel ROGER, notaire à Avaray.
Jean TAVERNIER était le fils de Jean TAVERNIER, vigneron au Tertre d'Avaray, né le 19 Décembre 1751, décédé le 28 Fructidor an VIII et de Catherine GIVAIS.
Le père de ce Jean TAVERNIER-GIRARD était Denis TAVERNIER, vigneron, né vers 1720 et de Marie SAGET.
Du mariage des époux TAVERNIER-THEVOT célébré à Avaray le 13 Mai 1848 est née une seule fille : Caroline Emelie TAVERNIER.
Les époux TAVERNIER-THEVOT, de leur vivant propriétaires à Avaray, y sont décédés : la femme le 13 Septembre 1895 et le mari le 31 Juillet 1899.
Il résulte de l'inventaire dressé après leurs décès, les 25 et 26 Janvier 1900:
- que Madame TAVERNIER-THEVOT possédait en propre, de nombreuses petites parcelles de terre à Avaray et à Lestiou et une maison à Avaray.
Parmi ces immeubles, 19 ares 15 centiares de terre et pré au Bois d'Ingrand, commune d'Avaray, lui avaient été constitués en dot, et une autre parcelle lui provenait d'une donation-partage consentie par sa mère, alors veuve, le 29 Août 1861.
- que Monsieur TAVERNIER-THEVOT possédait en propre de très nombreuses parcelles de terre sur les communes d'Avaray et de Lestiou et une maison à Avaray.
Parmi ces parcelles, l'une avait été acquise à titre de licitation dans la succession de Marie Anne GIRARD, sa tante, veuve de Jean Pierre LHOMME, le 18 Décembre 1858 et une autre, d'un partage anticipé par ses père et mère, Jean TAVERNIER et Anne GIRARD, du 23 Avril 1865.
- qu'il dépendait de la communauté, outre le mobilier meublant, diverses créances hypothécaires (27.000 Frs) et plusieurs parcelles de terre sur la commune d'Avaray.
Tous ces immeubles était soit exploités par les époux TAVERNIER-THEVOT, soit loués. Ils ont tous été vendus, après leur décès, par Monsieur et Madame MORIN-TAVERNIER, de 1899 à 1920.
C - Descendants des époux TAVERNIER-ROUCHEUX
François TAVERNIER-THEVOT avait un frère :
Jean TAVERNIER, né à Avaray le 02 Mars 1819, charron puis maréchal ferrant à Avaray, décédé à Avaray le 06 Février 1901, qui avait épousé (contrat de mariage Me ROSSIGNOL, notaire à Avaray du 24 Octobre 1840) Julienne ROUCHEUX née au Tertre d'Avaray, le 1er Avril 1818, couturière, décédée à Avaray le 21 Décembre 1899.
Les époux TAVERNIER-ROUCHEUX eurent cinq enfants :
1°) Philéas TAVERNIER, né à Avaray le 09 Mai 1842, maréchal ferrant qui épousa en 1875 Marthe MAROTTE, décédé le 29 Décembre 1907 à Avaray, laissant une fille Camille TAVERNIER née le 12 Octobre 1875, décédée célibataire le 26 Mai 1890.
2°) Antonie Adélaïde TAVERNIER, née à Avaray le 10 Novembre 1843, décédée le 18 Novembre 1913, épouse de Monsieur Ferdinand CHARON, instituteur, né à la Madeleine Villefrouin, le 10 Avril 1841, décédé à Courbouzon le 22 Juin 1898.
3°) Flamine TAVERNIER, née à Avaray le 15 Janvier 1850, décédée à Paris le 03 Janvier 1933, qui épousa le 22 Novembre 1871 Henri BLANCHARD, Clerc de Notaire à Paris, décédé le 16 Septembre 1925.
4°) Eugène TAVERNIER, né à Avaray le 11 Février 1857, décédé à Avaray le 26 Novembre 1928, charron forgeron à Vineuil, qui épousa le 31 Août 1881 Blanche DUBREUIL, décédée à Vineuil en 1907.
5°) Jules TAVERNIER, né à Avaray le 02 Avril 1860, expatrié en Argentine, décédé sans doute célibataire, après 1901.
Les époux CHARON-TAVERNIER eurent trois enfants :
1°) Ferdinand CHARON (1867-1889) célibataire.
2°) Joseph CHARON, né le 09 Mars 1876, décédé le 15 Juillet 1962, notaire à Lamotte Beuvron jusqu'en 1938, époux de Marie JAUNEAU (08 Septembre 1874 - 31 Décembre 1962).
3°) André CHARON décédé en bas âge.
Joseph CHARON, notaire à Lamotte Beuvron, fut délégué de la Cour d'Appel d'Orléans à l'Assemblée Nationale des Notaires de France de 1933 à 1936. Il eut pour successeur dans cette fonction, son cousin par alliance, Maître Edmond AUBERT, notaire à Vendôme.
Il eut lui-même un fils :
Ferdinand CHARON, Docteur en Droit, Clerc de Notaire, puis Directeur de Banque.
Ferdinand CHARON fut Commissaire de District des Scouts de France. Il demeurait en 1985 à Meung sur Loire (45130) 1, rue Jehan de Meung. Décédé le 21 Novembre 1993.
Il avait épousé en premières noces, le 27 Octobre 1945, Madeleine DEBRONNE (15 Janvier 1915 - 23 Septembre 1952) dont il eut quatre enfants :
1°) Marie Anne CHARON, née le 07 Juin 1947, épouse de Hubert DUJARDIN.
Les époux DUJARDIN-CHARON eurent cinq enfants :
Bertrand, Florence, François, Benoît et Anne-Véronique.
2°) François CHARON, né le 01 Novembre 1948, époux de Martine GUITTON, qui eurent trois enfants :
Axelle, Igor et Clovis.
3°) Jean-Paul CHARON, né le 28 Juin 1950, époux de Sophie PINON, ayant deux enfants :
Matthieu et Victor.
4°) Odile CHARON, née et décédée le 23 Septembre 1952 en même temps que sa mère.
Ferdinand CHARON épousa en secondes noces, le 28 Août 1954, Yvonne TOURNADE, née le 15 Octobre 1923 dont il eut trois enfants :
1°) Bruno CHARON, né le 19 Décembre 1955.
2°) Alain CHARON, né le 07 Janvier 1957.
3°) Laurent CHARON, né le 14 Janvier 1958.
Famille Aubert
Aubert- Peltier
et
Aubert-Hilbert
Maître Edmond Eugène Camille AUBERT, notaire à Vendôme, époux de Madame Rachel Marie Georgette MORIN, était le fils de Me Eugène Louis François AUBERT, notaire à Herbault et de Aimée Marie Françoise PELTIER, sa première épouse.
I - Maître Eugène AUBERT
Familles Aubert et Peltier
Maître Eugène Louis François AUBERT est né à Doucelles (Sarthe) le 12 Mars 1859 du mariage de Louis Julien AUBERT, charron et de Julie Françoise LAURENT, demeurant à Doucelles, où ils sont décédés : le mari, le 18 Juillet 1861 et la femme le 27 Avril 1878.
Nous n'avons aucun document sur les époux AUBERT-LAURENT ni sur leurs ancêtres. Les familles AUBERT et LAURENT étaient certainement établies à Doucelles (entre Beaumont sur Sarthe et Mamers) depuis le début du XIXe siècle au moins.
Madame AUBERT-LAURENT avait une soeur, Aimée Victoire LAURENT, née en 1824, décédée à Doucelles le 16 Décembre 1902 qui épousa Pierre Julien MERCIER, maréchal ferrant à Doucelles.
Ils eurent deux enfants :
1°) Constant MERCIER.
2°) Armand Victor Lucien MERCIER, officier de gendarmerie à Saint Germain en Laye, puis à Besançon, décédé après 1912, époux de Berthe PONCIN. De ce mariage naquirent deux enfants, dont une fille qui épousa M.......... GARNEAU et fut sage-femme à Orléans.
Les rapports entre Eugène AUBERT et la famille MERCIER semblent avoir été toujours assez tendus.
En effet, en 1876, Madame veuve AUBERT-LAURENT qui s'était établie épicière-mercière à Doucelles, après la mort de son mari, avait confié à Monsieur et Madame MERCIER-LAURENT, sa soeur et son beau frère, une somme de 700 Frs destinée au notaire de Segrée (Sarthe). Mais, ils gardèrent cette somme et Eugène AUBERT dut la leur faire reconnaître par une reconnaissance de dette qu'ils signèrent le 15 Mai 1878, c'est à dire, peu après le décès de Madame AUBERT-LAURENT.
Leur fils, Armand MERCIER époux PONCIN, emprunta à son oncle Eugène AUBERT, diverses sommes à plusieurs reprises, notamment en 1912 et il ne semble pas que ces prêts aient jamais été remboursés, ce qui entraîna la rupture de toute relation avec Edmond AUBERT, après la mort de son père.
De la succession des époux AUBERT-LAURENT dépendait une maison à Doucelles, où Madame veuve AUBERT exerçait son commerce d'épicerie-mercerie. Cette maison fut vendue par Eugène AUBERT, le 03 Septembre 1905, moyennant 3.000 Frs. Le 10 Février 1906, une cousine d'Eugène AUBERT, Marie GAUTIER, lui demande de lui faire cadeau de la devanture de cette maison que son père vient d'acheter. Elle veut se servir de cette devanture comme châssis pour ses fleurs et ses melons. On se demande pourquoi elle avait besoin de l'autorisation d'Eugène AUBERT, puisque c'est son père qui avait acheté la maison.
Eugène AUBERT avait perdu son père à l'âge de 2 ans et sa mère à l'âge de 19 ans. Il eu pour tuteur son oncle Pierre MERCIER.
Aussitôt après ses études primaires, il fut clerc de notaire à Evaillé (Sarthe) puis au Lude chez Me CAHOREAU.
Il fait son service militaire au 124e de ligne, comme engagé conditionnel d'un an, en qualité de sergent et reçoit le 08 Novembre 1879 un certificat d'instruction militaire avec le note "très bien".
Dans ce certificat, il est ainsi décrit : "cheveux et sourcils châtain clair, yeux bleus, front haut, nez bien fait, bouche petite, menton rond, visage plein, taille 1 mètre 67".
Le 21 juillet 1886 il est convoqué devant une commission de réforme, on ignore pour quelle raison.
Le 28 Juin 1880, il épouse à Evaillé Aimée Marie Françoise PELTIER, née à Ecorpain le 23 Février 1859 du mariage de François Désiré PELTIER et Madeleine Aimée RENVOISE, demeurant à Ecorpain.
Le contrat de mariage est reçu par Me LELIEVRE, notaire à Evaillé le 11 Juin 1880, en présence de Pierre MERCIER, propriétaire à Doucelles, oncle du futur époux, alors âgé de 43 ans et de François PELTIER, boulanger à Saint-Antoine de Rochefort (Sarthe) oncle de la future épouse.
Le futur époux apportait ses droits mobiliers et immobiliers dans la succession de Louis BOURILLON son grand oncle, décédé à Piacé (Sarthe) en Janvier 1880 et la maison de Doucelles dépendant des successions de ses parents.
La futur épouse apportait ses droits indivis dans la succession de son père, Monsieur François Désiré PELTIER, décédé à Ecorpain le 09 Juin 1868, époux de Madame Madeleine Aimée RENVOISE, dont elle était héritière pour moitié et la somme de 5.000 Frs lui revenant dans les prix de vente par elle et son frère de divers immeubles dépendant de la succession de son père, vendus le 19 Mai 1880.
Famille Peltier
Monsieur François Désiré PELTIER et Madame Madeleine Aimée RENVOISE s'étaient mariés le 24 Septembre 1853. On ignore leur profession, sans doute étaient ils cultivateurs. Ils demeuraient à la Ferme des Boues, commune d'Ecorpain, du moins du vivant du mari.
Il dépendait de leur communauté : une maison à Evaillé où était exploité l'Hôtel de la Croix Blanche, une partie de la ferme des Boues et de celle de la Cibotière et une maison à Evaillé.
La ferme "des Boues d'en haut" commune d'Ecorpain et d'Evaillé (34 hectares 62 ares 10 centiares y compris les acquisitions de communauté) était propre à Monsieur PELTIER-RENVOISE en vertu d'un partage de la succession de ses parents reçu par Me GENDROT à Evaillé, le 1er Février 1845 et la ferme de la Cibotière, sur les mêmes communes (18 hectares 44 ares 80 centiares y compris les acquisitions de communauté) était propre à Madame PELTIER-RENVOISE en vertu du partage de la succession de ses parents, reçu par ledit Me GENDROT, le 14 Janvier 1856.
François Désiré PELTIER était le fils de Julien PELTIER, cultivateur, décédé à Evaillé le 18 Novembre 1844 et de Françoise MARCHAND décédée à Evaillé le 11 Novembre 1833.
Il avait 6 frères et soeurs :
1°) Jean PELTIER, cultivateur au Gué Joubert, commune d'Evaillé.
2°) Pierre PELTIER, menuisier à Evaillé.
3°) Monique PELTIER, épouse de Justin VILLOTEAU, cultivateur à Bouloire.
4°) Anne PELTIER, épouse de Jean FOUGERAY, cultivateur à Ecorpain.
5°) Julien PELTIER, cultivateur à Evaillé.
6°) Françoise PELTIER, épouse de Louis GUILLOCHON, demeurant à la Pelterie, commune de Saint-Osmane (Sarthe).
Madeleine Aimée RENVOISE née en 1832, sans doute à Evaillé, était la fille de François RENVOISE qui demeurait à Evaillé et de Madeleine PELTIER (elle-même soeur de Julien PELTIER-MARCHAND susnommé et de Louis René Jean PELTIER décédé à Evaillé avant 1865, époux de Julienne FONTAINE décédée à Evaillé le 29 Décembre 1865).
Elle avait un frère, Auguste RENVOISE qui vivait en 1885 (ses descendants vivaient encore à Evaillé en 1948) et peut être un autre frère ou soeur.
Elle est décédée à Herbault chez sa fille, Madame Eugénie AUBERT le 23 Décembre 1884. Sa succession comprenait les prorata de fermages des fermes des Boues et de la Cibotière, la ferme de la Cibotière, la moitié indivise avec ses enfants des terres de communauté annexées aux deux fermes, la moitié indivise de l'Hôtel de la Croix Blanche à Evaillé et de l'autre maison à Evaillé.
Elle laissait deux enfants :
1°) Sa fille, épouse de Me Eugène AUBERT.
2°) Auguste François PELTIER, boulanger d'abord à Saint-Antoine de Rochefort (Sarthe) puis à la Ferté Bernard, décédé vers 1906, qui épousa à la Ferté Bernard (contrat de mariage du 29 Avril 1870) Valérie Almire Alexandrine BELLANGER dont il eut un fils Henri Valérie PELTIER, Officier de Saint-Cyr, promotion d'In Salah, décédé Capitaine d'Infanterie à Filain (Aisne) le 14 Juin 1917, célibataire, Chevalier de la Légion d'Honneur. C'était un bon vivant, très lié avec son cousin Edmond AUBERT avec qui il fit ses études à Paris où il logeait chez sa mère devenue veuve. Edmond AUBERT racontait que lorsqu'il rentrait, souvent tard, au domicile de sa mère, celle-ci le lui reprochait et il répondait : 'Il n'est pas tard, il n'est que la demie".
Madame veuve PELTIER-BELLANGER décéda dans son appartement à Paris dans le 16e arrondissement vers 1925, laissant pour légataire sa nièce, l'une des trois filles de sa soeur Armandine. Edmond AUBERT fut très déçu de ne pas en hériter, car il avait toujours entretenu d'excellentes relations avec elle et elle possédait une honnête fortune.
Elle ne laisse à son neveu Edmond qu'un grand portrait de son cousin en uniforme d'Officier, ses décorations et ses armes.
Avec son indemnité de mère d'Officier mort à la guerre, elle fit ériger à son fils un somptueux monument au cimetière de la Ferté Bernard, sur lequel sont gravées les inscriptions ci-après :
"Capitaine et Adjudant Major PELTIER mort devant FILAIN 1879-1917, décédé le 14 Juin 1917 "Proposition pour la Légion d'Honneur : a commandé avec entrain la 1ère Compagnie engagée au combat de Vauclère, et, blessé deux fois, n'a quitté son poste qu'à la deuxième blessure.
147e Régiment d'Infanterie - 07 Septembre 1914, Général REMOND"
"Citation à l'Ordre de l'armé : étant au 120e bataillon de chasseurs, s'est emparé d'une position formidablement organisée et, malgré des pertes considérables s'y est maintenu pendant 8 jours, supportant un bombardement d'une intensité exceptionnelle en repoussant toutes les attaques de l'ennemi. Le Général commandant le VIIe armée de MAUDHUY"
"Au Capitaine PELTIER qui a pris part aux attaques de SCHRATZMAENNELE - LINCEKOPT Juillet 1915".
"Citation à l'ordre de l'armé : est cité à l'ordre de l'armée le Capitaine PELTIER Henri du 120e bataillon de chasseurs ; chargé de l'attaque d'une tranchée allemande, s'en est emparée par surprise ; y a fait une centaine de prisonniers et en a ensuite assurée l'occupation ; a maintenu sa compagnie sur le terrain conquis sous un feu de flanc de mitrailleuses et s'y est retranché".
Septembre 1915 - Général de MAUDHUY.
Citation à l'ordre de la division.
"PELTIER Henri Auguste, Capitaine Adjudant Major au 359e régiment d'Infanterie. Officier très brave et très courageux. S'est dépensé sans compter durant la période du 14 au 30 Juin 1916 et notamment les 16, 17 et 29 Juin pour maintenir la liaison entre les unités engagées et guider les colonnes se déplaçant sous les plus violents bombardements.
18 Juillet 1916 - Général GARBIT"
"Inscription au tableau spécial de la Légion d'Honneur : le Ministre de la guerre, article unique : est inscrit au tableau spécial de la Légion d'Honneur à compter du 25 Décembre 1916, le militaire dont le nom suit: pour Chevalier Henri Auguste Valéry PELTIER, Capitaine d'active au 359e R.I. Officier actif et très brave , a toujours conduit sa compagnie au feu avec un entrain et un sang froid irréprochable.
Déjà été cité -
Extrait du J.O. du 01.01.1917 - Généraux MERIE et LYAUTEY".
"Citation à l'ordre de l'armée : est cité à l'ordre de l'armée PELTIER Auguste Henri Valéry, matricule 584, Capitaine du 359e R.I. Officier d'élite, brave et dévoué. Après avoir donné toute la valeur de son héroïsme, est tombé glorieusement pour la France le 14 Juin 1917 à FILAIN.
Paris le 07 Juin 1920 - Ordre CD 8006, signé LEFOL-CAVEZ".
ACHAT DE L'ETUDE D'HERBAULT
DECES DE MADAME AUBERT-PELTIER
Après son mariage, Eugène AUBERT continua à habiter au Lude où il était clerc de notaire chez Me CAHOREAU. C'est au Lude que naquit son fils Edmond Eugène Camille le 22 Septembre 1881.
Le 25 Avril 1884, Me RICHEBOURG, successeur de Me GENDROT, notaire à Evaillé, devenu négociateur en cession d'offices ministériels, lui proposa l'Etude de Me DUC, notaire à Herbault qui doit acheter l'Etude de son beau frère, notaire à Mer, qui est plus importante. Le prix demandé est de 80.000 Frs pour un produit annuel de 12.000 Frs.
Le 09 Mai 1884, Me GENDROT le remercie de l'avoir informé qu'il allait acheter l'Etude d'Herbault et l'en félicite.
Aussitôt, Eugène AUBERT demande à Me GOHIER, notaire de la famille PELTIER à la Ferté Bernard de lui procurer un prêt hypothécaire de 40.000 Frs garanti sur les immeubles de sa femme, indivis avec son beau frère. Ce prêt est réalisé par plusieurs obligations signées en Juillet 1884, alors qu'Eugène AUBERT résidait déjà à Herbault. Me GOHIER lui adresse les fonds le 31 Juillet.
Le 30 Juillet 1884, son ancien patron du Lude, Me CAHOREAU lui envoie 3.000 Frs, remboursement d'une créance au profit de Madame PELTIER, sa belle mère. Il est heureux d'apprendre que l'état des produits de l'Etude d'Herbault dépasse les prévisions. Au Lude, les affaires sont très calmes et Me CAHOREAU regrette d'avoir embauché un premier clerc pour le remplacer. La mère et la soeur de Me CAHOREAU se rappellent à son bon souvenir et envoient un gros baiser au petit Edmond.
Le 30 juin 1884 est signé l'acte de cession de l'Office d'Herbault, moyennant le prix de 78.000 Frs payable à concurrence de 40.000 Frs dans les 8 jours de la prestation de serment et les 38.000 Frs de surplus en 10 ans avec intérêts à 5 %. Mais, la chancellerie fait réduire le prix de 3.000 Frs et Eugène AUBERT prête serment le 05 Novembre 1884.
Madame PELTIER-RENVOISE, sa belle mère, décède peu après à Herbault le 23 Décembre 1884.
Le 18 Décembre 1889, par acte de Me SALMON, notaire à Evaillé, Madame AUBERT-PELTIER vend à titre de licitation à Auguste PELTIER son frère, ses droits étant de moitié dans les immeubles indivis entre eux (fermes des Boues, de la Cibotière et maisons à Evaillé) et Eugène AUBERT rembourse aussitôt les prêts hypothécaires qui lui avaient été faits pour acheter son Etude.
Madame AUBERT-PELTIER décède à Herbault le 30 Janvier 1901, laissant pour seul héritier son fils Edmond, alors étudiant en droit à Paris. Elle avait 42 ans.
La communauté AUBERT-PELTIER comprenait alors :
La valeur de l'Etude (75.000 Frs) argent comptant et créances (15.000 Frs) et le mobilier. Mais il était encore dû 28.000 Frs à Monsieur DUC sur le prix de l'Etude et divers prêts pour 26.800 Frs.
L'actif de communauté était pratiquement absorbé par les reprises de Madame AUBERT et par le passif.
Aussi, Edmond AUBERT renonça t'il à cette communauté, du chef de sa mère par acte au greffe du 06 Avril 1901. De son côté, Me Eugène AUBERT renonça par acte de Me HALE, notaire à Landes le Gaulois du 22 Juillet 1901 au bénéfice de toute donation consentie par sa femme et à son droit d'usufruit.
Edmond AUBERT, alors mineur, avait été émancipé le 23 Mars 1901 et avait pour curateur ad hoc, son oncle Auguste François PELTIER, boulanger à la Ferté Bernard.
Puis par acte de Me HALE du 07 Novembre 1902, il est procédé à la liquidation des reprises de la succession de Madame AUBERT-PELTIER. L'actif de la communauté (dont l'Etude d'Herbault) revient entièrement à Monsieur Eugène AUBERT qui se trouve débiteur envers son fils, du montant net des reprises liquidées à 32.720 Frs qui lui seront payées le 14 Avril 1910 en vue d'acquisition de l'Etude de Vendôme.
DEUXIEME MARIAGE avec Madame Marguerite HILBET
FAMILLE HILBERT
Décès de Madame AUBERT-HILBERT
Le 08 Novembre 1902, Eugène AUBERT écrit à un de ses amis, Monsieur Albert LEROUX :
"Mon cher Albert - Je suis confus de toute la peine que tu donnes pour moi. Je ne sais vraiment comment vous remercier tous deux, Madame LEROUX et toi, de toute votre dévouement et toute la sympathie que vous me témoignez.
Notre amitié, déjà vieille de 22 ans..... nous étions jeunes et insouciants alors, loin de se relâcher avec le temps, c'est au contraire fortifiée....
Les renseignements que tu me communiques me suffisent amplement......
Voici de mon côté les renseignements que tu pourras communiquer à Mademoiselle H......".
"Quand je suis arrivé ici à la fin de 1884, je me suis créé avec mon Etude mon installation et le roulement de fonds nécessaire pour marcher, une dette totale de plus de 100.000 Frs et j'avais pour y faire face le grand désire d'arriver et de me faire une place au soleil, et c'est tout !
Inutile de te dire que je n'ai pas toujours dormi tranquille et que j'ai longtemps tiré le diable par la queue.
Enfin, à force de travail et d'économies j'ai fini par prendre le dessus et aujourd'hui, Dieu merci ! ma situation, toute modeste qu'elle est, est aussi claire et satisfaisante que possible.
Je possède aujourd'hui :
1°) Mon Etude d'un produit annuel moyen depuis 10 ans de 16.000 Frs d'une valeur d'environ 100.000 Frs.
2°) Mobilier, argenterie, cautionnement, créances et argent comptant pour 18.000 Frs.
3°) Maison à Doucelles 2.500 Frs.
4°) Assurance sur la vie 10.000 Frs.
"Je dois le solde du prix de mon Etude 28.000 Frs et les droits d'Edmond dans la succession de sa mère fixés dans un acte de liquidation par Me HALE, notaire à Landes le 07 courant, à 32.000 Frs (c'était la veille de cette lettre).......
Si après cela, le projet que tu as formé à quelques chances de réussir, je te prierai de vouloir bien proposer à Mademoiselle H..... un rendez-vous où elle voudra, à Paris par exemple, pour que vous puissiez Madame LEROUX et toi vous présenter l'un à l'autre, recueillir et nous communiquer nos impressions réciproques.
Je ne sais si je me trompe mais il me semble que nous pourrons nous comprendre.
Tu trouveras sous ce pli, ma tête et celle d'Edmond fabriquées dans nos ateliers d'Herbault ; un artiste aurait certainement fait disparaître quelques rides ; mais c'eut été mentir - A quoi bon - A la grâce de Dieu !
Edmond est affecté au 113e de ligne en garnison à Blois. Il partira vendredi prochain. Il ne restera là que jusqu'au 1er Décembre, époque à laquelle le peloton des dispensés sera formé et envoyé à Orléans...
P.S......... Quel est l'âge exact de Mademoiselle H..... ? Est-elle musicienne?"
Ces renseignements ont dû convenir à Mademoiselle H.... car le 10 Février 1903 était célébré à Sierck (Lorraine) le mariage de "le notaire Eugène Louis François AUBERT..... de confession catholique..... demeurant à Herbault (France) avec Marguerite Adrienne HILBERT, sans état connu, de confession catholique, née à Cocheren, arrondissement de Forbach, le 1er Mars 1865, demeurant à Sierck, fille de l'instituteur en retraite Michel Jean-Baptiste HILBERT, demeurant à Sierck et de son épouse Marie née NEIS, décédée. Ont été appelés comme témoins, le bijoutier Albert LEROUX, légitimé par Monsieur Michel HILBERT âgé de 45 ans, demeurant au Mans (France) et le négociant Théodore Julien HILBERT, âgé de 26 ans, demeurant à Sierck" (acte de mariage en allemand avec traduction en français).
Nous apprenons ainsi qu'Albert LEROUX était un enfant légitimé de Michel HILBERT (pourquoi ne portait-il pas le nom de son père ?) et qu'il était bijoutier au Mans. Eugène AUBERT et son fils Edmond son toujours restés en relations amicales avec lui et son fils également bijoutier au Mans.
Le contrat de mariage avait été reçu par Me DUC, notaire à Mer, prédécesseur à Herbault de Me Eugène AUBERT, le 20 Janvier 1903. Mademoiselle HILBERT demeurait chez son père à Sierck, 11 Grande Rue. Sa mère était décédée à Sierck le 18 Octobre 1898. Elle apportait en mariage du mobilier et diverses créances (dont une de 20.000 Frs contre son frère Théodore HILBERT) pour un montant de 50.000 Frs.
Le 24 Octobre 1904, naissait à Herbault leur fils, Roger Marie Michel AUBERT.
Michel Jean-Baptiste HILBERT décédait à Sierck le 30 Août 1908, laissant sept enfants :
1°) Marguerite Adrienne, épouse d'Eugène AUBERT.
2°) Marie Honorine, épouse d'Eugène ROSER, représentant de commerce, demeurant à Montigny les Metz, tous deux décédés avant 1948, laissant neuf enfants (voir tableau généalogique).
3°) Marie Catherine, épouse de Bernard BOUR, négociant, demeurant à Thionville, rue du Luxembourg, ayant eu un fils Henri, né à Thionville le 05 Juillet 1900, époux de Marie-Louise ROSERT, décédés, sans enfant.
4°) Louis Michel, employé, demeurant à Paris, rue des 3 Bornes, n°45, époux de Marie CHARBONNAUD, décédés sans enfant avant 1948.
5°) Appoline Marguerite, négociante, demeurant à Sierck, 11 Grande Rue, épouse de Félix DESNOYERS, décédée à Versailles en 1946 sans enfant.
6°) Jean Joseph, négociant, demeurant à Metzerviesse, ayant eu deux enfants: Paul HILBERT et une fille qui épousa Guillaume RISSE et qui eurent eux-mêmes des enfants.
7°) Julien Théodore, négociant en tissus, 11 Grande Rue à Sierck, né en 1878, décédé à Sierck le 06 Juin 1947, époux d'Henriette Marguerite MUNIER, ayant eu quatre enfants, prédécédés célibataires
Les 1er et 20 Décembre 1908, Me Eugène AUBERT établit le partage sous seing privé des valeurs mobiliers dépendant des successions de Monsieur et Madame HILBERT-NEIS. Madame AUBERT recevait pour sa part 512,83 Frs et elle devait encaisser ensuite celle de 2.290,35 Frs pour sa part dans le prix de vente des immeubles.
Madame AUBERT-HILBERT décéda brusquement (d'une crise cardiaque ?) dans sa salle de bain à Herbault, le 26 Février 1913 à l'âge de 47 ans.
Le 22 Juillet 1913; Me DELAGRANGE, notaire à Blois dresse l'inventaire après son décès, en présence de Félix DESNOYERS, rentier à Versailles, oncle et subrogé tuteur du mineur Roger AUBERT. La description très détaillée du mobilier comprend notamment de nombreux bijoux de Madame AUBERT, une voiture automobile Clément Bayard 10 CV qui ne sera vendue par Me Edmond AUBERT qu'en 1927, 1500 bouteilles de vin blanc et rouge bouchées et plusieurs litres d'eau de vie et liqueur.
Me Eugène AUBERT avait alors fini de payer les 28.000 Frs restant dus sur le prix de son Etude.
Il dépendait de la communauté : diverses valeurs de bourse, notamment en emprunts Russe, Chinois, Autrichien, Suédois et Egyptien, s'élevant à 27.862 Frs.
Il était dû à la communauté divers prêts par Monsieur Armand MERCIER, chef d'escadron de gendarmerie à Besançon, neveux de Me Eugène AUBERT et des créances sur clients pour frais d'actes pour un montant de 17.571 Frs.
Madame AUBERT-HILBERT a laissé le souvenir d'une femme très distinguée, excellente cuisinière et très estimée par son beau-fils, Me Edmond AUBERT.
TROISIEME MARIAGE avec Madame MARIAU
Maître Eugène AUBERT, malgré le chagrin qu'il éprouva de la mort brutale de sa deuxième épouse, ne tarda pas à se remarier.
Il épousa en Avril 1914 à Orléans, Marie Louise Adolphine MARIAU, veuve de Monsieur Anatole Jules CHABIN.
Le contrat de mariage était reçu par Me DELAGRANGE, notaire à Blois, le 10 Avril 1914.
Madame AUBERT-MARIAU possédait une maison à Rochefort qui fut vendue au cours du mariage pour rembourser un prêt hypothécaire à elle, fait avant son remariage, pour le même montant que le prix de vente.
Nous ne savons rien de plus sur cette troisième épouse de Me Eugène AUBERT, car son fils la lui-même peu connu, ayant été mobilisé peu après ce mariage.
DECES DE MAITRE EUGENE AUBERT
Maître Eugène AUBERT décéda à Vendôme, chez son fils (dans la chambre donnant sur le jardin où il couchait avec sa troisième épouse et son petit fils, Jacques AUBERT alors âgé de 7 ans et qui assistait ainsi à la mort de son grand-père le 20 Octobre 1918 du congestion cérébrale, en quelques instants, à l'âge de 59 ans. Il est enterré au cimetière d'Herbault.
Par son testament olographe du 10 Août 1914, déposé au rang des minutes de Me LESTANG, notaire à Blois, le 02 Novembre 1918, il léguait à sa troisième épouse une rente viagère de 3.000 Frs et désignait Edmond AUBERT comme tuteur de son deuxième fils Roger.
Des difficultés s'élevèrent aussitôt entre Edmond AUBERT et la troisième épouse qui renonça par acte du Greffe du 10 Novembre 1920 à la communauté ayant existé entre elle et Me Eugène AUBERT, à son legs de 3.000 Frs et à tous droits d'usufruit. Conformément à l'article 917 du Code Civil , ce legs de rente viagère fut transformé en l'abandon de la quotité disponible étant d'un quart qui fut liquidée à 17.578 Frs. Cette somme fut payée à la troisième épouse en divers versements dont le dernier du 28 Octobre 1920 (le premier le 16 Novembre 1919).
Toutes relations furent dès lors rompues avec Madame CHABIN.
La déclaration de succession de Me Eugène AUBERT fut déposée le 1er Juin 1920. Sa succession comprenait outre l'Etude d'Herbault et le mobilier à peu près identique à celui prisé après le décès de Madame AUBERT-HILBERT, diverses valeurs de bourse et créances et soldes de comptes dus par les clients de l'Etude.
Un partage sous signatures privées intervint le 07 Mai 1927 entre Edmond et Roger AUBERT, aux termes duquel Roger AUBERT reçut une petite partie du mobilier, une partie du prix de cession de l'Etude (60.000 Frs), diverses valeurs de bourse pour 30.992 Frs. Me Edmond AUBERT recevait le surplus du mobilier, 20.000 Frs sur le prix de cession de l'Etude, et 7.353 Frs en valeurs de bourse (l'automobile Clément Bayard avait été vendue en 1927).
Les bijoux de Madame AUBERT-HILBERT avait été vendus au profit de Roger chez Fontana, bijoutier, rue Royale à Paris en Mars 1920.
L'Etude d'Herbault fut vendue à Me THIBAULT en Novembre 1920 moyennant le prix de 80.000 Frs. Elle avait été gérée par le principal Clerc, M.NOULIN. Me THIBAULT solda son prix d'acquisition le 05 Avril 1924.
LA VIE A HERBAULT DE Me EUGENE AUBERT
Maître Eugène AUBERT était un homme d'assez belle prestance, de taille moyenne, les cheveux en brosse, portant barbe et lorgnons. Il était très bon et très gai. Le décès de ses deux premières épouse l'avait profondément affecté. Il était très aimé de sa clientèle. Il avait parfaitement géré son Etude pendant 34 ans, grâce à son travail et à sa probité. Son Etude était installée dans une annexe au rez-de-chaussée de la maison qu'il occupait sur la place du marché, dont le propriétaire était Monsieur GIRAUD, au même endroit que l'Etude actuelle de Me THIBAULT.
Il avait décoré d'une fresque représentant l'étang de Pécheux à Herbault, la salle de bain. Il y avait installé un atelier de photographie dont il faisait son passe temps.
Il fit plusieurs tableaux à l'huile et aimait bricoler. Nous possédons encore plusieurs de ses outils et un de ses tableaux.
Il aimait la chasse et les promenades à pieds.
Ce fut aussi un passionné de l'automobile.
Le 30 Octobre 1900, il écrivait à un garagiste d'Orléans :
"Je m'intéresse énormément à la question automobile et un jour viendra, je l'espère du moins, où je m'offrirai la fantaisie d'une voiturette. Actuellement les prix sont encore trop élevés pour ma bourse. Quand les fabricants auront compris, et cela arrivera, soyez en convaincu, qu'il est possible d'établir des voiturettes aussi légères que le sont les quadricycles et à des prix sensiblement peu supérieurs, ils verront leurs commandes augmenter dans des proportions absolument fantastiques : l'avenir de l'industrie automobile est là.
La plupart des personnes qui se livrent volontiers à ce nouveau sport, et je suis du nombre, ont en horreur les tricycles et les quadricycles qui, en présentant tous les petits ennuis de l'automobile en général, manquent totalement de confortable.
Il ne faudrait guère plus de matière pour établir une voiturette qu'un quadricycle, la disposition seule des organes serait à changer, et cependant quelle différence au point de vue du confortable et de l'élégance.
Voulez-vous que je vous dise quel serait mon idéal : voiturette de 150 kilos au maximum, moteur de 3 chevaux, places à l'avant, deux vitesses, l'une très petite permettant de monter les côtes les plus dures et de résister au vent les plus forts ; l'autre de vingt kilomètres à l'heure au maximum ; changement de vitesse par cône à friction ; transmission par arbre rigide ou à la cardan, ressorts à l'avant et à l'arrière ; la carrosserie réduite à la plus simple expression.
Je suis un fanatique de l'automobile ....".
Il acheta peu après un quadricycle qu'il bricolait lui-même, puis vers 1910, une Clément Bayard, Torpédo 10 CV.
La peinture, la photographie, la chasse et l'auto ne suffisaient pas à l'occuper. Il lisait également beaucoup et rédigea avec son ami ALEXANDRE, juge de paix à Herbault, une histoire d'Herbault qu'il illustra de nombreux dessins à la plume et à la gouache et qu'il fit relier.
Le dimanche, il se promenait avec sa famille et ses amis dans le parc du château d'Herbault et allait se délasser à l'étang de Pécheux.
Il avait autour de lui toute une petite société locale : Madame CUZIN, receveuse des postes et ses filles, le Docteur HAHUSSEAU, père du Chanoine, Monsieur ALEXANDRE et plusieurs autres.
Il entrenait des relations suivies avec Albert LEROUX, bijoutier au Mans, son ami de jeunesse et Me DUC, notaire à Mer, son prédécesseur et son fils qui était attaché de direction aux automobiles Renault.
Il aimait les bons repas et sa cave était bien garnie.
Il ne se ménagea pas pour élever ses deux fils, malgré les conditions difficiles que lui ont imposé ses deux veuvages, et décéda trop jeune pour jouir d'une retraite que son long exercice notarial lui aurait mérité.
ROGER AUBERT
Roger Marie Michel AUBERT est né à Herbault le 25 Octobre 1904 du deuxième mariage de Me Eugène AUBERT avec Madame Marguerite Adrienne HILBERT.
Il perdit sa mère à l'âge de 9 ans.
Il fit ses études au collège de Pontlevoy puis à l'école Notre Dame des Aydes à Blois.
Après le décès de son père, il eut pour tuteur son frère Me Edmond AUBERT et vint habiter chez lui à Vendôme, tout en poursuivant ses études à l'école Notre Dame des Aydes, où il ne fut pas un brillant élève. Son frère le mit en pension pendant quelques mois chez le curé des Muches l'Evêque, l'Abbé FOURNIER, mais sans plus de succès.
En Septembre 1920, il entra à l'école d'agriculture de Clion (Indre) où ses études ne furent pas plus brillantes.
En Octobre 1922, il entra à l'école d'agriculture de Maison Carrée (Algérie).
Nous possédons la correspondance qu'il échangea avec son frère de 1920 à 1929.
Il y raconte notamment sa vie en Algérie et donne des détails pittoresques sur le pays et rend compte régulièrement des dépenses qu'il a faites. Il prétend qu'il obtient de bonnes notes à l'école, mais il a souvent des "zéros" de conduite.
Le 07 Mai 1923, il écrit :
"J'ai eu des nouvelles de maman (madame veuve AUBERT née MARIAU) elle est actuellement à Berny aider un peu madame CHABIN (sans doute la femme de son fils de son premier mariage) qui attend un troisième héritier.
Ma tante Catherine (Catherine HILBERT épouse BOUR) m'a également écrit. Henri (son fils) l'aide au magasin. Elle a insisté pour que j'aille passer quelques temps à Thionville pendant les vacances. Chez l'oncle Théodore (HILBERT) une petite cousine germaine va faire sa première communion. Peux-tu m'envoyer un mandat télégraphique ?".
Il passe ses vacances scolaires à Vendôme et durant l'été 1924, il vient au bord de la mer à St-Cast, avec son frère, sa belle-soeur et leurs enfants.
En Novembre 1924, il entre à l'école d'agriculture de Nogent sur Marne.
Le 22 Novembre 1924, il écrit qu'il a reçu des nouvelles de son oncle Félix (HILBERT) et qu'il a été voir la "tante PELTIER" qui habite à Paris. Il a été à la Croix de Berny dîner avec Marcel CHABIN. Il habite alors dans une pension à Nogent sur Marne et semble plus se distraire à Paris que travailler à l'école d'agriculture. Durant l'hiver 1924/1925, il se rend fréquemment chez son oncle Théodore HILBERT à Versailles et chez la "tante PELTIER" qui habite près du métro Exelmans. Son travail à l'Institut Agronomique est très médiocre. Chacune de ses lettres (2 ou 3 par mois) contient une demande pressante d'argent.
Durant l'été 1925, il s'engage dans une tournée de théâtre en province, puis il part faire les vendanges en Algérie et au retour, va voir sa famille à Thionville.
En Novembre 1925, il fait son service militaire en Algérie. Au départ pour Marseille il a rencontré à la gare de Blois, le 10 Novembre, Monsieur et Madame MORIN qui partaient passer l'hiver sur la côte d'azur. Il est incorporé dans une compagnie de remonte à Constantine.
En Juin 1926, il est nommé Brigadier. Il fait part du mariage de son cousin Henri BOUR le 04 Mai 1926. Il continue à réclamer de l'argent à chacune de ses lettres et vient en permission à Vendôme en Août.
Il termine son service militaire en Mai 1927 et rentre à l'Institut Agronomique de Nogent, où il avait échoué à l'examen avant de partir au service. Il échoue à nouveau en Octobre 1927.
En Janvier 1928, il demande à son frère Edmond d'intervenir auprès de son ami DUC pour le faire rentrer aux Usines Renault, mais Monsieur DUC a quitté Renault depuis 5 ans.
Il fait de la figuration au théâtre et au cinéma.
Il désire acheter une moto et demande à son cousin DESNOYERS de Versailles, d'avaliser des traites. Celui-ci refuse et écrit à Me Edmond AUBERT le 25 Janvier 1928 qu'il a eu un long entretien avec Roger sur le choix d'une profession, mais qu'il ne semble nullement disposé à travailler sérieusement.
En Septembre 1928, il vend la moto qu'il avait achetée. Il fait toujours des rôles de figurant au Théâtre Marigny et se promène à travers la France. En Décembre, il projette de créer une agence de théâtre et demande toujours de l'argent, notamment pour acheter un cabriolet Citroën qu'il revend peu après. Il va s'intéresser à une invention "formidable" destinée à sonoriser les films, c'est la fortune assurée !
En Avril 1929, il est toujours à Paris et va encore changer de voiture.
Nous n'avons plus de lettres de Roger AUBERT depuis cette date.
En Août 1929, il passe quelques jours à Vendôme avant de partir au Gabon où il projette d'aller chasser l'éléphant et de vendre de la glace aux indigènes ! C'est le succès assuré !
En fait, il s'emploie comme il peut et exerce divers métiers de débardeur et autres. Il reconnaît qu'il a alors "mangé de la vache enragée". Puis, comme il est débrouillard et adroit, il répare des autos et camions et crée un garage auquel il adjoint en Avril 1930, une entreprise de transport. Le Gabon est alors un pays vierge, où tout peut être entrepris.
En Mai 1935, il demande à son frère de lui faire parvenir 10.500 Frs en vue de l'achat d'un camion Renault.
Le 26 Janvier 1939, il demande à son frère de remettre à un capitaine qu'il a connu à Libreville et qui est alors à Tours, la somme de 8.000 Frs en remboursement d'un prêt.
L'entreprise de transport de Roger AUBERT se développe dès lors très rapidement. Avec l'activité militaire au Gabon, cette entreprise connaît une grande extension et Roger AUBERT monopolise pratiquement tout ce qui est transport terrestre ou fluvial au Gabon.
Il s'était marié au Gabon, mais son épouse décéda peu après.
Après avoir vendu son affaire de transport au Gabon à la C.F.A.O, il rentre en France en 1948. Peu de temps après, il prête ses fonds à un M. DUMAS qu’il avait connu au Gabon et qui était minotier à Cosne. Mais celui-ci tenait une double comptabilité et fut emprisonné. Son épouse fut condamnée pour assassinat pour avoir tiré avec un fusil sur l’acheteur du moulin, qu’elle attendait cachée dans la cave. Roger AUBERT se retrouve ainsi complètement démuni de ressources.
Son neveu, Jacques AUBERT, lui rend alors compte de la gestion des valeurs de bourse qui lui provenaient de la succession de son père et qui subsistaient après les nombreuses sommes que lui avait remises son frère.
Roger AUBERT habitait alors à Paris, 2 Boulevard Pershing.
Le 02 Juin 1960, il épousa Jeanne COLOMBO, à Perroy (Nièvre) avec laquelle il vit toujours (1987).
Depuis cette date, il perdit tout contact avec sa nièce et son neveu qui cependant l'invitaient régulièrement aux baptêmes et mariages de leurs enfants. Il vint à Vendôme pour la dernière fois à l'occasion de la première communion de son petit neveu Jean AUBERT.
C'est un garçon sympathique, très sensible, qui avait entretenu des relations affectueuses avec son frère, ainsi que ses lettres en témoignent.
Beau garçon, après une jeunesse passablement dissipée et orageuse, il avait fini, grâce à son travail, à se créer une situation que ses revers de fortune ne lui permirent pas de maintenir pour ses vieux jours qu'il passa très attaché à sa seconde épouse.
Le 05 Décembre 1897, il vint déjeuner avec sa femme chez son neveu Jean AUBERT, à Paris, avec Monique et Jean PAPIN, Cécile et Jacques AUBERT, Pierre et Marie AUBERT. Il raconta sa vie au Gabon.
Peu après son arrivée au Gabon, il renfloua un brise glace norvégien échoué dans l'estuaire de Libreville pour en faire un remorqueur pour les billes d'Okoumé Son garage brûle dans un incendie et il le reconstruit. Il exploite une carrière de pierres pour aménager l'aérodrome de Libreville.
En 1940, à l'arrivée du Général LECLERC au Gabon il prend parti pour De GAULLE contre le gouverneur général MASSON resté fidèle au gouvernement de Vichy et sert de chauffeur taxi à LECLERC.
Il est ensuite nommé chef d'escale de l'aérodrome de Libreville par les anglais. Il faut condamné à la détention à perpétuité par la Cour de Riom pour avoir pris parti pour de GAULLE.
A son retour en France, il travaille de 1955 à 1970 à la Société de Jouets Freel pour concevoir et réparer des jouets mécaniques.
Il est décédé à Paris (XIV) le 08 Mars 1988.
EDMOND AUBERT
Edmond Eugène Camille AUBERT est né au Lude le 22 Septembre 1881 du mariage d'Eugène Louis François AUBERT et Aimée Marie Françoise PELTIER.
En 1884, son père fut nommé notaire à Herbault où il passa sa jeunesse et son adolescence. Nous possédons plusieurs photographies faites par Me Eugène AUBERT où nous le voyons en compagnie des demoiselles CUZIN à l'Etang de Pécheux (Histoire d'Herbault) ou en uniforme à l'Ecole Notre Dame des Aydes à Blois où il fut pensionnaire dès l'âge de 8 ans et où il fit toutes ses études.
Il perdit sa mère le 30 Janvier 1901.
Après son bachot qu'il passa le 18 Juillet 1901, il fit son droit à Paris. Il était logé chez sa tante PELTIER et était très lié avec son cousin Henri PELTIER qui préparait alors l'Ecole de Saint-Cyr.
En 1906, il était en quatrième année de droit et demeurait alors 22, rue de Tocqueville (voir sa photo sur sa carte d'étudiant de l'année scolaire 1906-1907).
Après sa licence, il obtint le diplôme de Docteur en Droit, après avoir soutenu sa thèse sur "Les Fruits Civils" le 14 Janvier 1908.
Avant d'entreprendre ses études de droit, il avait fait son service militaire comme "dispensé", puisqu'étant étudiant il avait le droit de ne faire qu'un an de service au lieu de trois.
Il fut incorporé au 113e régiment d'Infanterie à Blois le 14 Novembre 1902 jusqu'au 19 Septembre 1903. Il faut nommé sergent-major le 22 Septembre 1914.
D'après son livret militaire, il avait les cheveux et sourcils noirs, les yeux gris-bleu, le front ordinaire, le nez moyen, la bouche moyenne, le menton rond, le visage ovale. Il mesurait un mètre soixante six, savait lire et écrire, mais ne savait pas nager.
En même temps que ses études de droit, il fit son stage de clerc de notaire à l'Etude de Me PRUDHOMME à Paris où il se fit plusieurs amis, notamment Me MANCELLIER, depuis notaire à Orléans. Puis, il continua en qualité de 1er clerc chez Me FAROUX, notaire à Paris du 05 Novembre 1908 au 05 Novembre 1909 puis de clerc hors rang dans la même Etude, jusqu'au 14 Février 1910.
C'était alors un jeune homme élégant et distingué, ainsi qu'il apparaît sur une photo de cette époque. Il a d'ailleurs toujours été très soigneux de sa tenue vestimentaire et ne manquait pas de distinction.
Ayant passé sa thèse de Doctorat en droit et obtenu son diplôme de Notaire, il épousa à l'Eglise Saint-Nicolas de Blois, le 28 Juin 1910, Rachel Marie Georgette MORIN, fille unique d'Henri MORIN et de Céline TAVERNIER.
Il résulte de son contrat de mariage reçu par Me DELAGRANGE, notaire à Blois, le 21 Juin 1910, au domicile de Monsieur et Madame MORIN et en présence de son père, de Madame Adrienne HILBERT, sa deuxième épouse et de son jeune frère Roger AUBERT, qu'il avait acquis les 12 Mars et 31 Mai 1910 l'Etude de Me ROLLAND, notaire à Vendôme, moyennant le prix de 100.000 Frs payé à concurrence de 55.000 Frs comptant, le jour de sa prestation de serment (18 Juin 1910) le surplus devant être payé en 5 ans avec intérêts de 4 %.
Il possédait le mobilier de la chambre à coucher qui garnissait son appartement de la rue de Tocqueville, une obligation de 400 Frs de la ville de Paris et une maison à Vendôme, 2 rue au Blé, qu'il avait acquise suivant acte de Me ROLLAND du 14 Avril 1910, moyennant le prix de 28.000 Frs payé comptant, et dont il fit apport à sa communauté.
Mademoiselle Rachel MORIN apportait en mariage : diverses valeurs de bourse pour un montant de 8.493 Frs et ses parents lui constituaient une dot de 120.000 Frs, outre son trousseau évalué à 5.000 Frs.
En réalité, l'Office de Notaire et la maison de Vendôme avaient été payés par Monsieur et Madame MORIN-TAVERNIER ses beaux-parents, en partie à l'aide de la dot faite à leur fille.
Me Edmond AUBERT fit aussitôt de nombreux travaux dans la maison de la rue au Blé, sur les conseils de son beau-père et aménagea les bureaux de l'Etude dans leur état actuel (1977) à l'emplacement d'une remise à voitures.
Le 08 Septembre 1911 naissait son fils, Jacques Marie Edmond AUBERT.
Les premières années du mariage AUBERT-MORIN se présentaient donc sous d'excellents auspices : une bonne Etude (alors la meilleurs de Vendôme), une maison agréable et une premier enfant.
Malheureusement, la guerre de 1914 vint perturber le bonheur du jeune ménage.
En effet, Edmond AUBERT est mobilisé le 03 Août 1914 au 113e régiment d'Infanterie à Blois.
Il confie la gérance de son Etude à Monsieur Gustave DESPRES, son clerc, qui la gérera jusqu'à sa démobilisation en 1918.
Au début de l'hiver 1914-1915, sa femme et son fils viennent habiter chez Monsieur et Madame MORIN à Blois, où il vient les rejoindre chaque soir. Monsieur et Madame MORIN étaient partis passer l'hiver à Menton, comme ils le faisaient depuis quelques années.
Le 03 Février 1915, il quitte Blois avec son régiment pour monter au front.
Quelques jours après ce départ, naît à Blois, 9 rue des Lices, dans la maison de Monsieur et Madame MORIN, le 15 Février 1915, sa fille, Monique Aimée Solange AUBERT.
Il est nommé sous-lieutenant le 03 Juin 1915 et est grièvement blessé à la colonne vertébrale le 15 Juillet 1915 au "Chemin des Dames".
"Plaies de la région dorso-lombaire avec présence de projectiles sous-cutanés de la région lombaire par éclats d'obus. Plaies multiples par éclats d'obus à la face, à l'épaule et au bras droit. Plaie du pied gauche par éclats d'obus extraits à Bourges"
lit-on sur un certificat de visite établi à l'hôpital militaire de Bellac le 19 Juillet 1915. Certains de ces éclats d'obus ne seront extraits que vers 1925 !
Après sa convalescence, il repart au front le 28 Janvier 1916 avec le 313e régiment d'Infanterie. Au début de l'année 1917, il bénéficie d'une permission qu'il vient passer à Menthon, auprès de ses beaux-parents où sa femme et ses enfants étaient venus passer l'hiver. Mais il remonte bientôt en ligne et il est blessé à nouveau près de Verdun "au sud de la Ville au Bois" entre Craonne et Berry en Bac, lors de l'attaque de Champagne, le 16 Avril 1917, par éclat d'obus au genou droit. Il est soigné à Tours, à l'hôpital Saint-Gatien, qu'il quitte le 20 Juillet 1917. D'après un témoignage d'un soldat de sa section, Monsieur ELLIAUME qui demeurait depuis 11, impasse Jean Jaurès à Vendôme, recueilli le 16 Décembre 1978, alors qu'il était âgé de 90 ans, blessé en même temps que lui, il fut atteint par des éclats d'un obus de 105 après avoir franchi le parapet de sa tranchée avec sa section (26e compagnie, Capital SOUTIF). Il fallait progresser par bonds de 100 mètres en 4 minutes en collant à un tir d'artillerie qui se déplaçait à cette cadence.
Il avait été nommé Lieutenant le 03 Juin 1917 et décoré de la Croix de Guerre le 28 Avril 1917 à l'Ordre de la Neuvième Division, avec la citation "Officier remarquable, d'une bravoure et d'un sang froid rares. Le 16 Avril 1917 a brillamment entraîné sa section à l'assaut de la première ligne ennemie ; blessé au moment où sous le feu violent de mitrailleuses il entraînait ses hommes à l'assaut d'un fortin puissamment organisé - Déjà blessé".
Le 15 Août 1917, il est "détaché à la Mission Militaire française rattachée aux armées britanniques" à Montreuil sur Mer. Il est affecté à l'Etat Major des armées franco-britaniques où la vie de bureau auprès des officiers anglais, dont il apprécie la distinction, lui fait oublier l'enfer de Verdun. Il sera décoré de la "Military-Cross".
Il bénéficie d'une permission en Octobre 1918 et reçoit à Vendôme, son père qui y décède le 20 Octobre. Il semble qu'il ait fait alors prolonger sa permission et qu'il ne soit pas retourné au quartier général des armées britaniques à Montreuil sur Marne. Son ordre de démobilisation est daté du 20 Février 1919.
Il va alors reprendre la direction de son Etude et s'occuper en même temps de la gestion et de la vente de l'Eutde de son père à Herbault, ainsi que de l'éduction de son frère Roger, dont il est nommé tuteur.
Par décret du 05 Novembre 1928, il est nommé Chevalier de la Légion d'Honneur.
De 1919 à 1939, la vie des époux AUBERT-MORIN se déroule paisiblement à Vendôme, partagée entre l'activité professionnelle et l'éducation des deux enfants. Presque chaque été, ils passent leurs vacances au bord de la mer en Bretagne et surtout à la Baule. En 1936, ils font avec leurs enfants un voyage en Italie du Nord et à Venise, qu'ils prolongent par un séjour à la Baule. Ils avaient plusieurs amis intimes à Vendôme, notamment Monsieur Jean ROLLAND, fils du prédécesseur de l'Etude, le ménage HAMAR et le ménage LEMAIGNEN. Ils allaient fréquemment à Blois chez Monsieur et Madame MORIN, père et mère de Madame AUBERT.
Edmond AUBERT, conserva jusque vers 1927 la vieille auto Clément Bayard de son père. Puis, il acheta une 6 CV Renault et vers 1936, une autre voiture Renault "Primastella 16 CV".
Nommé Président de la Chambre des Notaires de Loir et Cher en 1933, Edmond AUBERT participa ensuite activement à la mise en place du régime de la "garantie collective" des notaires dans le ressort de la Cour d'Appel d'Orléans et fut nommé membre délégué de cette Cour à "l'Association Nationale des Notaires de France", (qui devait devenir le Conseil Supérieur du Notariat) de 1936 à 1939. Il fit alors de nombreux voyages à Paris, auprès de cet organisme. Il était souvent accompagné de sa femme et y rencontrait son fils, alors étudiant à la Cité Universitaire, puis clerc stagiaire à l'Etude de Me BAUDIN, notaire à Vanves.
Le 24 Juin 1933, il acheta une maison à Vendôme, 20 rue des Quatre Huyes, qui appartenait à un de ses clients, moyennant le prix de 106.000 Frs, qui sera attribuée à Madame PAPIN, sa fille, en vertu du partage de sa succession, reçu par Me TRICAUD, notaire à Vendôme, le 29 Septembre 1945.
Le 08 Août 1939, il acheta par acte de Me GENTY, notaire à Villiers sur Loir, un verger, route de Blois à Vendôme, qui sera attribué à son fils en vertu du même partage.
En 1939 ont lieu les fiançailles de sa fille Monique avec le Docteur Jean PAPIN, alors sous-lieutenant au service de santé au Mans, né à Morlaix le 22 Octobre 1912, du mariage de Monsieur Michel Marie Ernest PAPIN, Pharmacien à Lanmeur (Finistère) avec Madame Marie LEBRETON. Le mariage devait être célébré à Vendôme le 02 Septembre 1939 et le Docteur PAPIN devait s'installer médecin à Mamers. Malheureusement la guerre de 1939-1945 vint retarder ce mariage qui ne fut célébré que le 04 Mars 1941 après le retour de captivité de Jean PAPIN.
Le 15 Juin 1940, à la suite de l'avance des armées allemandes et à la veille du bombardement de Vendôme, Monsieur et Madame AUBERT et leur fille prennent le chemin de l'exode qui les conduit à Bellac où Edmond AUBERT avait été hospitalisé à la suite de sa blessure de 1915.
Ils ne rentrent à Vendôme qu'environ un mois après, trouvant leur maison très endommagée par les bombardements et en partie pillée. Les locaux de l'Etude et les archives étaient heureusement intactes. Ils sont sans nouvelles de leur fils et de leur futur gendre, alors prisonniers. Jacques AUBERT mobilisé le 28 Août 1939, avait quitté ses parents le 02 Mai 1940 pour rejoindre le 66e régiment d'Infanterie auquel il venait d'être affecté à Châteauroux, comme aspirant. Son père le conduisit à la gare de Blois et c'est la dernière fois qu'ils se virent.
Les fatigues de l'exode, les suites de ses blessures de la guerre 1914-1918 et les perturbations de la guerre de 1939-1940 (la maison de la rue au Blé avait été partiellement occupée par des réfugiés de Paris au début de la guerre, puis par un officier allemand), les soucis de la captivité de son fils dont il fut plusieurs mois sans nouvelles, affaiblirent la santé d'Edmond AUBERT, qui décéda brusquement d'une congestion cérébrale le 25 Mai 1941, à peine 3 mois après le mariage de sa fille.
La gérance de l'Etude fut confiée à Me TRICAUD, notaire à Vendôme, qui la conserva jusqu'au retour de captivité de Jacques AUBERT, le 15 Juin 1945 et sa prestation de serment (22 Février 1946) après qu'il eut passé son examen de notaire à Orléans.
Il résulte de sa déclaration de succession, que la communauté AUBERT-MORIN possédait, outre la maison de Vendôme, 2 rue au Blé, celle de Vendôme, 20 rue des Quatre Huyes louée à différents locataires, le verger de la route de Blois, différents soldes de comptes et prorata, un portefeuille de valeur de bourse s'élevant à 485.191 Frs.
Madame AUBERT-MORIN possédait la maison 9, rue des Lices à Blois, héritée de ses parents et louée à Monsieur MADELIN, conservateur des eaux et forêts, qui l'achètera en 1962, différentes valeurs de bourse provenant de la succession des ses parents, s'élevant à 194.424 Frs.
Après le décès de son mari, Madame AUBERT continua à habiter à Vendôme, 2 rue au Blé, avec son fils et sa belle-fille jusqu'en 1956, date à partir de laquelle elle alla habiter chez sa fille à Mamers où elle décéda le 09 Août 1968 d'un congestion pulmonaire à la suite d'une fracture du bassin consécutive à une chute.
Par acte de Me CHEVALLIER, notaire à Mamers du 28 Mai 1956, elle avait donné à son fils, la maison 2, rue au Blé à Vendôme et à sa fille, la maison 9, rue des Lices à Blois.
Sa succession comprenait un petit portefeuille de valeurs de bourse s'élevant à 44.274 Frs qui fut partagé entre ses deux enfants.
Elle est enterré avec son mari au cimetière de Vendôme, dans une concession perpétuelle (n°22, lettre M, 4e section) qu'elle avait acquise le 05 Novembre 1941 et sur laquelle elle fit édifier la tombe de son mari.
Histoire des Familles
Aucher et Porcher
Bezard
Demezil
Breton et Ferron
Lemaignen
Familles Aucher et Porcher
Une abondance de documents permet de reconstituer la généalogie et la fortune des familles AUCHER et PORCHER depuis la première moitié du XVIIIe siècle, grâce aux titres de propriété, contrats de mariage, inventaires et partages retrouvés à peu prés au complet.
Les alliances entre ces deux familles à la fin du XVIIIe siècle puis au début du XIXe siècle, de même que leurs alliances avec la famille LEMAIGNEN révèlent l'existence d'une société bourgeoise assez fermée, implantée d'abord en Sologne puis à Blois et dans la région de Vendôme.
Ce sont originairement des familles de marchands dont les enfants deviennent parfois notaires ou fonctionnaires, ou vivent, au XIXe siècle, des revenus de leur fortune immobilière.
Ces familles, après s'être ramifiées, puis alliées à la Famille LEMAIGNEN, ne semblent avoir laissé aucun descendant du nom de AUCHER ou PORCHER à la fin du XIXe siècle.
I - FAMILLE AUCHER
Cette famille était originaire de Montrichard ou des environs. Nous en trouvons la première trace dans une vente du 13 Avril 1670 par la famille JOBINET à François REGNARD ou RENARD, aide échanson de la maison du Roy d'une maison à Fauvras (Favras) paroisse de Feings (les titres antérieurs de cette maison en la personne de la famille JOBINET remontent au 28 Novembre 1623).
Ce François RENARD eut trois enfants dont :
a) François RENARD, écuyer, conseiller du Roi, prévôts de Montrichard, propriétaire de la Closerie de Favras décédé avant 1728.
Il épousa en premières noces ............. dont il eut deux enfants :
1°) Marie RENARD, épouse de Jean BLOTTIN, décédée avant 1759, qui eut elle-même une fille : Marie Anne BLOTTIN, épouse de François René (ou René Pierre) BOISTARD, conseiller du Roi, Lieutenant en l'élection de Loches.
2°) François RENARD, bourgeois à Feings, époux de Anne ROTTE.
Et, en secondes noces : Jeanne CERE, décédée en 1758, dont il eut quatre enfants :
1°) Jeanne Victoire RENARD, veuve en 1762 de Jacques LEFEVRE (avait en 1762 une fille mineure également prénommée Jeanne Victoire).
2°) Hélène RENARD, décédée célibataire avant 1758.
3°) François (ou Jean) Louis (ou Solain) RENARD, disparu depuis 1742.
4°) Madeleine RENARD, veuve en 1773 d'Innocent (ou Vincent) COLAS.
b) Catherine Marguerite RENARD, décédée avant 1759, épouse de Jean-Baptiste AUCHER, procureur du Duché Pairie de St-Aignan en Berry.
(Il existait aussi une Françoise RENARD, demeurant à CHEMILLE en Touraine, décédée avant 1780, célibataire, qui était peut être la fille d'un troisième enfant du premier François RENARD).
Jean-Baptiste AUCHER et Catherine Marguerite RENARD eurent quatre enfants :
1°) Jeanne Victoire AUCHER, épouse d'Antoine TRINQUART, orfèvre à Blois (un TRINQUART était orfèvre à Blois, 9 rue du Pont en 1822).
2°) Marie AUCHER, épouse de François Marin CHALMET, orfèvre à Blois.
3°) Jean-Baptiste MAMER-AUCHER, mineur en 1759.
4°) François AUCHER, marchand cirier chandelier au Bourg Neuf à Blois, décédé avant 1786 qui épousa Catherine Marguerite LEMAIGNEN.
François AUCHER époux de Catherine Marguerite LEMAIGNEN rachète, de 1757 à 1773 les parts et portions appartenant à ses cohéritiers (François RENARD-ROTTE, Jeanne Victoire AUCHER, Jean-Baptiste MAMER-AUCHER, Françoise RENARD, Marie AUCHER, Marie Anne BLOTTIN, veuve LEFEVRE née CERE, Jeanne Victoire LEFEVRE, Hélène RENARD et Madeleine RENARD épouse COLAS) dans la Closerie de Favras acquise par le premier François RENARD en 1670. Ces rachats n'ont pas été sans difficultés ainsi qu'il résulte des nombreux actes et procès réunis sous la chemise "Closerie de Favras".
Les 11 Mars 1775 et 26 Décembre 1777, il achète encore diverses parcelles de friches et bois pour agrandir cette Closerie.
François AUCHER et Catherine Marguerite LEMAIGNEN eurent trois enfants :
1°) Victoire AUCHER qui épouse Jean Pierre Paul Daniel LANGE et dont la descendance est inconnue.
2°) Marguerite Marie AUCHER, née le 31 Octobre 1765, décédée à Blois le 30 Avril 1853 qui épousa en Février 1786 Jean-Louis PORCHER (voir famille PORCHER ci-après).
3°) François Georges AUCHER, négociant à Blois.
François AUCHER est décédé avant 1786 et sa femme Catherine Marguerite LEMAIGNEN après 1787.
François Georges AUCHER eut un fils : Louis Coradin AUCHER, né à Blois en 1798, décédé à la Sistière près de Cour-Cheverny le 22 Janvier 1867, époux de Marie Anne Nelly LEMAIGNEN, née à Blois en 1803, fille des époux LEMAIGNEN-DESMARAIS-DUFAY et soeur d'André LEMAIGNEN-BARAULT dont son issus les LEMAIGNEN de VEILLENES.
Louis Coradin AUCHER et Marie Anne Nelly LEMAIGNEN eurent quatre enfants :
1°) Edouard AUCHER, né le 05 Mai 1822, décédé le 14 Septembre 1828.
2°) Edmond AUCHER, né le 04 Février 1825, décédé le 18 Septembre 1837.
3°) Louis Maxime AUCHER, né le 30 Mai 1830, décédé sans enfant à la Sistière commune de Cour-Cheverny le 17 Décembre 1891, époux de Marie Claire GRAVIER, ayant demeuré 16, rue d'Aumale à Paris.
4°) Louis James AUCHER, né le 24 Septembre 1840, conseiller de préfecture au Mans, époux de Edma Marie Pauline PERRET, décédé sans enfant à Paris le 29 Janvier 1901.
Il était propriétaire de la ferme de la Carmenterie à Villeromain. Sa veuve décédée à Paris, 7 avenue Friedland le 12 Juillet 1925, laissant pour héritière sa nièce, Emma Marie BACHELIER, épouse de Gaston Ferdinand POUPINEL, docteur en médecine, 97 rue de Trocy à Paris. (Voir dans "titres de propriété de Périgny" : acquisition POUPINEL de 1928).
La famille AUCHER était donc originairement une famille de fonctionnaires royaux dont la seule propriété immobilière que nous lui connaissions est le Closerie de Favras à Feings (près du château du Marquis de Favras).
Les enfants AUCHER deviennent dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle marchands à Blois (orfèvres ou épicier) et l'un d'eux (François AUCHER) s'allie avec la famille LEMAIGNEN. Une fille de François AUCHER (Marguerite Marie) épouse Jean-Louis PORCHER et apporte ainsi la Closerie de Favras à la famille PORCHER.
Cette famille s'éteindra à la fin du XIXe siècle avec les enfants de Louis Coradin HAUCHER (lui-même petit-fils de François AUCHER-LEMAIGNEN) qui avait épousé une fille d'une autre branche de la famille LEMAIGNEN.
Il ne reste de la famille AUCHER-LEMAIGNEN qu'un imposant et fastueux monument funéraire, composé d'une chapelle centrale et de deux chapelles latérales dans l'allée principale du cimetière de Blois.
II - FAMILLE PORCHER
Le premier document qui nous soit parvenu concernant la famille PORCHER est le contrat de mariage reçu par Me THIBAULT, notaire à St-Dyé sur Loire, le 27 Décembre 1756, de Louis PORCHER, marchand épicier à Romorantin, fils mineur du défunt Etienne PORCHER, en son vivant boulanger pâtissier à Romorantin et de Françoise ROBILLARD, avec Marguerite CHAPEAU, mineure, fille de Sacré CHAPEAU, décédé, en son vivant marchand et de Geneviève POTHIN demeurant à St-Dyé sur Loire.
Ce contrat de mariage est reçu en présence de :
- François PORCHER, frère du marié.
- Barthélémy Sacré CHAPEAU, frère de la mariée.
- Pierre LEROY, marchand à Mer, à cause de Louise GERVAIS, décédée, sa première épouse, cousine germaine de la mère de mariée du côté paternel.
- Marie ROUILLON, veuve de Guillaume THIBAULT, cousin germain de la mariée du côté maternel.
- Joseph THIBAULT, notaire royal à St-Dyé sur Loire et Marie Catherine POTHIN, son épouse, cousine germaine de la mariée du côté maternel.
- Antoine POTHIN, marchand à St-Dyé sur Loire, cousin au même degré.
- Louise THIBAULT, veuve de Thomas POTHIN, lequel est cousin au même degré.
- Louise et Catherine POTHIN, leurs filles.
- Marie Madeleine THIBAULT et Jean Baptiste THIBAULT, frère et soeur du notaire, cousins du troisième au quatrième degré.
- Madeleine BISIEUX, épouse PORCHER.
- Jean Baptiste Armand PORCHER et Marie Madeleine PORCHER, leurs enfants.
- Marie Madeleine THIBAULT, veuve de Jacques BISIEUX et Dié BISIEUX, son fils.
De ce mariage naissent :
1°) A Romorantin, le 12 Mai 1758, Jean-Louis PORCHER.
2°) Françoise Marguerite PORCHER, qui épousera Michel Joseph MARTIN, corroyeur à Orléans, sans descendance connue.
Le 17 Mars 1760, les époux PORCHER-CHAPEAU achètent de Pierre BARRON, maître patissier traiteur à Romorantin et de Catherine Cécile LOMBARD, son épouse, une maison prés de la Porte de Blois à Romorantin qui restera longtemps la propriété de la famille PORCHER-AUCHER.
Cette maison appartenait à la famille LOMBARD et Denis CHESNAY depuis plus d'un siècle (premier titre du 23 Juillet 1647). Il existe un volumineux dossier des titres de propriété, ininterrompu depuis cette date. Elle avait été presque entièrement reconstruite en 1675 (voir titre du 12 Mars 1675) aux termes duquel Denis CHESNAY, fils du précédent, s'engage à reconstruire cette maison avant le 24 Juin 1675 et a en laisser la jouissance à la venderesse et à sa fille leur vie durant, avec tous les détails du "rebatissement et réparations" de cette maison.
Un long procès se déroule de Janvier 1702 à Avril 1707 au sujet d'une cours commune de cette maison et d'immondices obstruant un ruisseau la longeant.
Une rente viagère avait été constituée sur cette maison au profit d'une demoiselle Marie Marguerite GRANDJEAN qui voulait, en abondonnant à Pierre BARRON, alors propriétaire, une somme de 600 livres à charge d'une rente de 30 livres par an, se procurer "une vie plus commode et gratieuse". Mademoiselle GRANDJEAN est décédée le 24 Juin 1789 et le dernier terme de la rente fut payée par Louis PORCHER et ses héritiers le 13 Juillet 1789.
Françoise ROBILLARD, veuve d'Etienne PORCHER, mère de Louis PORCHER, décède le 26 Juin 1772 et le 13 Août 1772 intervient un partage de sa succession et de celle de son mari entre :
- Etienne PORCHER, marchand tanneur.
- François PORCHER, marchand boulanger pâtissier.
- Louis PORCHER, marchant épicier.
- Françoise PORCHER, épouse de François VILPOUX (ou VILLEPOU), marchand boulanger.
Leur quatre enfants, demeurant tous à Romorantin.
Aux termes de ce partage, le lot n°3 est échu à Louis PORCHER ; il comprenait :
- Une locature appelée "le Grand Village" à Selles St Denis.
- Le pré des Quintaines, le long de la Saudre à Romorantin.
- Le pré "Cadou et Sabort" aux Crotets à Romorantin.
- Une maison à Romorantin, rue Ravelin.
- Une petite maison, rue de Limousin à Romorantin.
- Une autre maison, même rue.
- Une pièce de terre aux Crotets à Romorantin.
- Trois journaux de mauvaise vigne au Clos des Verdons à Lanthenay.
- Un petit pré de taillis appelé la Malcottière paroisse de l'Hôpital.
- Plusieurs rentes foncières.
Les trois autres lots, de même valeur, avaient une composition semblable (métairies, maisons, terres et prés et rentes).
Les époux PORCHER-ROBILLARD étaient propriétaires de quatre métairies, d'une dizaine de maisons, terres, prés, bois et rentes foncières.
Le 21 Février 1786, Me LEMAIGNEN, notaire à Blois reçoit le contrat de mariage de Jean-Louis PORCHER, fils majeur de Louis PORCHER, marchand épicier à Romorantin et de Marguerite CHAPEAU, avec Marguerite Marie AUCHER, fille mineure du défunt François AUCHER et Catherine Marguerite LEMAIGNEN, marchande épicière à Blois, paroisse St Honoré. (Ce sont sans doute leurs portraits en pastel qui se trouvent dans la chambre à côté de la salle de bain à Périgny).
Etaient présents à la signature de ce contrat, du côté du marié :
- Louis PORCHER et Marguerite CHAPEAU.
- François VILLEPOU, veuf de Françoise PORCHER.
- Michel Joseph MARTIN, marchand tanneur à Romorantin, veuf de Marguerite Françoise PORCHER.
- Barthélémy Sacré CHAPEAU, oncle maternel du marié.
- Françoise Marguerite et Madeleine Jeanne VILLEPOU, ses cousines germaines.
- Françoise, Thérèse, Marguerite, Marie-Louise et Sacré Barthélémy-Gabriel CHAPEAU, ses cousins et cousines germaines.
- Louis François GIDOUIN, bourgeois à Blois et Marie Thérèse Gabrielle CASSIN, son épouse.
- Louis Joseph GIDOUIN, marchand à Blois et Suzanne Madeleine DEMARDIERE, son épouse, amis.
Et du côté de la mariée :
- Marguerite DELAUNAY, veuve de Benoist Nicolas LEMAIGNEN, son aïeule maternelle.
- François, Georges et Victoire AUCHER, ses frères et soeur.
- Antoine TRINQUART, marchand orfèvre à Blois, son oncle paternel à cause de Jeanne Victoire AUCHER, son épouse.
- François Marie CHALMET, marchand orfèvre à Blois, son oncle paternel à cause de Marie AUCHER, son épouse.
- Benoist Pierre LEMAIGNEN, marchand épicier à Blois, son oncle maternel et Marianne BRUERE, son épouse.
- Jean Jacques Clément LEMAIGNEN, son oncle paternel et Françoise Geneviève AMAURY, son épouse.
- Pierre BRUERE, marchand quincaillier à Blois, son oncle paternel à cause de Marie Louise Marguerite LEMAIGNEN, son épouse.
- André Pierre LEMAIGNEN, son oncle paternel et Marie GAILLARD son épouse.
- Jacques LEMAIGNEN, notaire à Blois, son oncle paternel et Jeanne MORIET, son épouse.
- Michel Roger, marchand commissionnaire à St-Dyé sur Loire, son cousin germain à cause de Marie Victoire LEMAIGNEN, son épouse.
- Marianne LEMAIGNEN, sa cousine germaine.
Aux termes de ce contrat de mariage, la mère de la mariée lui constitue en dot une maison à Blois, rue des 3 Clés, qu'elle avait acquise durant son veuvage, le 12 Septembre 1780 et diverses rentes.
Les parents du futur époux lui constituaient en dot la maison qu'ils occupaient à Romorantin près de la Porte de Blois et 4000 livres de marchandises d'épicerie.
La future épouse possédait du chef de son père décédé, François AUCHER, notamment la Closerie de Favras, commune de Feings, acquise par lui à titre de licitation (voir famille AUCHER).
Du mariage du Jean-Louis PORCHER et Marguerite Marie AUCHER naissent deux enfants :
1°) Jean-Louis PORCHER, né à Romorantin le 02 Septembre 1787.
2°) Emelie Marguerite PORCHER, à née à Romorantin le 09 Janvier 1793.
Jean-Louis PORCHER décède à l'âge de 53 ans, le 1er Septembre 1811 à Romorantin en sa maison, rue des Malards. Sa veuve décédera à Blois, 52 rue du Bourg Neuf, le 30 Avril 1853 à 88 ans.
Emelie Marguerite PORCHER, cinq mois après la mort de son père épouse Pierre Samuel BEZARD, majeur, marchand de draps à Blois, fils de Pierre BEZARD et de Françoise Louise Brigitte LEGRAND.
Il en résulte du contrat de mariage reçu par Me POISSON, notaire à Romorantin, le 03 Février 1812 :
Que les parents du marié constituent en dot à leur fils : une maison où ils habitent à Blois, Porte Chartraine et 5.000 Frs de marchandises.
Que la mère de la mariée lui constitue en dot : la petite et la grande Closerie de Favras, commune de Feings (cette dernière à elle propre) estimées respectivement 3.000 et 8.000 Frs, deux chaudières et serpentins pour distillation d'eau de vie estimés 1.000 Frs, 2.000 Frs de créances sur des tiers, 3.000 Frs en objets mobiliers et 8.000 Frs en eau de vie à raison de 120 Frs la pièce à prendre dans la Closerie de Favras.
Ce contrat de mariage est signé en présence de :
- Monsieur et Madame BEZARD-LEGRAND.
- Louis PORCHER et Marguerite CHAPEAU, aïeux de la mariée.
- Jean-Louis PORCHER, son frère.
- Victoire AUCHER, épouse de Jean Pierre Paul Daniel LANGE, sa tante maternelle.
- Pierre LANGE, son cousin germain.
- Charles COTTEREAU, ami.
Le 27 Février 1812, donc au cours du même mois que le mariage de sa fille, Madame Marguerite Marie AUCHER, veuve de Jean-Louis PORCHER, procède à l'inventaire et au partage de ses biens, entre elle et Jean-Louis PORCHER son fils, travaillant alors chez LEMAIGNEN, notaire à Blois et Madame BEZARD-PORCHER, sa fille, alors mineure, héritiers chacun pour 1/2 de leur père.
Il est procédé à l'inventaire du mobilier de la maison de Romorantin, d'une Closerie à Favelle commune de Montault et de la Closerie de Favras.
Il s'y trouvait notamment :
- 99 draps, 24 douzaines de serviettes, 60 nappes.
- à la Closerie de Favras : 2 chaudières, 75 pièces d'eau de vie, 100 pièces de bon vin, 40 pièces de vin soutiré et 60 pièces de vin piqué.
Les immeubles partagés comprenaient :
- La Métairie de Favelle, commune de Montault,
estimée avec la cheptel 21.000 Frs
- La Métairie du Roti, commune de Montault,
estimée avec le cheptel 8.000 Frs
- Deux près de la Deviserie, commune de Romorantin 2.000 Frs
- La locature de la Deviserie 4.000 Frs
- 1 hectare 26 ares 50 centiares (ou 25 journeaux)
de vigne à Lanthenay 1.500 Frs
- La maison occupée par la veuve PORCHER,
rue des Malards à Romorantin 6.000 Frs
- Deux maison, porte de Blois à Romorantin 4.000 Frs
- La Métairie de la Bouillerie, commune de Poulaine 12.000 Frs
- La Petite Closerie de Favras 3.000 Frs
- Un jardin, fg de Blois à Romorantin 200 Frs
Ce partage confirme l'attribution à Madame BEZARD des deux Closerie de Favras, données en dot par sa mère.
Le 08 Août 1812, il est procédé au partage de la communauté d'entre Marguerite CHAPEAU demeurant à Romorantin et son mari Louis PORCHER décédé à Romorantin le 20 Juillet 1812. Ce partage a lieu entre :
- Madame veuve PORCHER, née CHAPEAU.
- Françoise Marguerite PORCHER, épouse de Michel Joseph MARTIN, corroyeur à Orléans, héritière pour 1/2.
- Jean-Louis PORCHER, majeur, demeurant à Romorantin.
- Madame BEZARD.
Ces deux derniers héritiers pour l'autre moitié de Louis PORCHER, leur aïeul, par représentation de Jean-Louis PORCHER-AUCHER leur père, décédé le 1er Septembre 1811.
L'actif immobilier de la communauté PORCHER-AUCHER comprenait :
- Une métairie à la Poulinerie, commune de Pruniers.
- Une métairie à Chinon, commune de Villerviers.
- Une métairie aux Blanchardières, commune de Marcilly.
- Diverses pièces de vigne à Romorantin.
- Une maison, rue de Paradis à Romorantin.
- Une maison au Cadi à Romorantin.
- Une maison, rue des Limozins à Romorantin.
- Une maison, faubourg de Blois à Romorantin.
L'actif immobilier de la succession de Louis PORCHER-CHAPEAU comprenait :
- Une pièce de terre à l'hôpital, commune de Romorantin.
- Une locature au Grand Village, commune de Selles St Denis.
- Trois journaux de prés aux Crotets, commune de Romorantin.
- Deux maisons, rue des Limozins à Romorantin.
Madame BEZARD reçoit la Métairie de la Poulinière qu'elle vendit le 02 Août 1820 à Charles Valéry BATAILLER, notaire à Romorantin, les deux maisons de la rue des Limozins, le pré des Crotets, des pièces de terre et la maison faubourg de Blois qu'elle vendit le 22 Mai 1839.
Jean-Louis PORCHER-LINGER
Jean-Louis PORCHER, devenu notaire impérial à Blois, demeurant rue Porte Chartraine n°96, épouse à Blois le 29 Janvier 1813 Aurore Marie Catherine LINGER, née à Passy le 12 Fructidor an II du mariage de Samuel LINGER et de Christine Marguerite WILLAUME avec lesquels elle demeurait à Blois, rue d'Angleterre n°18.
Le contrat de mariage est reçu par Me Jean PARDESSUS, notaire à Blois le 28 Janvier 1813.
Le futur époux possédait, outre ses droits dans la succession de son père et dans celle de son grand père :
- Une somme de 11.000 Frs en meubles et argent comptant.
- Une métairie à la Bouillie, commune de Poulaine (Indre).
- Des terres (même commune).
- Une maison à Romorantin, porte de Blois.
La future épouse apportait sa garde robe, divers objets mobiliers et ses parents lui constituaient en dot la somme de 10.000 Frs, une Closerie à la Césardière, commune de Vineuil et une autre somme de 15.000 Frs.
Etaient présents au contrat de mariage ou au mariage :
- Madame veuve PORCHER-AUCHER, mère du marié.
- Madame BEZARD, sa soeur.
- François Georges AUCHER, son oncle.
- Jean Pierre Paul LANGU, son oncle, époux de Victoire AUCHER.
- Jacques LEMAIGNEN, ancien notaire à Blois, son grand oncle et Jeanne MORIET, son épouse.
- Jacques BRUERE, aîné, secrétaire de la mairie de Blois, son cousin.
Le 1er Avril 1818 intervient un partage entre :
- Marguerite Marie AUCHER, veuve de Jean-Louis PORCHER.
- Jean-Louis PORCHER, majeur, travaillant chez Me LEMAIGNEN, notaire à Blois (pourquoi n'est-il plus notaire ? Pourquoi LEMAIGNEN qui n'était plus notaire en 1813 le redevenait-il ? Avait-il cédé son Etude à Jean-Louis PORCHER et celui-ci la lui avait-il rétrocédée ? Pour quelles raisons ? Peut-être déjà des difficultés financières).
- Madame BEZARD.
Ces deux derniers, héritiers de Jean-Louis PORCHER-AUCHER, leur père.
On retrouve la Closerie de Favras, les deux chaudières (1.000 Frs), 75 pièces d'eau de vie (9.000 Frs), le tout attribué à Madame BEZARD, 100 pièces de bon vin (2.000 Frs), 40 pièces de vin soutiré (800 Frs) et 60 pièces de vin piqué (800 Frs). Les immeubles étaient les mêmes que ceux compris au partage du 27 Février 1812.
Madame veuve PORCHER-AUCHER vendit la maison de la rue des Malards le 07 Mars 1838 pour aller habiter à Blois, 52 rue du Bourg Neuf où elle décéda le 30 Avril 1853 à 88 ans. (Voir dossier succession de Madame DUTHEIL, créance contre HUAU, débiteur du prix de cette maison qu'il eut bien du mal à payer).
Nous possédons plusieurs lettres de Madame veuve PORCHER-AUCHER et de nombreux comptes qu'elle tenait scrupuleusement de la gestion de ses immeubles et de ses créances hypothécaires. Son écriture est serrée, pesante et autoritaire. Elle semble avoir eu un caractère dominateur notamment vis-à-vis de son fils Jean-Louis PORCHER, sans doute en raison de ses déboires financiers. Il ne faisait d'ailleurs rien sans la consulter. On a l'impression que cette "Mater Familias" qui n'en finissait pas de mourir, était la gardienne des traditions des familles PORCHER et AUCHER et tenait tous les siens en tutelle.
Après son décès, il fut procédé le 21 Janvier 1854 entre ses enfants (Jean-Louis PORCHER habitait alors à Paris, 4 rue de Moscou) au partage. Il est attribué à Madame BEZARD une maison a Blois, 24 rue Chemonton, acquise par sa mère le 05 Septembre 1846 et une Closerie à Beauregard, lieu-dit les Grouets, commune de Blois (76 ares avec la maison de maîtres) acquise également par sa mère. Ces deux immeubles furent vendus par adjudication le 10 Juillet 1853 (voir affiche de vente).
Jean-Louis PORCHER reçoit aux termes de ce partage : une créance de 2.000 Frs et une soulte de 6.000 Frs contre sa soeur.
Le même jour (21 Janvier 1854), il est procédé entre les deux enfants au partage de 141.680 Frs de créances hypothécaires appartenant à leur mère.
Décès de Madame PORCHER-LINGER
De son mariage avec Aurore Marie Catherine LINGER, Jean-Louis PORCHER eut deux enfants :
1°) Louis Samuel, né à Blois le 23 Septembre 1814, décédé à Blois, Grande Rue à 17 jours le 09 Octobre 1814.
2°) Laure Marie, née à Blois le 1er Décembre 1816.
Madame PORCHER-LINGER décède à Etampes, le 16 Juillet 1832. Le 22 Juillet 1833, son mari lui achète une concession dans le cimetière d'Etampes par acte de Me HAUTEFEUILLE, notaire à Etampes. Nous ignorons pourquoi elle est décédée à Etampes. Les époux PORCHER-LINGER habitaient Blois.
Madame PORCHER-LINGER avait fait le 1er Septembre 1815 un testament, déposé aux minutes de Me PARRAIN, notaire à Blois, le 29 Juillet 1832, léguant à son mari tous ses bien meubles et l'usufruit de ses immeubles.
Jean-Louis PORCHER fait réunir le 24 Décembre 1835 le conseil de famille de sa fille Laure. Les membres de ce conseil sont :
- Madame veuve PORCHER-AUCHER, demeurant alors à Blois, rue Porte Côté.
- Pierre Samuel BEZARD.
- Me Léon LEMAIGNEN, avocat à Blois, son cousin germain, fils de Madame BEZARD-PORCHER.
- Mathieu Etienne Sébastien CHABANNE, propriétaire, demeurant à Paris, 323 rue Saint-Honoré, grand oncle de la mineure à cause de Dame WILLAUME, son épouse.
- Me Auguste PARRAIN, notaire à Blois, ami.
- Louis Auguste MONTS, propriétaire à Blois, ami.
Le subrogé tuteur est Pierre PEAN, ancien secrétaire de Jean-Louis PORCHER.
En vertu des décisions de ce conseil de famille, une transaction est signée devant Me PARRAIN, notaire à Blois, le 02 Janvier 1836, réglant la succession de Madame PORCHER-LINGER. Cette transaction est homologuée par le Tribunal Civil de 1ère Instance de Blois le 07 Janvier 1836 après consultation conformément à la loi de 3 Jurisconsultes. (Les choses allaient vite à cette époques). Il en résulte que Jean-Louis PORCHER avait fait des dépenses considérables sur les biens de sa femme (transformation entière de la maison, rue d'Angleterre à Blois et création d'un jardin d'agrément à la Maison des Grouets). Aux termes de cette transaction, Jean-Louis PORCHER renonce à son usufruit et au paiement des impenses qu'il a engagées. Sa fille renonce à exercer les reprises auxquelles la succession de sa mère a droit.
Elle reçoit la pleine propriété de la fortune mobilière et immobilière de sa mère et elle renonce à la communauté de chef de sa mère.
Le 11 Novembre 1840, Jean-Louis PORCHER rend à sa fille son compte de tutelle devant Me DELAPLAME, notaire à Paris (il habite alors à Paris, rue Royale Saint-Honoré n°20). Il en résulte que Laure PORCHER avait recueilli dans la succession de sa grand-mère, LINGER-WILLAUME, décédée le 23 Juin 1833 (son mari était décédé le 06 Septembre 1827) diverses créances hypothécaires notamment contre Jean Baptiste ROGER et Marie Françoise Louise Adélaïde BELLENOM, son épouse, demeurant à Saint-Dyé, Dominique Henri Marcou ROGER et Marie Clotilde BERGERON, son épouse, demeurant à Saint-Dyé, TRINQUART-BERNIER, libraire à Paris, de l'argent comptant, du mobilier, une maison à Blois, 18 rue d'Angleterre et une Closerie dite Le Coquet aux Grouets, commune de Blois.
L'AFFAIRE RIFFAULT
Jean-Louis PORCHER avait acheté le 10 Juin 1819 de Monsieur EGRET-LEMAITRE une maison à Blois, 17 Quai du Département et il la fait ravaler (demande à la mairie du 02 Janvier 1821).
Il achète également, à une date indéterminée, une maison à Blois, rue des Juifs.
Le 31 Octobre 1828, il vend à Jeanne MORIET, veuve de Jacques LEMAIGNEN, notaire à Blois chez qui il avait été clerc, l'usufruit sa vie durant de la maison, 17 Quai du Département, moyennant 10.000 Frs déjà payés en différents versements. Le 31 Octobre 1822, il avait déjà constitué une rente viagère de 600 Frs par an au profit de Madame veuve LEMAIGNEN. N'était-ce pas pour lui rembourser des sommes qu'il lui devait ? Ce qui expliquerait qu'il aurait dû rétrocéder son Etude de notaire à Me LEMAIGNEN.
Le 24 Janvier 1836, il vend par adjudication cette maison à Louis Coradin AUCHER-LEMAIGNEN, marchand à Blois, Faubourg de Foix et à Léon LEMAIGNEN-BEZARD, son neveu, moyennant 14.400 Frs et la charge de continuer la rente au profit de Madame LEMAIGNEN-MORIET. Par la même adjudication, il vend une pièce de terre à Sambin et la maison à Blois, rue des Juifs à un sieur MILLOCHIN. Enfin, toujours en vertu du même procès-verbal d'adjudication, il vend à Monsieur Eugène PEAN-COUPE, la maison Quai du Département, à l'angle de la rue des Jacobins, alors nouvellement construite.
A la même époque, il vend également les biens qui lui avaient été donnés par Madame PORCHER-AUCHER sa mère, notamment la Métairie des Blanchardières.
Ces ventes sont motivées par un revers de fortune de Jean-Louis PORCHER survenu en 1835, dont nous avons l'explication dans une lettre qu'il écrivait le 26 Mai 1835 à son beau-frère, Pierre Samuel BEZARD et à Léon LEMAIGNEN, son neveu.
"Je n'ai pu jusqu'à présent vous écrire ; j'éprouve un battement de coeur qui ne me permet toujours pas de pouvoir écrire, la main me tremble et j'ai peine à tracer les lignes, mais je ne puis résister au besoin que j'ai de m'épandre auprès de vous et de vous remercier de la part que vous avez bien voulu prendre à mes peines... Je connais votre bon coeur, votre amitié pour moi ; vous m'en avez donné une grande preuve en m'encourageant à supporter avec résignation le malheur certain dont j'étais menacé.... C'est bien malgré moi que je vous ai causé du déplaisir ; je vous jure que j'étais loin de me douter d'un tel événement ; mes affaires étaient au-delà de mes espérances ; non seulement je réparais mes pertes mais j'allais amasser quelque fortune, lorsque Monsieur RIFFAULT, par sa trop coupable négligence est venu détruire mon bonheur et celui de ma fille et me faire compromettre les intérêts de ceux qui m'avaient honoré de leur confiance. Heureusement, je n'ai rien à me reprocher. Mes créanciers auront une portion de la fortune de ma fille. Certainement, quand Madame PORCHER me l'a donnée, elle était loin de se douter qu'elle pourrait avoir avec un pareil usage.... Je puis certifier que Blois est perdu pour moi, me voilà exilé... Le malheur ne cessera donc jamais de me poursuivre.... Je voudrais avoir des nouvelles d'Emilie (sa nièce) ; l'époque où elle va avoir le bonheur d'être mère doit approcher....".
Il semble bien résulter de cette lettre qu'il avait déjà eu des revers de fortune (sans doute alors qu'il était notaire) mais il s'en relevait.
Les lettres et documents divers concernant l'affaire RIFFAULT, bien que soigneusement classés et numérotés par sa fille Laure, ont été par la suite dispersés au milieu d'autres documents. Il a été très difficile de les regrouper, ce qui permet de reconstituer cette affaire qui a troublé l'existence de Jean-Louis PORCHER pendant plus de trente ans et lui a fait subir un revers de fortune considérable, au point qu'il fit lui-même au moins deux récits de son différent avec François Paul RIFFAULT.
Il explique que François Paul RIFFAULT et lui-même étaient du même âge. Ils firent l'un et l'autre leurs études au collège de Blois. François RIFFAULT devint notaire à Blois, succédant à son oncle et Jean-Louis PORCHER succéda à Jacques LEMAIGNEN, son grand oncle. Il s'était crée entre eux une grande intimité. Mais à la révolution de 1830,
"François RIFFAULT avait manifesté trop chaudement son opinion, et, par là, indisposé le parti contraire dans lequel se trouvait beaucoup de gens qui lui avaient confié des fonds et finirent pas ne vouloir plus avoir de relations avec lui et lui demandèrent leur argent. Dans le commencement, ces demandes de remboursement n'avaient pas d'autres motifs que la politique, mais elles se succédèrent si rapidement et en une telle quantité que François RIFFAULT finit pas ne plus pouvoir faire des rentrées suffisantes pour faire face aux paiements. D'un autre côté, il n'entendait rien aux affaires et était on ne peut plus négligent et d'une excessive légèreté. Il y avait dans ses affaires le désordre le plus blâmable.
Tous les notaires, d'ailleurs, se mêlaient alors de placements de fonds, ce que le gouvernement a sagement défendu". NIHIL NOVI SUB SOLE !
L'Etude de François RIFFAULT était plus importante que celle de Jean-Louis PORCHER, mais elle périclita rapidement et François RIFFAULT, dès 1831, demanda à son ami et ancien confrère de l'aider. Jean-Louis PORCHER, dans sa grande générosité endossa plusieurs créances de son ami et lui prêta de l'argent.
François RIFFAULT signa ainsi environ 45 billets à ordre au profit de Jean-Louis PORCHER, retrouvés au dossier, pour un montant de plus de 200.000 Frs, ce qui était une somme considérable, entre 1834 et 1835.
Jean-Louis PORCHER commença à s'inquiéter et fit déposer aux minutes de Me PARRAIN, notaire à Blois, le 05 Février 1836 deux déclarations écrites et signées par François Paul RIFFAULT, l'un le 08 Mai 1835, l'autre le 30 Janvier 1836 (daté de Gand en Belgique).
Dans la première déclaration, il écrit :
"Je soussigné déclare qu'ayant toujours administré mes affaires sans ordre, n'ayant tenu aucune écriture .... J'étais lin de me douter de ma position que je trouve incroyable et que je ne puis encore m'avouer moi-même. Lorsque mon crédit s'est affaibli, j'ai prié instamment mon ami Monsieur PORCHER-LINGER de venir à mon secours, ce qu'il fit de la manière la plus obligeante... Sa dette est donc pour moi et ma famille une affaire d'honneur... J'aime à croire que Madame RIFFAULT, mon épouse lui tiendra la parole qu'elle lui a donnée en ma présence... Persuadé maintenant que ma position est désespérée, je supplie ma femme et mes enfants de tenir envers Monsieur PORCHER la promesse qui lui a été faite, mais que ma femme n'a jamais voulu signer, affirmant que sa parole valait un écrit .... etc....".
Dans la seconde déclaration, il expose les modalités des prêts qu'il demanda à son ami.
Dans une autre note, Jean-Louis PORCHER expose que son ami avait une très bonne Etude, bien supérieure à la sienne, qu'il fit un mariage avantageux. Il inspirait confiance, non seulement par sa grande fortune mais encore par son caractère d'honnête homme. Il était d'une société agréable et généralement aimé".
Malheureusement, sa conduite conjugale n'était pas irréprochable.
Jean-Louis PORCHER prétend que son ami lui aurait confié :
"Je n'ai pas été longtemps dans mon mariage sans m'apercevoir que j'avais une femme du caractère le plus acariâtre ; ma maison était devenue un enfer ; à table, elle servait ses enfants, mes clercs et elle, et après avoir écrémé les mets, elle me laissait moi-même me contenter de ce qui restait ....Elle exigeait que je lui remisse le revenu de tous ses biens prétendant qu'ils étaient à elle ... Ces procédés m'ont fait m'éloigner de ma maison et prendre des habitudes ailleurs".
On conçoit que dans ces conditions, Madame RIFFAULT n'ait jamais voulu ratifier les engagements de son mari envers Jean-Louis PORCHER.
Le plus surprenant est que François RIFFAULT, qui a contraint par sa faute Jean-Louis PORCHER à vendre tous ses biens pour payer ses dettes se pose en victime. Il écrit à Pierre Samuel BEZARD, le 1er Juin 1835, de Brest
"La faillite inattendue de Monsieur PORCHER-LINGER, votre beau-frère, m'expose à perdre une créance de 2.000 Frs que j'ai à exercer sur lui"
et il menace de porter plainte au Procureur !
Me PARRAIN, successeur de Jean-Louis PORCHER essaye en vain d'obtenir le cautionnement de Madame RIFFAULT et il apprend que son mari songe à quitter la France, ce qui explique ses voyages à Brest puis à Gand. Jean-Louis PORCHER est allé lui-même à Gand lui faire signer la déclaration ci-dessus du 30 Janvier 1836. Peu après il part définitivement en Amérique où il décédera, laissant sa femme se débrouiller de ses affaires.
Il résulte d'un ouvrage intitulé "TONNELLE et CLOCHEVILLE" écrit par le Chanoine BOSSEBOEUF de Tours (archives départementales de Tours cote G g 379) que François Paul RIFFAULT et Marie Anne Angélique POULVE, son épouse, eurent une fille, Pauline Angélique Amélie, née à Blois le 12 Octobre 1810 qui épousa à Blois le 07 Février 1831 Louis TONNELLE, Docteur en Médecine à Tours. De ce mariage naquit un fils, Louis Nicolas Alfred né à Tours le 05 Décembre 1831.
Ne pouvant rien obtenir de Madame RIFFAULT-POULVE, Jean-Louis PORCHER essaya de s'adresser à Madame TONNELLE, sa fille, mais en vain.
Il semble que ce pauvre Jean-Louis PORCHER ait pris son parti pendant plusieurs années de son infortune.
Il se fait cependant délivrer en 1850 diverses attestations du Juge de Paix de Blois et d'un certain D. LEMAIGNEN, Juge de Paix suppléant et ancien maire de Blois certifiant :
"qu'il s'est toujours conduit de manière à mériter l'estime et la considération de ses concitoyens. Que si des revers de fortune causés par des pertes énormes, résultat de placements imprudemment faits, l'ont forcé à un arrangement avec ses créanciers, ce malheur n'a fait que faire ressortir davantage son honneur, sa probité et sa délicatesse qui sont demeurés sans tâche. Monsieur PORCHER a emporté le regret de tous".
Il résulte d'ailleurs, d'une lettre de Me PARRAIN du 23 Février 1843 écrite à Monsieur De La NOUE, ancien Président à la Cour Royale d'Orléans, ami de Jean-Louis PORCHER, que celui-ci a remboursé ses créanciers à 60, 70 ou 100 %.
Le 21 Février 1860, donc bien longtemps après ces événements, sa fille, Laure lui écrit qu'elle a appris par Madame AUCHER, sa cousine, que Madame TONNELLE, fille de François Paul RIFFAULT aurait l'intention de payer ses dettes. Madame TONNELLE venait de perdre son mari
"Je ne sais même pas trop si ce n'est pas fou qu'il est mort. Il avait une fortune considérable. Puis après ce premier malheur, elle est frappée dans son fils, son unique enfant. Le malheureux jeune homme est emporté par une fièvre typhoïde à 20 et quelques années, au moment où il allait contracter un beau mariage. Sa pauvre mère a donc l'intention, dit-on, d'entrer dans le convent où est déjà sa soeur et leur mère.... Il me semble que par Ernest (LEMAIGNEN) qui pourrait écrire à son cousin DEMEZIL (de Tours), on pourrait savoir quelque chose à ce sujet .....
Aussitôt, Jean-Louis PORCHER reprend espoir et alerte son cousin et ami, D; LEMAIGNEN, juge de paix à Blois. Celui-ci pense qu'il faut prendre Madame RIFFAULT par les sentiments religieux.
Le 28 Mars 1860, Laure écrit à son père qu'elle a lu dans le journal que
"M. TONNELLE, directeur de l'école de médecine de Tours venait de mourir : apparemment il n'était donc pas encore mort lorsque Madame AUCHER m'en a parlé".
Elle ajoute qu'il n'était pas question que Madame RIFFAULT partage les intentions de sa fille de payer ses dettes. Elle est beaucoup trop avare pour cela et ses intérêts pécuniaires prennent le pas sur ses sentiments religieux. On peut compter sur elle "pour réparer tous les maux qu'elle nous a fait".
Ernest LEMAIGNEN écrit le 16 Mai 1862 à Jean-Louis PORCHER qu'il vient d'apprendre que :
"Madame TONNELLE venait de mourir le 13 de ce mois à la Galanterie, commune de St-Cyr sur Loire près de Tours. Il ne reste plus que Madame RIFFAULT et Mademoiselle Janny, sa soeur, toutes deux chez Madame DE LIGNAC, rue de l'Archevêché...".
Le 24 Juin 1862, le journal "La France Centrale" de Tours rapporte que :
"le conseil municipal de Tours a été saisi du testament par lequel Madame TONNELLE a légué à la ville de Tours la nue-propriété (l'usufruit étant réservé à sa mère) de trois fermes, un marché de terres dans le Loir et Cher et la terre des Fontaines en pleine propriété, le tout à charge de fonder une maison de convalescence pour les malades de l'hôpital de Tours et un centre d'apprentissage pour les jeunes".
Si l'on conçoit que les tourangeaux aient donné en reconnaissance de ce legs le nom "Tonnellé" à l'un de leur boulevard, on comprend aussi l'indignation de ce pauvre Jean-Louis PORCHER qui apprend ainsi que toute la fortune TONNELLE lui échappe. Aussi, multiplie-t-il les démarches qu'il avait pratiquement abandonnées depuis 1836.
Il fait intervenir Monsieur HUAU, de Romorantin, son ami et Monsieur BATAILLER, auprès de Madame RIFFAULT. Mais, Madame RIFFAULT ne veut rien entendre ; elle prétend qu'elle s'est dépouillée de tous ses biens au profit de la communauté religieuse où elle vit.
Il lui écrit lui-même une longue lettre le 24 Septembre 1862, relatant tous les faits ci-dessus.
"Plus d'un quart de siècle s'est écoulé depuis les événements terribles qui sont venus nous frapper l'un et l'autre durant ce laps de temps. Plus de d'une fois j'ai été sur le point de rompre le silence ; mais un sentiment que vous apprécierez sans doute ma continuellement fait différé jusqu'à présent.
J'avais pensé, Madame, que d'un moment à l'autre vous prendriez l'initiative à mon égard ; ayant été déçu dans cette espérance, arrivés l'un et l'autre aux limites de notre carrière, j'ai dû mettre un terme à la patience et vous adresser enfin une déclaration de Monsieur votre mari dont je ne doute pas que vous n'ayez jamais eu connaissance.... Je regrette, Madame, de me trouver forcé de vous remettre sous les yeux des événements dont le souvenir doit vous être aussi pénible qu'il l'est à moi-même de vous les relater. La déclaration que vous trouverez ci-jointe est l'historique des faits qui se sont passés entre nous, de vos promesses et de vos engagements envers moi. Je me contenterai de rappeler la visite que nous fimes ensemble à Tours à Monsieur et Madame TONNELLE ; là, en leur présence, et après que vos enfants eurent joints avec instance, leurs prières aux vôtres, pour me décider à ne pas abandonner Monsieur RIFFAULT et de tâcher de la sauver, vous avez, approuvée par eux, renouvelé encore la promesse que vous m'aviez faite plusieurs fois, que je ne perdrai jamais rien avec votre mari, me répétant même que votre parole valait un écrit.... Ce malheur a été le prélude et la conséquence d'un autre non moins cruel : par suite, ma fille a fait un mauvais mariage ; avant trois ans il lui fallait quitter son mari, et revenir demeurer avec son père, sa fortune encore considérablement amoindrie par cette fatale union, et son existence toute brisée....
Les sentiments religieux qui vous animent mettant connus, me font espérer que vous ferez droit à ma juste réclamation et que la pieuse et excellente Demoiselle Janny, votre fille ne sera pas sans vous y engager.... Je suis donc convaincu, Madame, que vous ne voudrez pas quitter cette terre avec le regret de n'avoir pas rendu justice à un viel ami qui était venu avec tant d'empressement que de dévouement à votre secours dans des circonstances si difficiles....".
N'ayant pas reçu de réponse, Jean-Louis PORCHER s'adresse à nouveau à ses amis HUAU et BATAILLER qui vont voir Madame RIFFAULT dans la communauté où elle s'est retirée avec sa fille. Ils n'obtiennent qu'un refus poli. Ils conseillent alors à Jean-Louis PORCHER d'en parler à la Supérieure de la communauté, car Janny (soeur Louise) fera certainement un testament en faveur de cette communauté après le décès de sa mère.
Il ne perd cependant pas courage et, après quelques échanges de lettres avec ses amis et conseillers HUAU et BATAILLER, il fait écrire à Madame RIFFAULT par BATAILLER, le 22 Juin 1865 une longue lettre de six pages reprenant toute la genèse de l'affaire et exposant tous les arguments possibles pour la fléchir.
BATAILLER lui écrit le 06 Août 1865 que :
"notre vieille dévote a, comme je le craignais, gardé le silence.... Je crois mon pauvre ami que tout ce que tu tenterais maintenant serait peine perdue et que ce qu'il y a de mieux à faire c'est de ne plus te tourmenter de cette affaire....".
Jean-Louis PORCHER n'en fait rien et le 15 Août 1865, il écrit une dernière lettre assez vive à Madame RIFFAULT :
"Vous avez gardé le silence sur la lettre que j'ai eu l'honneur de vous écrire le 22 Juin dernier.... Votre conscience Madame me semble rassurée par le souvenir de vos largesses, envers cette communauté, mais permettez moi de vous dire que cette pensée est erronée lorsqu'un préjudice causé à quelqu'un est irréparable. Les sacrifices de cette nature peuvent être agréable à Dieu ; mais lorsqu'on a la possibilité de réparer (et qu'on ne le fait pas...) alors selon moi le bienfait ne peut avoir de valeur auprès de Dieu et il devient une faute de plus".
Jean-Louis PORCHER devait décéder cinq ans après cette dernière lettre sans avoir jamais pu obtenir réparation du dommage que lui avait causé son ancien ami François Paul RIFFAULT.
Il serait intéressant de rechercher le lien de parenté qui existait sans doute entre ce dernier et Eugène RIFFAULT, qui fut Maire de Blois et qui était lui-même apparenté à Charles ROGER-BEZARD (voir l'étude ci-après sur ce dernier).
L'AFFAIRE FAIZANT
Jean-Louis PORCHER n'a pas seulement été tourmenté pendant presque toute sa vie par l'affaire RIFFAULT ; il eut aussi de graves préoccupations pécuniaires avec un autre notre, Me FAIZANT successeur de Me DE SAINT LOUP à Martizay (Indre) ; mais il put non sans difficulté, récupérer ses fonds en 1868 ; il en attendait le paiement depuis 1846.
La créance de Me FAIZANT étant due conjointement à Jean-Louis PORCHER et à Ernest LEMAIGNEN, il en résulte un long échange de lettres entre eux qui contiennent des détails très intéressants sur la vie d'Ernest LEMAIGNEN. Aussi, cette affaire FAIZANT sera t-elle exposée plus loin dans l'étude de la vie d'Ernest LEMAIGNEN et le dossier relatif à cette affaire est classé à "Ernest LEMAIGNEN". On y trouvera aussi des lettres de Jean-Louis PORCHER à Ernest LEMAIGNEN retraçant les événements de la révolution de 1848.
LES BLANCHARDIERES
Malgré ses revers de fortunes, Jean-Louis PORCHER devait cependant avoir quelque aisance, car en 1849 il achète la Métairie des Blanchardières, commune de Marcilly en Gault, prés de Neung sur Beuvron.
Par lettre du 17 Décembre 1849, il conseille à sa mère d'acheter cette métairie, pour elle seule, et non en indivision avec son cousin AUCHER. Madame veuve PORCHER-AUCHER avait une créance hypothécaire sur cette propriété contre un certain LERASLE (qui devait sans doute l'avoir achetée lorsque Jean-Louis PORCHER avait dû la vendre en 1836) et son fils lui conseille de ne pas l'acheter trop chère. Il l'invite à demander conseil à "notre bon parent LEMAIGNEN-DOULCERON" (qui est-ce ?).
En définitive, c'est lui qui achète les Blanchardières le 22 Décembre 1849 à la barre du tribunal de Romorantin. Son parent et ami, André LEMAIGNEN-PEAN le lui annonce par lettre du 23 Décembre 1849. Il est précisé dans cette lettre qu'il s'agit des Petites et Grandes Blanchardières.
Il revendra cette propriété d'une contenance de 142 hectares 88 ares 95 centiares le 03 Juin 1860 (voir titre nouvel du 18 Juillet 1889) et le prix n'en sera payé que beaucoup plus tard à Madame DUTHEIL, sa fille.
Cette propriété des Blanchardières est la même que celle qui lui avait été attribuée par le partage du 08 Août 1812 et qu'il avait dû vendre pour régler l'affaire RIFFAULT.
Il s'occupe aussitôt de louer, réparer et mettre en valeur cette propriété avec les conseils de Me Adrien TAILLARDA, notaire à St-Dyé (dont la femme était la soeur de Madame Cécile Edmond PERRIER, propriétaire de Dotton à Périgny) ainsi qu'il écrit à sa mère le 17 Janvier 1850.
Il songe à s'y installer et à la meubler pour y recevoir Pierre Samuel BEZARD et sa femme, ainsi que sa mère.
On a l'impression que l'achat de cette propriété et son aménagement constituent enfin pour lui un dérivatif à ses ennuis et une raison de vivre.
Fin Février ou début Mars 1851, il écrit une longue lettre à mère pour la dissuader de venir le voir aux Blanchardières, car la maison est encore inhabitable, et le voyage épouvantable la fatiguera. Cependant, si elle y tient, il se conformera à ses désirs en bon fils respectueux, reconnaissant et soumis.
Mais, comme ses moyens financiers ne lui permettent pas d'effectuer les travaux de réparations et de se procurer l'ameublement nécessaire, il semble que se soit sa mère qu'il les ait payés. Comme c'était une femme d'affaire, elle demanda à son fils de lui vendre par acte sous seings privé les Petites et Grandes Blanchardières (lettre du 14 Février 1850). Une lettre du 13 Avril 1851 confirme d'ailleurs que sa mère lui avait donné du mobilier, outre deux pièces de vin.
Il poursuit les travaux de réparations et compte qu'ils seront terminés à la St Jean 1851 (lettre du 13 Avril 1851 et du 09 Juin 1851).
Il semble qu'il ait dès lors habité régulièrement sa propriété des Blanchardières, car sa fille Laure, entre 1852 et 1860 lui écrit plusieurs lettres dont lesquelles elle lui demande à diverses reprises quand il viendra la voir à Paris.
Nous ignorons pourquoi il revendit cette propriété dix ans après l'avoir acquise.
LEGS POUR MADAME DEZAIRS-LEMAIGNEN
A JEAN LOUIS PORCHER
Madame Françoise LEMAIGNEN, rentière, veuve de Monsieur Jean François Philippe DEZAIRS, demeurant à Paris, 32 rue de Penthièvre, est décédée à son domicile le 02 Août 1857.
Par son testament olographe à Paris, en date du 20 Septembre 1847, déposé au rang des minutes de Me PIAT, notaire à Paris, elle avait institué Jean-Louis PORCHER son exécuteur testamentaire et lui avait légué la somme de 1.000 Frs et elle avait institué légataires universelles :
1°) Madame Adélaïde Augustine LEMAIGNEN, propriétaire, veuve de Monsieur Alexandre Victor MEUNIER, en son vivant, Maître de la Poste aux Chevaux à Beaumont sur Oise, demeurant à Beaumont sur Oise (Seine et Oise).
2°) Mademoiselle Victoire Aimée LEMAIGNEN, célibataire, majeure (le 1er Septembre 1857), professeur de piano, demeurant à Paris, Place Bréda n°10, et depuis (23 Mars 1862) épouse de Monsieur Gaston Esprit EUZET, demeurant à Nîmes (Gard).
Soeurs germaines entre elles.
Ses petites nièces.
Elle avait un neveu : Auguste LEMAIGNEN, époux de Madame Augustine JAILLOUX, laquelle est décédée, veuve, avant le 02 Août 1857 et après le 20 Septembre 1847.
Il a été impossible de trouver à quelle branche de la famille LEMAIGNEN se raccordait cette Françoise LEMAIGNEN, épouse DEZAIRS.
DECES DE JEAN LOUIS PORCHER
Nous ne savons rien des dernières années de Jean-Louis PORCHER. Il demeurait, après avoir vendu les Blanchardières avec sa fille Laure, à Paris, 4 rue de Moscou, au 4ème étage, puis vers 1863, rue d'Amsterdam, n°37.
Le 15 Septembre 1870, il habitait à Vendôme, 53 Faubourg Chartrain, dans une maison qui avait été louée temporairement à Ernest LEMAIGNEN afin que sa femme puisse accoucher à Vendôme (Fernand LEMAIGNEN y est né le 29 Août 1870). Pourquoi Ernest LEMAIGNEN avait-il alors loué cette maison ? Pourquoi Jean-Louis PORCHER était-il venu y habiter ? Ce jour là, il écrivait la dernière lettre que nous possédons de lui, à "Monsieur le Chanoine et très honorable parent". Il s'agit du Chanoine VENOT de Blois qui avait été curé à Périgny (voir lettre de Pierre Samuel BEZARD, du 29 Avril 1852). Son écriture était tremblotante.
Ce Chanoine lui avait remis une somme de 250 Frs à remettre aux légataires de Madame DEZAIRS-LEMAIGNEN et lui avait demandé si cette somme leur avait bien été remise. Jean-Louis PORCHER le lui confirme et lui envoie la décharge signée des légataires et en profite pour lui demander un service :
"Voici maintenant le service que je voudrais que vous me rendissiez. Elevé dans ma jeunesse dans les sentiments religieux que j'ai bientôt, comme tant d'autres, négligés, de sérieux chagrins m'y ont ramenés ; mais mon grand âge ne m'ayant point enlevé ma santé qui est assez bonne pour mes 84 ans que je commence, je désirerais employer le peu de temps qui me reste maintenant, à payer au moins un peu tous mes pêchés par un sérieux repentir. Excepté ma négligence en religion, ils sont à mes yeux peu nombreux, car j'ai toujours été une probité parfaite. J'ai été bien trompé et dupé par de soi disants amis. Je vous quitte car je vois que mon griffonnage est illisible, mais mes mains sont un tremblement continuel. Je désirerais que vous me fassiez connaître une pension ecclésiastique, si c'était en votre pouvoir de m'y recommander. Il y en a une ici à Vendôme, appelée Le Saint Coeur, située rue Faubourg Chartrain Loir et Cher qui me conviendrait bien ; mais je ne connais personne ici et je n'y suis que pour peu de temps. Si vous me faites l'honneur de me répondre, veuillez m'adresser votre lettre à : Monsieur PORCHER, Maison de Monsieur LEMAIGNEN-DEMEZIL, faubourg Chartrain, n°53, Vendôme Loir et Cher".
Cette lettre est bien émouvante et semble résumer toute sa vie.
Le 25 Avril 1864, il avait rédigé son testament déposé au rang des minutes de
Monsieur CORRARD, notaire à Boulogne, près de Paris, le 27 Juin 18 :
"Je donne et lègue mon âme à Dieu et le prie de l'avoir en sa sainte garde, et de me pardonner tous mes pêchés. Je donne et lègue à Mlle Louise PETIT, dite Zéphirine, de la Chapelle Vendômoise, ma cuisinière, tous les meubles ci-après désignés, .....".
(Suit l'énumération de 16 articles mobiliers ou de garde robe).
Il décède à Vendôme, 53 Faubourg Chartrain, le 05 Janvier 1871, à quatre heures du matin, peu après l'entrée des allemands à Vendôme, à l'âge de 83 ans.
Il est enterré au cimetière de Vendôme (concession du 23 Octobre 1884). Le service religieux fut célébré à la Madeleine le 06 Janvier par le curé MONSABRE.
Sa succession comprend :
- Mobilier non légué 2.136 Frs
- Deniers comptants 380 Frs
- 1.300 Frs de rente sur l'Etat 3% 22.100 Frs
- Arrérages de ces titres 650 Frs
- Créance hypothécaire sur Me CHEVET,
Notaire à Martizay (Indre) 7.559 Frs
- Arrérages de rente viagère à Compagnie d'Assurance
Nationale 260 Frs
----------------
TOTAL 33.085 Frs
"Pas d'immeubles" stipule la déclaration de succession.
Les droits de succession s'élevant à 457.21 Frs sont payés le 03 Juillet 1871 par sa fille Laure, seule héritière ainsi que le constate un acte de notoriété dressé par Me PLANCHAT, notaire à Paris le 27 Juin 1871. Pourquoi le testament avait-il été déposé le même jour chez un notaire de Boulogne ?
Comme on le voit, Jean-Louis PORCHER ne laissait pas une fortune bien considérable. Il avait vendu les Blanchardières le 03 Juin 1860, moyennant le prix de 40.000 Frs dont 10.000 Frs payable le 1er Novembre 1870 (dix ans après !) avec intérêts à 5 % et 30.000 Frs convertis en une rente viagère de 3.000 Frs par an à son profit, et, après son décès, au profit de sa fille Laure, réduite alors à 1.800 Frs par an. Cette rente viagère fut régulièrement payée jusqu'au décès de Laure DUTHEIL.
Il ne reste donc de la belle fortune immobilière amassée par la Famille PORCHER depuis le début du XVIIIe siècle qu'une rente viagère qui va s'éteindre avec le décès de Laure (Madame Pierre Samuel BEZARD-PORCHER, soeur de Jean-Louis PORCHER, et son fils Léon avaient déjà vendu la moitié de cette fortune qui leur revenait).
MADAME CAVILLIER-DUTHEIL
NEE MARIE LAURE PORCHER
Marie Laure PORCHER était née à Blois le 1er Décembre 1816 du mariage de Jean-Louis PORCHER et de Aurore Marie Catherine LINGER. On sait qu'elle avait eu un frère, Louis Samuel né à Blois le 23 Septembre 1814, décédé le 09 Octobre 1814, à l'âge de 16 jours. Elle avait perdu sa mère le 16 Juillet 1832. Son père, contraint par ses revers de fortune, consécutifs à l'affaire RIFFAULT, avait fait procéder à la liquidation de ses droits dans la succession de sa mère en 1836 et lui avait rendu compte de sa tutelle en 1840.
Elle épouse à la mairie du 1er arrondissement de Paris, le 30 novembre 1840, Adolphe Eugène CAVILLIER, référendaire au Sceau de France, demeurant à Paris, 40 rue Saint Lazare.
Le contrat de mariage est reçu par Me GUENIN, notaire à Paris le 26 Novembre 1840. Le régime adopté est celui de la communauté d'acquêts. Laure PORCHER apporte en mariage sa garde robe et diverses créances hypothécaires pour un montant de 120.000 Frs.
Le mariage avait été conclu par l'intermédiaire du curé de Gournay, l'Abbé MELICIEUX, ami de Madame BLAINVILLE (dont nous parlerons plus loin), grand tante de Laure.
Le 02 Octobre 1840, l'Abbé MELICIEUX écrivait à Jean-Louis PORCHER :
"La confiance avec laquelle vous avez daigné m'entretenir au sujet de l'avenir de votre charmante Laure, m'impose le devoir de vous présenter un ami du respectable Monsieur Le Chevalier de Monsieur, dont la belle position, les excellents principes, la famille honorable et l'état de fortune me paraissent réunir les conditions qui doivent assurer votre bonheur et celui de votre excellente Demoiselle. Je vous ai dit que je regardais comme un devoir essentiel pour le prêtre, de se prêter volontiers à former un rapprochement entre des familles chrétiennes, que tout l'avenir de la religion est là. Que notre société française, surtout réclame en ce moment le concours du Clergé pour conserver la tradition des bons principes au milieu des dévergondages et des mauvaises passions. Je viens vous dire que la Divine Providence m'a servi admirablement dans la recherche que je m'étais imposé depuis notre entretien. Plusieurs ecclésiastiques de Saint-Roch ...... vous diront que Monsieur CAVILLIER, référendaire au Sceau de France a déjà refusé un parti très brillant ..... Votre bonne parente, Madame BLAINVILLE a eu l'extrême bonté de me communiquer la lettre qu'elle vous écrit pour vous annoncer la visite de Monsieur CAVILLIER. Je serais heureux si je suis l'instrument de Dieu pour unir deux familles si respectables".
Le 14 Octobre 1840, il écrit qu'il accepte d'aller bénir cette union et écrit à nouveau dans le même sens le 24 Novembre.
Mais le bonheur du ménage CAVILLIER ne va pas durer longtemps. Monsieur CAVILLIER se lance aussitôt dans une affaire financière qui va le ruiner.
Il résulte d'un acte du 08 Août 1841 intervenu entre lui et :
1°) Monsieur Dominique LAMBERT, demeurant à Sauwartan près de Dour (Belgique) près Mons.
2°) Monsieur Jean Jacques PASTURIN, avocat, ancien avoué, demeurant à Evry sur Seine
que Monsieur LAMBERT avait acquis le Charbonnage de Sauwartan dit la Grue Bouillon du Bois de Saint Ghislain et employé une somme considérable au développement des travaux qu'il a fait exécuter.
Après avoir consacré à cette acquisition et à ces travaux les fonds dont il pouvait disposer et ceux dont Messieurs PASTURIN et CAVILLIER lui avaient fait l'avance, Monsieur LAMBERT a constitué une société par action au capital de 2.500.000 Frs. Nous avons d'ailleurs au dossier, 4 actions de cette société.
Ces actions n'ayant pas été placées, les associés ont convenu par cet acte du 08 Août 1841, de remettre à Monsieur CAVILLIER 350 actions de 1.000 Frs en garantie de sa créance, étant de 127.000 Frs.
Pour avancer à cette société les capitaux qu'il lui avait fournis, Monsieur CAVILLIER avait réalisé la totalité des 21 créances hypothécaires apportées par sa femme en mariage, s'élevant à 120.000 Frs.
La société dut continuer à péricliter et le 14 Novembre 1843, Madame CAVILLIER formule une demande de séparation de biens contre son mari.
Le 20 Décembre 1843, le Tribunal de 1ère Instance de la Seine prononce la séparation de biens au profit de Madame CAVILLIER contre son mari, défaillant. Le 16 Février 1844, il est procédé à la liquidation de ses reprises par acte de Me HUET, notaire à Paris en présence de Me MOUILLEFARINE, avoué de Madame CAVILLIER. Il est dit dans cet acte que Madame CAVILLIER poursuivra le recouvrement de ses reprises ainsi qu'elle avisera et contre qui de droit ! Elle n'a donc pas beaucoup d'illusions à se faire pour récupérer ses 120.000 Frs.
Dès le 24 Décembre 1843, Madame CAVILLIER qui se montre déjà une femme d'affaires rédige elle-même la convention suivante qu'elle fait signer à son mari :
"Monsieur Adolphe Eugène CAVILLIER s'étant livré à des entreprises trop considérables qui ont causé sa ruine et l'ont par conséquent mis dans l'impossibilité de remplir ses engagement aux nombres desquels se trouve une dette sacrée à laquelle il ne peut faire honneur, (peut-être s'agissait-il d'une autre dette que celle résultant de l'affaire des charbonnages de Sauwartan). Ces parents et ses amis se sont engagés à venir à son secours et à payer à l'époque et aux conditions qui suivent les sommes pour lesquelles ils auront souscrit .... (suivent les conditions). Je soussigné, Laure Marie PORCHER, épouse de Monsieur CAVILLIER, abandonne pour les causes ci-dessus la somme que je pourrais retirer sur la vente de la nue propriété d'une maison située à Paris, rue Christine, sur laquelle frappe mon hypothèque légale, me réservant néanmoins la jouissance usufructuaire de cette somme jusqu'au décès de Madame veuve PORCHER-AUCHER, ma grand-mère".
Elle désirait en effet conserver des revenus sur le prix de vente de la maison de son mari, jusqu'au jour où elle touchera l'héritage de sa grand-mère.
Le 02 Mars 1844, le curé MELICIEUX écrit à Jean-Louis PORCHER :
"Apprenant que les affaires de Monsieur CAVILLIER ne se terminent pas et vous force de demeurer à Paris, je nourris l'espoir de vous voir avec votre excellente Laure, habiter notre petite ville".
Mais, Laure PORCHER reste habiter chez son père, 4 rue de Moscou à Paris et Monsieur CAVILLIER "ancien référendaire au Seau de France" va habiter à Vienne (Autriche) où il est professeur de langue française et où il décède le 08 Juillet 1859.
Laure PORCHER et son père n'ont vraiment pas de change : Jean-Louis PORCHER a perdu 200.000 Frs en 1834 à cause de son ami RIFFAULT, et sa fille, 9 ans après se fait escroquer toute sa fortune (120.000 Frs) par son mari, si chaudement recommandé par le curé MELICIEUX !
A titre de comparaison, rappelons qu'une propriété de 128 hectares en Sologne, comme les Blanchardières valait à cette époque 40.000 Frs.
LEGS BLAINVILLE
Par son testament olographe en date du 1er Juin 1847 à Ferrières près de Gournay en Bray (Seine inférieure) et dont nous avons l'original (ou le double ?), Madame Denis Sophie LINGER veuve de Monsieur Nicolas François BLAINVILLE a fait de très nombreux legs particuliers, notamment de tous les articles, un par un, composant son mobilier jusqu'à et y compris des fagots de bois et des copeaux, et a légué à Laure PORCHER, sa cousine, la somme de 10.500 Frs et une autre somme de 5.500 Frs et à Monsieur Jean-Louis PORCHER "mon cousin" son épingle en diamant et sa canne à pommeau d'or.
Madame BLAINVILLE est décédée le 05 Juillet 1863, ainsi qu'il résulte d'une annotation à la date du 30 Octobre 1863 dans le carnet que Jean-Louis PORCHER tenait au jour le jour des lettres qu'il envoyait.
Madame BLAINVILLE avait indiqué dans son testament qu'elle avait un frère : Alexandre Jacques LINGER, dont l'absence avait été prononcée par le Tribunal de 1ère Instance de la Seine le 06 Mars 1838.
On a vu dans la correspondance de l'Abbé MELICIEUX à propos du mariage de Laure qu'il indique que Laure est la petite nièce de Madame BLAINVILLE. Or, Madame BLAINVILLE, dans son testament, l'appelle sa cousine. S'il en est bien ainsi, elle serait une fille d'un frère de Madame PORCHER-LINGER, issue avec elle du mariage de Pierre Samuel LINGER, décédé le 06 Septembre 1827 et de Christiane Marguerite WILLAUME, son épouse, décédée le 23 Juin 1833.
LEGS AROUX
Un certain Monsieur Eugène AROUX, dont nous ignorons l'adresse, décédé à Paris le 17 Octobre 1859, avait légué à :
"Laure CAVILLIER-DUTHEIL, née PORCHER (c'est la première fois qu'on lui voit le surnom de DUTHEIL), demeurant à Paris, 4 rue de Moscou, et ce, en reconnaissance d'une amitié de 12 ans, dont le dévouement désintéressé ne s'est pas démenti, et s'est bravement désigné aux attaques de la calomnie, la totalité de mes biens, meubles, livres et manuscrits, y compris ceux de chacun de mes travaux sur DANTE et la propriété de mes traductions en vers du "Paradis Perdu" de MILTON, et des "Amours des Anges" de Thomas MOORE. Je désire qu'elle puisse traiter avec un homme de lettres et un éditeur pour la publication de ma traduction en vers de l'Arioste .....".
"J'institue pour mon exécuteur testamentaire, Monsieur PORCHER, ancien notaire, demeurant aux Blanchardières près de Romorantin et à Paris, 4 rue de Moscou, que je prie d'accepter ma bibliothèque avec les livres qu'elle contient".
La fin du testament n'est pas sans faveur :
"Persuadé que Dieu n'a pas besoin du Sceau Sacerdotale pour reconnaître ceux qui sont à lui, et que la fois chrétienne que j'ai toujours professée dans l'âme, suffit pour être sauvé, c'est à dire pour se réunir à lui, je désire être inhumé sans aucune cérémonie religieuse, avec la plus grande simplicité ; un service de 6ème classe suffira ; et voici l'épitaphe qui devra être gravée sur la pierre unie destinée à recevoir mes restes :
Ici repose Eugène AROUX, né à Rouen le 21 Octobre 1793, décédé à Paris le...., ancien magistrat, ancien député et Chevalier de la Légion d'Honneur, traducteur de l'Arioste, de MILTON et de DANTE. Avocat, il lutta pour le droit contre les fraudes au pouvoir. Magistrat, il descendit de son siège plutôt que de faillir à ses convictions. Député, il formula, proposa et contribua à faire adopter la loi sur les chemins vicinaux. Homme de lettre, le premier il signala, en la spécifiant l'essence sectaire dans la "Divine Comédie" dont il donna la clé. Restituant à l'Alighieri son caractère de pasteur Albigeois, il exposa comment l'oeuvre du poète florentin se rattache tout à la fois à l'édifice littéraire des troubadours dont elle est le splendide couronnement, aux doctrines secrètes de l'ordre du Temple et aux rites mystérieux de la Massenie. Mais il cria dans le désert. Resquiescat in Pacé".
Jean-Louis PORCHER a dû faire édifier le tombeau et graver cette longue inscription, car il a noté de sa main qu'elle représentait 721 mots et nous avons la carte (à défaut de la facture) de Raymond DARNIS, sculpteur-marbrier, 21 boulevard de Clichy à Montmartre.
Il paya les frais d'enterrement (434,20 Frs) et acheta une concession perpétuelle au cimetière nord de Paris, le 28 Octobre 1859, renouvelée le 14 Octobre 1869. Le monument existe-t-il toujours ?
Laure PORCHER eut ensuite de nombreux démêlés avec les héritiers de Monsieur AROUX qui, semble-t-il, renoncèrent tous à sa succession, sauf sa veuve que Laure qualifie de "Messaline effrontée" et de "Quelle coquine et indigne rouée", dans de nombreuses lettres qu'elle écrivit à son père du 10 Décembre 1859 au 18 Juin 1860 au sujet de cette concession. Elle y expose qu'elle a bien du mal à obtenir de Me PLANCHAT, notaire à Paris, qu'il s'intéresse au règlement de cette succession. Le dossier passe de mains en mains à différents clercs de l'Etude et l'affaire traîne en longueur. C'est tout ce que l'on sait.
LA CREANCE HUAU
Madame veuve PORCHER-AUCHER avait vendu le 07 Mars 1838 aux époux COURANT-DEBULLOY, une maison à Romorantin, rue des Mallards, moyennant le prix de 3.000 Frs. Les acquéreurs revendirent cette maison aux époux LEMAITRE-DEBOINCE. Il restait alors dû à Madame veuve PORCHER, la somme de 2.000 Frs. Les époux LEMAITRE-DEBOINCE et Jean-Louis PORCHER, héritier de sa mère, convinrent de transformer cette somme de 2.000 Frs en une rente viagère de 100 Frs à compter du 1er Janvier 1855 et de 140 Frs à compter du 1er Janvier 1859, sur sa tête et sur celle de sa fille (acte de Me THEVARD, notaire à Romorantin du 23 Décembre 1854).
Suivant acte de Me ROUSSEAU, notaire à Romorantin du 28 Janvier 1856, les époux LEMAITRE revendirent cette maison à Monsieur Louis Jean François HUAU, ancien notaire à Romorantin.
Le 14 Juin 1878, Monsieur Louis Victor HUAU, fils, et Madame Marie Aurélie ROUSSEAU, son épouse, demeurant à Orléans, revendirent cette maison, et par acte de Me ROUSSEAU, notaire à Romorantin du 14 Octobre 1878, Madame DUTHEIL accepte que l'hypothèque garantissant la rente due par Monsieur HUAU soit transférée sur une maison lui appartenant située à Orléans, 9 rue du Grenier à Sel.
Cette rente viagère fut régulièrement payée à Madame DUTHEIL jusqu'à son décès. On a vu, à propos de l'affaire RIFFAULT que Monsieur HUAU avait toute la confiance de Jean-Louis PORCHER.
DECES DE MADAME DUTHEIL
Madame DUTHEIL (on ne sait quand et pourquoi Laure PORCHER se fit appeler CAVILLIER-DUTHEIL puis sur la fin de sa vie, simplement Madame DUTHEIL et même DU THEIL) entretint toujours d'excellentes relations avec Ernest LEMAIGNEN et Fernant LEMAIGNEN, ses couins. Elle leur écrivait de longues lettres, pleines de saveur et qui nous sont très précieuses pour retracer l'histoire de sa famille. Elle tenait ce goût épistolaire de son père. Elle habitait toujours dans l'appartement de son père, 37 rue d'Amsterdam à Paris.
Le 23 Avril 1892, par exemple, elle écrivait à Ernest LEMAIGNEN (voir dossier concernant ce dernier) pour lui faire savoir qu'elle avait vu Monsieur FOUCAULT (voir famille DEMEZIL) le samedi précédent qui était "son jour". Elle nous a dit que la ménage FOUCAULT ne va pas très bien ; "Madame Albert va bientôt leur donner un troisième petit-fils" : c'est André FOUCAULT qui naîtra le 20 Octobre 1892. Elle nous apprend aussi que Madame AUCHER (laquelle, Louis ou James ?) entretient d'excellentes relations avec la famille DEMEZIL. Quand à elle, Laure, elle va être obligée de se faire opérer de la cataracte, ce qui ne l'empêche pas "de faire un petit Whist intime une fois par semaine".
Le 16 Décembre 1902, le curé de la paroisse St Louis d'Antin à Paris écrivait à Madame Ernest LEMAIGNEN :
"Malgré la réception que m'ont faite les bonnes de votre chère Madame, je me tiens à votre disposition pour faire une nouvelle démarche lorsque vous la trouverez opportune".
Madame DUTHEIL avait auprès d'elle une gouvernante, Mademoiselle Henriette ICKKELLE-JANSEN.
Une certaine Dame GRIMM, dont le mari était tapissier, 37 rue d'Amsterdam (témoin à la notoriété après son décès), écrit le 16 Novembre 1903 à Madame Ernest LEMAIGNEN, qu'elle trouve que Madame DUTHEIL s'affaisse beaucoup ; elle parle toujours sans savoir ce qu'elle dit.
"Pour la nourriture, elle ne manque de rien, surtout la boisson, le vin de Bordeaux et le Madère et toutes sortes de liqueurs. Le boucher vient tous les jours". "Une partie de la famille d'Henriette est partie au mois de Septembre ; reste encore une soeur et la nièce ; Henriette est tombée malade ; elle buvait trop de vin ; la nièce fait la grande demoiselle, toujours beaucoup de toilette".
En somme, Mademoiselle Henriette JANSEN et sa famille vivaient la belle vie auprès de Madame DUTHEIL !
Le 16 Août 1904, la même Madame GRIMM écrivait à Madame LEMAIGNEN :
"Madame DUTHEIL devenait de plus en plus malade ; elle ne quitte plus son lit ; elle ne prend pas grand chose en fait de nourriture ; elle ne parle plus comme à son habitude. Je la trouve bien faible et beaucoup de fièvre ; elle ne pas au cabinet ; elle a toujours envie de vomir. J'ai dit à Henriette qu'il fallait aller chercher le médecin ; alors la nièce m'a dit que tous les médecins étaient à la campagne. J'ai parlé pour faire venir Monsieur le curé ; Henriette ne m'a pas répondu. Mais je vais m'en occuper car cela ne peut pas faire de mal à Madame DUTHEIL, au contraire, ça peut lui faire plaisir. Si ça devient grave je vous enverrai un dépêche de suite sans tarder".
Le 17 Août, Mademoiselle W. ENGELS (sans doute la nièce), écrivit à Madame LEMAIGNEN :
"Madame DUTHEIL est malade très gravement. Nous lui avons fait donner les sacrements hier soir ; il vous reste peut être encore un peu de temps pour la voir ....".
Le 18 Août, Madame GRIMM écrit que Madame DUTHEIL est de plus en plus mal :
"Je suis allée chercher Monsieur le curé de St Louis d'Antin et Madame DUTHEIL a reçu les sacrements mardi soir et ça lui a fait plaisir ; elle a très bien répondu à Monsieur le curé ; il a fallu que je mette bien avec Henriette car elle voulait attendre ; la nièce a fini par dire comme moi. La famille d'Henriette est toujours avec elle. Madame DUTHEIL est très oppressée, elle a grand peine à respirer....".
Madame DUTHEIL décéda le 19 Août 1904. Le service religieux fut célébré à la paroisse St Louis d'Antin le dimanche 21 Août 1904 à 11h45 (5ème classe).
Mais peu de temps après l'enterrement, Fernand LEMAIGNEN, son légataire universel, constata qu'aux termes de dispositions de dernières volontés, Madame DUTHEIL voulait être enterrée au cimetière de Vendôme avec son père. Il acheta une concession perpétuelle dans le cimetière de Vendôme le 18 Février 1905 (n°41 de la lettre F, section 1), y fit inhumer les restes de Jean-Louis PORCHER et ceux de sa fille le 23 Février et fit célébrer, conformément aux volontés de Madame DUTHEIL, un office religieux à la paroisse de la Madeleine de Vendôme.
Le premier testament de Madame DUTHEIL est daté du 23 Mars 1871 à Vendôme, c'est à dire peu après le décès de son père elle devait encore habiter 53 Faubourg Chartrain. Elle instituait légataire universelle Madame LEMAIGNEN-BEZARD, sa cousine germaine.
Par un deuxième testament, en date du 04 Octobre 1874 à Périgny, elle stipule que si Madame LEMAIGNEN-BEZARD est décédée avant elle, elle entend que ce legs universel profite à ses héritiers.
Par un troisième testament en date du 1er Janvier 1901, elle légua à "Henriette ICKKELLE JANSEN, qui est depuis plusieurs années chez moi ..... pour ses bons soins, la somme de 40.000 Frs" ainsi que sa garde robe, du linge de maison, l'argenterie et divers meubles.
Ces testaments ont été déposés en l'Etude de Me DELAFON, notaire à Paris les 20 et 24 Août 1904.
Le 19 Octobre 1904, il fut procédé à l'inventaire à la requête de Fernand LEMAIGNEN et le même jour, il fut délivré à Mademoiselle JANSEN ses legs particuliers.
Fernand LEMAIGNEN, dès le décès de Madame DUTHEIL avait renvoyé Mlle JANSEN qui se considérait comme maîtresse de la maison et qui avait, dit-on, déjà dilapidé une partie sinon la totalité de l'argent comptant et prie divers objets mobiliers (voir aussi "Vie de Fernand LEMAIGNEN". "Activités diverses jusqu'en 1914").
Ainsi s'éteint la famille PORCHER qui ne laisse plus aucun descendant et dont la fortune s'éteignit également avec la rente viagère servie par Monsieur HUAU a Madame DUTHEIL.
Il ne reste à Périgny que quelques meubles de bois noir incrusté de cuivre, un piano, un très beau nécessaire de dame et un magnifique petit étui en palissandre contenant des couverts et timbales en or ou vermeil pour pique-nique, le tout datant du Deuxième Empire (volés le 24-04-1982) et attestant le goût raffiné de Madame DUTHEIL qui était une femme assez mondaine quoique peu jolie.
Famille Bezard
La famille BEZARD est dominée par la forte personnalité de Pierre BEZARD-LEGRAND qui a conservé et classé une telle abondance de titres, lettres, mémoires, comptes, dessins et documents de toute nature, tant sur lui-même que sur sa famille, qu'il est possible d'en retracer l'histoire sinon au jour le jour, du moins presque mois par mois, avec une rigoureuse exactitude.
Ces documents ont malheureusement été complètement déclassés et bouleversés par ses héritiers et il a fallu procéder à un patient travail de reclassement pour faire revivre ce grand ancêtre de la famille.
Ces archives permettent de retracer l'histoire de la famille BEZARD depuis la fin du XVIIe siècle. C'est une famille de commerçants qui a toujours vécu à Blois puis à Périgny.
Le seul fils survivant de Pierre BEZARD-LEGRAND s'est marié avec une fille PORCHER. De ce mariage est issue une fille unique Emélie Marie Brigitte BEZARD qui a épouse Léon LEMAIGNEN, fils de François LEMAIGNEN-VILLOCEAU et de Madeleine FERRON, d'où descendent les LEMAIGNEN de Périgny.
I - LES ANCETRES DE BEZARD-LEGRAND
Le grand-père de Pierre BEZARD-LEGRAND était Claude de BEZARD, né en 1692, marchant cirier-chandelier à Blois, décédé entre 1756 et 1760.
Il possédait notamment une maison Grande Rue à Blois, pour laquelle il présentait le 02 Février 1742 une requête "aux Présidents Trésoriers Généraux de France au Bureau des Finances de la Généralité d'Orléans" pour l'autoriser à y mettre des contrevents. Il avait acquis cette maison de Jacques LAIGLE le 20 Janvier 1728. Il possédait également de nombreuses rentes et créances et objets mobiliers détaillés dans un partage après son décès du 10 Mai 1765.
Ce Claude BEZARD était issu du mariage de Claude BEZARD (décédé avant 1697) avec Anne ROYER qui épousa en secondes noces Jean LAMBERT (décédé avant 1714) dont elle eut un fils Jean LAMBERT né en 1697. Après le décès de son deuxième mari, elle épousa en troisièmes noces Jacques RICHARD.
Claude BEZARD et son demi frère Jean LAMBERT avaient obtenu de sa Majesté des lettres de bénéfices d'âge le 16 Novembre 1713 et il leur fut nommé des curateurs le 26 Mai 1714 "pour jour des biens à eux échus" dépendant de la succession de leurs pères Claude BEZARD et Jean LAMBERT (la majorité était alors à 25 ans).
Claude BEZARD (grand-père de Pierre BEZARD-LEGRAND) avait épousé Marie COMPAGNON (décédée après 1765).
Elle était issue du mariage de Michel COMPAGNON, marchand toillier-linger et de Gastienne FAUTRIER, décédée à Blois le 21 Juin 1733.
Elle avait un frère et deux soeurs :
1°) Michel COMPAGNON, bourgeois à Blois.
2°) Gastienne COMPAGNON, épouse de Pierre LAURENT, marchand à Blois.
3°) Catherine COMPAGNON, (décédée avant 1734) , épouse de René MOLINEAU , maître apothicaire à Blois, paroisse Saint-Honoré, qui eut un fils René MOLINEAU qui avait plus de 25 ans le 06 Avril 1745.
Les époux COMPAGNON-FAUTRIER jouissaient d'une certaine aisance puisqu'aux termes d'un partage du 18 Juillet 1733, ils possédaient une maison à Blois, rue Beauvoire, paroisse Saint-Honoré, diverses créances et une Closerie de 34 boisselées de vignes avec plusieurs bâtiments à Saint-Gervais. Cette Closerie est échue à Marie COMPAGNON, épouse de Claude BEZARD qui la vendit ensuite à Saturnin DAVIE et Marguerite VENET, son épouse, le 05 Mars 1756 moyennant 2200 livres payables à terme.
Du mariage de Claude BEZARD et de Marie COMPAGNON sont issus trois enfants :
1°) Claude BEZARD, marchand à Blois, décédé avant 1765, époux de Catherine BELIN qui est décédée après 1765. Ils eurent trois enfants, mineurs en 1765, dont la descendance est inconnue si ce n'est peut-être une fille, Louise Catherine, qui fut marraine de Pierre BEZARD-LEGRAND, un fils, Barthélémy BEZARD, né en 1755 ainsi qu'il en résulte d'un "certificat de toisement" du 23 Mars 1775 alors qu'il avait 20 ans et un autre fils, Simon Pierre BEZARD, marchand à Blois, curateur de BEZARD-LEGRAND durant sa minorité, qui était peut-être le même que celui appelé BEARD-BOYESE qui fut maire de Blois pendant la Révolution et que BEZARD-LEGRAND appelle son cousin (lettre du 07 mars 1809).
2°) X .... BEZARD (décédée avant 1765) qui de son mariage avec un sieur LEGROUX eut une fille, Marie LEGROUX qui épousa avant 1765, Jacques (dit aussi Pierre) AMAURY, marchand tonnelier à Blois, paroisse Saint-Honoré et dont la descendance est inconnue. (Une Françoise Geneviève AMAURY (1737-1806), fille de Pierre AMAURY, notaire royal à Blois, avait épousé en 1765 Jean-Jacques Clément LEMAIGNEN, huissier royal à Blois (1742-1882). (Voir généalogie AUCHER).
3°) Pierre BEZARD, né en 1726, marchand de toiles à Blois (comme son grand-père, Michel COMPAGNON), décédé à Saint-Gervais le 20 Mars 1777. Il épousa (contrat de mariage du 08 Février 1752), Marie Anne CREUZOT, née en 1727, décédée à Blois le 07 Octobre 1767, inhumée au cimetière de Chambourdin à Blois le 08 Octobre 1767. Pierre BEZARD fut reçu dans le corps et communauté des Marchands Merciers de Blois le 20 Décembre 1745. Marie Anne CREUZOT était la fille de Pierre CREUZOT, marchand épicier à Beaugency. Elle avait une soeur et un frère :
- Sa soeur épousa Claude LIGER, marchand à Beaugency dont elle eut une fille : Madeleine (descendance inconnue).
- Son frère Pierre, fut marchand également à Beaugency (descendance inconnue). Il fut parrain de Pierre BEZARD-LEGRAND.
On sait peu de choses des époux BEZARD-CREUZOT. Il résulte de leur contrat de mariage du 08 Février 1752 que Pierre BEZARD apporta en mariage 3000 livres en marchandises de la boutique de son père (quelle boutique ? Le père était marchand cirier-chandelier et le fils, marchand de toiles) et 2000 livres pour prix d'une maison et appartement sise à Blois, Grande Rue, près de la porte Chartraine, paroisse Saint-Honoré que son père lui donne (il en avait lui-même hérité de son père, Claude BEZARD). Quant à la jeune fille, elle recevait 4000 livres de dot de ses parents.
Le contrat de mariage avait été précédé d'un projet des clauses principales à y insérer, rédigé le 12 Janvier 1752, qu'il est intéressant de consulter. C'est un résumé de la coutume d'Orléans et il démontre l'intérêt alors attaché par les parents des jeunes époux aux clauses financières du mariage. Ce projet est signé (signatures autographes) par au moins 35 parents et amis.
Les époux BEZARD-CREUZOT eurent quatre enfants :
1°) Marie Anne BEZARD, épouse de Jean Joseph AMIOT, marchand à Blois, paroisse Saint-Martin.
2°) Pierre BEZARD, marchand à Blois, paroisse Saint-Honoré, époux de Françoise Louise Brigitte LEGRAND. Lors de sa minorité, il avait pour curateur Simon Pierre BEZARD, marchand à Blois qui était peut-être un fils de Claude BEZARD-BELIN.
3°) Anne (dite aussi Hippolitte) BEZARD (mineure en 1777), épouse de Jean LEROUX, commissaire en vins à Blois, paroisse Saint-Solemmes (elle avait pour curateur, étant mineurs, Jacques AMAURY-LEGROUX, son cousin).
4°) Madeleine Ursule BEZARD (mineure en 1777). Elle avait pour curateur Claude LIGER, marchand à Beaugency, son oncle par alliance. Elle deviendra Soeur Madeleine de Gonzagues à la Visitation à Blois.
Ces quatre enfants partagèrent le 09 Août 1777, après le décès de leur père et mère, leur fortune qui s'élevait à 75.432 livres, après inventaire, vente des meubles et expertise des immeubles par le contrôleur des bâtiments du Roy à Blois et un architecte de Blois.
Aux termes de ce partage, Marie Anne BEZARD-AMIOT reçoit une maison à Blois "n°61 dans le fond du Cul de Sac du Cygne", donnant rue Porte Chartraine et joignant une maison attribuée à Pierre BEZARD et d'un autre côté LEMAIGNEN, notaire. Elle vendit ensuite cette maison à son frère Pierre BEZARD-LEGRAND le 15 Mai 1792.
Pierre BEZARD-LEGRAND reçut les marchandises de son père pour 31.832 livres, divers objets mobiliers, rachetés pour 1.784 livres et une maison à Blois, Porte Chartraine, estimée 4.080 livres, à charge d'une soulte de 18.838 livres payée de 1777 à 1787 ainsi qu'il résulte de billets à ordre annexés à ce partage (avec mention des intérêts calculés par BEZARD-LEGRAND).
Madame BEZARD reçut des créances et une Closerie à Villejoint.
On peut donc dire que Pierre BEZARD-LEGRAND était issu d'une vieille famille de commerçants blésois, assez fortunée. Cependant, après le partage de cette fortune avec ses soeurs, Pierre BEZARD-LEGRAND ne possédait, six mois avant son mariage, que le fonds de boutique de son père et la maison rue Porte Chartraine où il était exploité et encore à charge d'une soulte envers ses soeurs de 8.010 livres.
II - LA FAMILLE LEGRAND
Pierre BEZARD épousa le 24 Février 1778 à l'église Saint-Pierre le Puellier de Tours (contrat de mariage du 23 Février 1778), Françoise Louise Brigitte LEGRAND, fille unique de (Pierre) Louis LEGRAND, maître limonadier à Tours et de Françoise CANU sa première épouse, décédée en Juin 1765.
Louis LEGRAND était le fils de Louis LEGRAND, boucher à Doué-en-Touraine et de Simone MARAIZE, tous deux décédés avant 1752.
Il fut buffetier au bailliage de Paris avant de devenir Maître Limonadier à Tours.
Il épousa en premières noces (contrat de mariage devant Me GARIERAND, notaire au Châtelet de Paris du 25 Janvier 1752), Françoise CANU, née à Saint-Jean-du-Thenney, diocèse de Lisieux, le 16 Mai 1731 du mariage d'Adrien CANU ayant demeuré à Cour-Tonnel, diocèse de Lisieux, avec Catherine DESMOUSSEAUX, tous deux décédés avant le mariage de leur fille.
Elle avait un frère, Jean Baptiste Adrien CANU, prêtre habitué en l'église paroissiale de Saint Eustache à Paris, demeurant rue Montmartre de ladite paroisse, lors du mariage de sa soeur, puis prêtre à Gasny au Vexin Normand près de Vernon, évêché de Rouen. Il est décédé en 1781, sans doute au début d'Août. En effet, comme on le verra plus loin, BEZARD-LEGRAND échangera plusieurs lettres avec un procureur pour la levée des scellés dès le 14 Août, et le 15 Février 1781, l'Abbé CANU écrivait encore une lettre très vivante à BEZARD-LEGRAND après le décès de son beau-père (voir ci-après).
Elle avait aussi un autre frère, Pierre, dont on ne sait rien, sinon qu'il hérita de son frère.
Françoise CANU, lors de son mariage, avait pour tuteur Jean Jacques CARREY VILLIERS, marchand épicier à Paris, sur Saint-Honoré, paroisse Saint-Germain l'Auxerrois.
Les familles LEGRAND-CANU ne semblent pas avoir été présentes au mariage de Louis LEGRAND et de Françoise CANU, puisque les seules personnes qui assistaient au contrat de mariage étaient :
- Le frère de la mariée, l'Abbé CANU.
- Son tuteur, chez qui elle demeurait et sa femme.
- Deux marchands bourgeois de Paris, amis des futurs époux.
Cette absence de parents s'explique peut-être aussi du fait que le futur époux était originaire de Touraine et la future épouse de Normandie. Qu'étaient-ils venus faire à Paris l'un et l'autre ?
Ni l'un ni l'autre ne possédaient d'ailleurs de fortune. Aux termes de leur contrat de mariage (parfaitement lisible et qui contient des clauses de constitution de douaire, préciput, donation contractuelle, droit de retour, etc ... stipulés en termes à peu près identiques à ceux actuels). Louis LEGRAND apportait en mariage 6.000 livres en deniers comptant et objets mobiliers.
Quant à Françoise CANU, elle ne possédait rien ; mais son frère l'Abbé CANU lui remettait 466 livres 13 sols 4 deniers représentant sa "légitime" (sa réserve) dans les successions de leur père et mère et il lui faisait une dot de 553 livres 10 sols 8 deniers. Enfin, il lui promettait 1.995 livres à prendre sur sa succession future (qui furent effectivement payés à BEZARD-LEGRAND le 16 Octobre 1781 par Pierre CANU, frère et héritier du défunt, ainsi qu'il résulte d'une mention manuscrite de BEZARD-LEGRAND portée en marge de ce contrat).
Les époux LEGRAND-CANU semblent avoir quitté Paris peu de temps après leur mariage, puisque c'est à Tours que naît leur fille unique, Françoise Louise Brigitte le 10 Novembre 1756.
Le 03 Septembre 1764, ils louent pour 9 ans une maison à Tours, Grande Rue, vis-à-vis de la grande boucherie, paroisse de Saint-Pierre Lepuellier, aujourd'hui entre le rue du Poirier et la rue du Grand Marché. Cette grande boucherie, située juste en face de sa maison, de l'autre côté de la rue, était composée de 41 étaux de bouchers à l'intérieur et 3 à l'extérieur (note sur "La Grande Boucherie" de H. AUVRAY en 1945 aux archives départementales de Tours - coté 6 F1 429). Les bouchers qui la fréquentaient, devaient être de bons clients pour le café de Pierre LEGRAND.
Françoise CANU décède sans doute à Tours en Juin 1765. Le 18 Juin 1765, Pierre Louis LEGRAND fait dresser l'inventaire après le décès de sa femme et en qualité de curateur de sa fille mineure. On lira avec intérêt cet inventaire avec le détail des objets mobiliers, vêtements, mobilier de café, livres de compte, etc ...
Louis LEGRAND se remarie avec Françoise DUPOIRIER avant Janvier 1773, puisque le 23 Janvier 1773, Jean Antoine RIGOT, marchand bourgeois à Paris, l'un des témoins à son mariage, écrivait à Monsieur LEGRAND-DUPOIRIER, Grande Rue à Tours.
"Je vois par votre lettre du 22 Janvier que vous et votre chère famille jouissés d'une parfaite santé dont je vous souhaite la continuation. La mienne est assez bonne, Dieu mercy, celle de ma femme est toujours par des rhumes successifs et délicatesse de poitrine. Le reste de ma famille se porte bien, ma cadette étant prête d'accoucher (...). Je n'ai depuis plus de cinq semaines aucune nouvelle du curé ; par ses dernières lettres il se portait bien. Mes respects à Madame, des amitiés à la chère poulette et me croyés bien sincèrement Monsieur, votre très humble et obéissant serviteur".
Louis LEGRAND marie à Tours sa fille, Françoise Louise Brigitte à Pierre BEZARD en Février 1778 (voir plus loin dans la biographie de Pierre BEZARD-LEGRAND le contrat de mariage du 23 Février 1778 en présence seulement, du côté de la jeune fille, de son père et de Françoise DUPOIRIER, sa belle-mère).
Louis LEGRAND décède à Tours le 1er Janvier 1781, ayant déjà cessé son commerce de limonadier. Sa veuve fit apposer les scellés le jour même du décès et il es procédé à l'inventaire le 08 Janvier 1781 dans une petite maison de campagne, paroisse de Joué, à la requête tant de la veuve que des époux BEZARD-LEGRAND.
Mais des difficultés surgissent aussitôt entre eux, la veuve ayant recelé une cassette ; une transaction partage fut conclue dès le 13 Janvier 1781 (BEZARD-LEGRAND menait rondement les affaires). L'actif à partager comprenait notamment : un jardin à la Riche acquis par les époux LEGRAND-DUPOIRIER le 10 Mars 1778, le prix de vente d'une maison propre à la veuve vendue le 09 Mars 1776. Louis LEGRAND possédait en propre une maison Grande Rue à Tours, paroisse Saint-Pierre LEPUELLIER qui est attribuée avec une somme de 5.105 livres à Madame BEZARD-LEGRAND qui la vendit le 11 Août 1813. Cette maison avait été acquise à titre de licitation par Louis LEGRAND, le 12 Juillet 1765 (voir anciens titres de propriété). Louis LEGRAND l'avait prise en location un an avant le 03 Septembre 1764. Elle avait été entièrement reconstruite en 1761.
Toutes relations cessèrent dès lors entre Madame BEZARD-LEGRAND et sa belle-mère. Le 20 Janvier 1782, un dénommé HARDY LECOMPTE écrivait cependant encore à BEZARD-LEGRAND à propos des manoeuvres malveillantes de la veuve LEGRAND relatives à une créance contre un sieur DUPONT. (De HARDY LECOMPTE en profite pour envoyer une salade à Madame BEZARD, s'étant aperçu qu'elle les aimait bien).
L'Abbé CANU décéda, ainsi qu'on l'a vu, au début du mois d'Août 1781. Ayant appris le décès de son beau-frère, il écrivit à BEZARD-LEGRAND le 15 Février 1781 la lettre suivante, qui mérite d'être intégralement reproduite (voir photocopie).
Ainsi que l'Abbé CANU le lui avait demandé, BEZARD-LEGRAND fit établir le 26 Janvier 1781 (il l'avait donc fait avant même d'avoir reçu la lettre de l'Abbé CANU du 15 Février 1781) une procuration notariée par sa femme, habile à se porter seule héritière de Messire Jean Baptiste Adrien CANU, prêtre curé de la paroisse de Saint-Martin de Gasny au Vexin Normand, doyenné de Beaudremont, élection d'Andelys, subdélégation de Vernon sur Seine, archevêché de Rouen, son oncle, pour s'opposer aux scellés qui pourraient être apposés après le décès dudit sieur CANU, et au cas où ils seraient apposés, en demander la levée.
Après le décès de l'Abbé CANU, BEZARD-LEGRAND échangea plusieurs lettres en Août et Septembre 1781 avec un procureur de la Roche Guyon, avec son cousin LIGER, demeurant à Paris, pour faire "insinuer" son contrat de mariage à cause de la dot qu'avait faite l'Abbé CANU à sa femme, et pour avoir paiement de cette dot, ainsi que la somme de 1.995 livres promises par l'Abbé CANU à sa belle-mère, Françoise CANU en vertu de son contrat de mariage sus-énoncé du 25 Janvier 1752.
BEZARD-LEGRAND retrouve le frère de l'Abbé CANU qui fut sergent au régiment blésois et est retraité à Nîmes "en Languedoc" où il est employé dans les "fermes" (lettre du 07 Septembre 1781). Il ne cesse d'importuner et de relancer le frère de l'Abbé CANU, ainsi qu'il résulte d'une lettre du 23 Septembre 1781, d'une dame HEBERT-CLERVILLE, amie de l'Abbé CANU qui lui reproche de s'agiter bien inutilement. Il encaisse d'ailleurs ce qui est dû à sa femme le 16 Octobre 1781. (Voir le dossier de correspondance à ce sujet).
III - BEZARD-LEGRAND
A - De 1754 à 1789
"L'an mil sept cent cinquante quatre, le dimanche vingtième jour d'Octobre, a été baptisé par moy vicaire soussigné, un garçon nommé Pierre, né d'hier au soir, du légitime mariage de Pierre BEZARD, marchand de toiles et de Marie Anne CREUZOT, de cette paroisse. Le parrain, Pierre CREUZOT, garçon, oncle de l'enfant, de la paroisse de Saint-Firmin de Beaugency. La marraine, Louise Catherine BEZARD, cousine germaine de l'enfant, fille de Claude BEZARD, marchand cirier en cette paroisse".
CAILLARD Vicaire.
On ne sait rien de ce que fut la jeunesse de Pierre BEZARD. Il fit certainement des études scolaires, car il possède une certaine culture (bien que son orthographe soit des plus sujettes à caution). Il travailla vraisemblablement au cours de son adolescence chez son père, marchand de toiles. Très jeune, il aimait déjà beaucoup écrire et manifestait une curiosité d'esprit remarquable, puisqu'il écrit en Août 1771, à l'âge de 17 ans seulement, un "Manuel de l'Artifice en quatre parties, nouvelle édition revue et corrigée fait à Blois par moy, Pierre BEZARD, marchand à Blois, ce vingt deux Août 1771".
Ce manuel de deux cents pages est illustré de croquis typiquement de la main de BEZARD-LEGRAND et orné de fioritures et arabesques que l'on retrouve sur la plupart de ses écrits. La précision de la technique des feux d'artifices est remarquable, surtout de la part d'une garçon de cet âge. Peut-être toutefois n'a-t-il fait que recopier et compléter un ouvrage rédigé par son père, car la figure de la page 129 est signée "BEZARD-CREUSOT à Blois 1771".
Le père de BEZARD-LEGRAND décède à Saint-Gervais près de Blois le 20 Mars 1777. Sa mère était décédée le 07 Octobre 1767.
Brusquement orphelin à 23 ans, Pierre BEZARD se consacre aussitôt au commerce de marchand de toile que lui laisse son père et le 10 Septembre 1777, il paie "la somme de 93 livres 15 sols faisant les trois quarts de la fixation de la Maîtrise de Mercier Drapier en la ville de Blois, payables au profit du roi, conformément à l'article VIII de l'édit du mois d'Avril dernier, pour jouir de tous les privilèges attribués à ladite Maîtrise par ledit Edit". Le 13 Septembre 1777, il prêta serment d'exercer sa profession avec probité et conformément aux ordonnances du Roi. Sur le parchemin de cette prestation, il ne manque pas déjà d'annoter le montant de la dépense occasionnée par cette Maîtrise. Le 25 Février 1788 il reçoit, conjointement avec Pierre LAURAND (de la famille LAURAND du Coudray à Périgny) une commission pour l'exercice de la profession de marchand drapier à Blois.
On a vu qu'un mois avant, le 09 Août 1777, il avait procédé au partage de la succession de ses parents par lequel il lui avait été attribué les marchandises de son père (autrement dit son fonds de commerce de drapier mercier) et la maison Porte Chartraine à Blois où il était exploité, mais à charge de payer à ses soeurs une soulte de 8.010 livres qu'il payera de 1777 à 1787.
Il s'occupe déjà activement de son commerce ainsi que l'atteste une lettre d'un dénommé RENARD, marchand à Rouen, du 18 Janvier 1778 au sujet de lettres de changes émises à son profit. (Rouen était alors un centre actif de marché des draps et étoffes).
Il ne lui restait plus qu'à se marier, ce qu'il fait en Février 1778. Son contrat de mariage avec Françoise Louise Brigitte LEGRAND, âgée de 21 ans (celle qui était appelée familièrement "la Poulette" 5 ans plus tôt par l'ami RIGOT) est reçu par DREUSE et PETIT, conseillers du Roy, notaires à Tours "créés à l'instar de ceux des Châtelets de Paris et d'Orléans", en présence de Simon Pierre BEZARD, son curateur, Claude LIGER, son oncle, marchand à Beaugency, Marie Anne BEZARD, épouse de Jean Joseph AMIOT, marchand, sa soeur, Anne et Madeleine Ursule BEZARD ses soeurs, Madeleine LIGER, sa cousine germaine et du côté de la future épouse, Louis LEGRAND, son père et Françoise DUPOIRIER sa seconde épouse, demeurant tous deux à Tours, paroisse Saint-Pierre le Puellier.
Pierre BEZARD fait apport de 18.838 livres tant en immeubles que meubles et marchandises provenant de la succession de ses parents conformément au partage du 09 Août 1777.
La future épouse apportait 10.000 livres en argent comptant données par son père, 800 livres de trousseau dont 300 livres lui étaient données par l'Abbé CANU son oncle.
Au début de Janvier 1781, il mène tambour battant le règlement de la succession de Louis LEGRAND, son beau-père, décédé le 1er Janvier 1781, ainsi qu'on l'a relaté plus haut.
Le 04 Octobre 1781, son cousin LIGER lui écrit à propos d'un effet de commerce, l'invite à venir le voir à Limours, à trois lieues d'Arpajon et adresse l'hommage de son respect à sa femme.
Il le prie enfin de faire ses compliments à "Mademoiselle LECOMTE". On ignore qui était cette demoiselle LECOMTE dont le nom reviendra souvent dans la correspondance jusqu'en 1818. C'était certainement une intime de la maison de BEZARD-LEGRAND.
En Août et Septembre de la même année 1781, il se préoccupe comme on l'a vu, de récupérer la dot faite à sa femme par l'Abbé CANU qui venait de décéder.
Le 31 Janvier 1783, il établit une convention avec ses soeurs qui lui donnent tous pouvoirs pour régler aux créanciers de leur père une somme de 144 livres, en vertu d'un exploit du 17 Juillet 1778 à la requête du sieur FONTENEAU-PEAN.
Le 22 Novembre 1784, il emprunte une somme de 2.400 livres, qu'il remboursera le 30 Août 1793. Il semblait donc un peu gêné à cette époque, d'autant plus qu'il devait toujours une partie de la soulte due à ses soeurs.
Cependant, le 06 Novembre 1785, il achète une maison aux Basses Granges à Blois.
Le 21 Octobre 1786, Me THESSIER, procureur à Paris lui écrit au sujet d'une réclamation sur une créance contestée par son débiteur.
Le 05 Novembre 1787, sa soeur, Madeleine Ursule, novice sous le nom de Madeleine de Gonzague, chez les religieuses de la Visitation Sainte Marie de Blois, "célèbre ses voeux et fait la sainte profession au rang des soeurs du choeur" et reçoit le voile des mains de Messire Louis Guillaume MARTELLIERE, bénéficier de l'Eglise Cathédrale de Blois et confesseur de cette communauté.
Le 20 Octobre 1787, elle avait d'ailleurs fait son testament au profit de ses frères et soeurs, dont les dispositions seront confirmées par un partage sous seing privé du 22 Octobre 1787 écrit et rédigé par Pierre BEZARD-LEGRAND. Aux termes de ce partage intervenu entre elle et ses frères et soeurs, il est stipulé que Madeleine Ursule BEZARD étant sur le point d'entrer en religion, elle abandonne tous ses biens à ses frères et soeurs. Ces biens comprennent : la Closerie de Villejoint, paroisse Saint-Honoré à Blois, ses meubles, estimés 2.400 livres et diverses créances, soit un montant total de 6.286 livres 13 sols 4 deniers. Ces biens lui provenaient du partage de la succession de ses parents du 09 Août 1777.
Le premier lot "tiré au sort" comprenant le Closerie de Villejoint est échu à Pierre BEZARD à charge d'une soulte de 752 livres 4 sols 5 deniers payés comptant. Le partage fut ratifié le 05 Novembre 1787 par Pierre BEZARD, Jean AMIOT et Jean LEROUX. On se demande pourquoi. Il est vraisemblable que Pierre BEZARD avait préparé ce partage à l'avance.
Ainsi, à la veille de la Révolution, Pierre BEZARD qui avait commencé à exercer assez modestement la profession de marchand drapier-mercier de son père, avait bien consolidé sa situation et s'était montré adroit des règlements patrimoniaux de sa famille. Il fait déjà preuve d'un remarquable dynamisme et d'un sens aigu des affaires qui ira en s'affirmant.
En 1785, il agit en qualité de syndic de la communauté des marchands merciers de la ville de Blois contre un sieur ESNAULT, colporteur à Vendôme qui voulait exercer son commerce de mercier à l'Auberge d'Angleterre de Blois sans avoir payé les droits de maîtrise (voir documents du 07 Avril 1783 et du 21 Avril 1785 dans le dossier "Discours et notes de BEZARD-LEGRAND"). Il avait donc su déjà à cette époque acquérir la confiance de ses collègues merciers de Blois.
Dans plusieurs documents ou dans certaines lettres, il est appelé "BEZARD LE GRAND" et qui ne semble pas lui déplaire et confirme l'ascendant qu'il a pris sur son entourage.
Dans un de ces mémoires, il précise :
"J'ai tenu longtemps des négociations importantes sur toutes les places du royaume".
Nous n'avons aucun document sur sa vie conjugale et familiale pendant cette période au cours de laquelle sont nés ses trois enfants :
1°) Marie Brigitte, née à Blois le 07 Septembre 1781.
2°) Pierre Samuel, né en 1783.
3°) Joseph dit "Beaujour", né à Blois le 15 Octobre 1785.
(Cependant dans une note reproduite plus loin, BEZARD-LEGRAND prétend en 1793 être père de 4 enfants. On ne trouve aucune trace de l'existence de ce quatrième enfant. Peut-être est-il mort en bas âge).
B - La période Révolutionnaire
Pierre BEZARD-LEGRAND avait acquis, à la veille de la Révolution, une notoriété et une aisance financière qui ne manque pas de créer des jalousies dès l'année 1790. En ces temps troublés, il risquait de paraître "suspect".
C'est ainsi qu'un procès d'usure, le qualifiant d'accapareur, fut intenté contre lui.
Le 1er Février 1790, il adresse une plainte au Lieutenant du bailliage présidial de Blois, exposant que le 17 Janvier 1790 :
"sur les trois heures de l'après-midi, ayant été de se transporter vers l'église des Jacobins de cette ville où se tenait l'Assemblée du District de la porte Bastille pour parler à un des membres avec qui il avait une affaire pressée, il eut le désagrément d'être approché par un sieur BERRUER, perruquier, l'un desdits membres qui, en l'abordant le saisi au collet de son habit et lui dit de sortir, qu'il n'avait pas besoin d'être parmi eux".
Au cours de l'agitation qui s'en suivit, certains membres de l'Assemblée déclarèrent :
"que l'on ne devait pas souffrir un homme de son espèce, que le sieur BEZARD était un accapareur d'argent, qu'il avait pris 40 livres d'escompte sur un billet de cent livres et pour deux mois".
Il s'en suivait un procès où furent cités par BEZARD-LEGRAND 58 témoins à décharge, et le 12 Juillet 1790, le bailliage criminel de Blois, le décharge de l'accusation d'usure, l'autorise à poursuivre ses dénonciateurs et à faire publier cette sentence par voie d'affiche dont plusieurs exemplaires sont conservés au dossier.
BEZARD-LEGRAND l'a échappé belle. Il continue à exploiter son commerce. Il avait demandé à un cousin du nom de GUERINET de travailler avec lui, mais celui-ci lui écrit les 15 Septembre 1791 et 29 Octobre 1791 qu'il renonce à être employé dans son commerce, car ce n'est pas sa vocation ; il préfère l'étude des lois. Il lui envoie une lettre très affectueuse qu'il est intéressant de lire, où il complimente sa petite cousine (Marie Brigitte BEZARD) de ses progrès en géographie.
Ses affaires continuent à prospérer et 09 Novembre 1790 il achète une maison à Blois, Porte Chartraine, puis le 15 Mai 1792, une maison au Cul de Sac du Cygne qui appartenait à Madame AMIOT-BEZARD en vertu du partage du 09 Août 1777. Le 15 Avril 1793, il achète une autre maison à Blois, rue Chemonton. Enfin, le 20 Janvier 1795 (25 Frimaire an III), il achète la Métairie du Bourg à Périgny, des héritiers du sieur DE BAUDRY de la Blandinière (42 hectares) moyennant 85.386 livres. Plus tard, le 21 Prairial an XIII, il achètera la ferme de l'Aumône à Villeromain.
Il est permis de se demander si l'accusation d'usure n'était pas fondée, car on se demande comment son commerce de marchand drapier-mercier lui a permis en si peu de temps d'acquérir une telle fortune !
La sentence du 12 Juillet 1790 ne l'a d'ailleurs pas complètement blanchi, et ses concitoyens ne le considèrent pas comme une bon patriote. Il en est très inquiet, et on le comprend facilement et tant donné l'état d'esprit de l'époque.
Il est notamment accusé de faire "de la banque" et réunit des pièces justificatives en Septembre 1793 "dans le cas où je serais inculpé et interpellé" pour se justifier "sur la banque, aristocratie et échange d'argent". Il fait établir un acte de notoriété par notaire, certifié par 187 témoins ! et 128 personnes ont, dit-il, déposé en sa faveur contre les accusations calomnieuses portées contre lui.
D'ailleurs, dit-il toujours, le procureur n'a pas voulu sévir contre lui, ce qui est une preuve de plus de sa probité.
"Le reproche sur la vente d'argent est facile à détruire ; le peuple est juste lorsqu'il est éclairé. Le 10 Juin 1790, j'ai fait un voyage à Paris pour acheter de la marchandise à la foire St-Denis ; j'y ai porté l'argent que j'avais reçu à ma boutique que j'ai échangé contre des assignats ; j'ai acheté des marchandises que j'ai vendu à mes concitoyens, donc aucun reproche à me faire. Depuis 1790 à ce jour, je travaille sans relâche et je peux dire avec vérité que personne ne peut affirmer la preuve que j'ai vendu et échangé du numéraire. De plus j'applaudis de tout mon coeur au sage décret du maximum qui sauve la vie et le.... aux marchands ; la perte est conséquente il est vrai ; mais le bien général vaut mieux que le bien particulier".
"Vous m'accuserez d'aristocratie. Je ne suis ni noble, ni riche, mais noble de coeur. Le temps et l'expérience m'ont appris à les connaître ; ils méprisaient la classe mercantile et autre qui vallais mieux ; aussi pouvaige prendre leur partie, leur mille impérieux et insollan outrages ... Ne sommes nous pas tous égaux en droit. Le reproche que l'on peut me faire, c'est d'avoir monté parfois à la tribune, m'aitre trompé, mais sans l'intention de prêcher une doctrine contraire à l'ordre du jour ; j'ai débitté des discours qu'on plu et d'autres déplu ; si j'ai erré, c'est défaut de connaissance ; je conviens de mes tors. Le peuple est bon et souverain ; il reconnaîtra toujours en moy un père de famille bon et reconnaissant a c'est concitoyen".
"Citoyen souverain, n'aige pas été le premier à faire le don patriotique. N'aige pas été le premier, aux Jésuittes, à monter à la tribune en parlant aux jeunes jance : voilà le moment, camarades, où tous français républiquin doit servir sa patrie ; c'est en présence de la municipalité où j'ai dit le premier que me donnera la collade fraternelle, je luy donne mon abit, veste, culote, giberne garnis, sabre et fusi le champ. De plus, n'aije pas fait à différentes fois le change des cartes étrangères sur 37 villes à 70 lieux à la ronde contre des assignats et des gros lots, le tout gratisse, en présence d'un administrateur du département, le tout à mes frais ...."
"Citoyens j'ai besoin de vos suffrages ; je suis père de 4 enfants .... et commerce ! à l'emprunt forcé c'est là où l'on vera le bon citoyen".
Ce long plaidoyer, qui prend des allures d'une confession publique, méritait d'être reproduit en entier. Il semble d'ailleurs qu'il porte ses fruits, car BEZARD-LEGRAND ne fut pas autrement inquiété pendant la Révolution. La "Société des amis de la Constitution", établie à Blois et affiliée à cette séante aux Jacobins à Paris, lui délivre d'ailleurs un diplôme le 30 Mars 1792, le reconnaissant comme l'un de ses membres.
Le 13 Janvier 1793, il paie son abonnement de 6 livres à la "Société des amis de la liberté et de l'égalité" pour l'année 1793. Il a cependant certainement spéculé sur les assignats, car on trouve dans ses papiers un tableau de la contre valeur en assignat du Marc d'Or et d'Argent fin pour chacun des mois de l'an III.
BEZARD-LEGRAND a toujours fait preuve d'opportunisme et a su se plier à chaque régime. Lors du transfert de la famille Royale aux Tuileries en Octobre 1789, il avait rédigé des vers patriotiques destinés "au plus tendre des Roys"....
"Ton throne est dans nos coeurs".... "Les cris d'allégresse que lance avec délice à peuple ivre de toy". "Paris sauve à la fois et l'Etat et son Roy", etc.....
Ces vers sont suivis d'un autre poème à la gloire de NECKER :
"Ministre honoré, ô vertueux NECKER" et d'un éloge de LAFAYETTE "sous des pas, tous le monde est soldat, nous brûlons de te suivre au milieu des combats ; c'est le serment qu'à Blois tout citoyen te prête ; son chef est un héros, c'est toi LAFAYETTE".
Le 22 Septembre 1792, BEZARD-LEGRAND fait parti des 396 blésois qui adressent au législateur et au Roi une pétition de protestation contre les événements de la journée du 20 Juin 1792 (prise des Tuileries), (bulletin société archéologique de Vendôme 1994 page 109).
On verra qu'il fut plus tard un ardent Bonapartiste et que dès le retour de Louis XVIII, il ne manquera pas de faire l'éloge de "notre bon Roi".
LES DISCOURS DE BEZARD-LEGRAND
A LA SOCIETE DES AMIS DE LA CONSTITUTION
Pour se concilier les bonnes grâces de ses concitoyens toujours enclins à lui reprocher sa fortune (plutôt sans doute que par conviction) BEZARD-LEGRAND fit plusieurs discours à la Société des Amis de la Constitution, et plusieurs pétitions aux autorités.
Le 27 Juillet 1791, il demande la création d'un corps de courtiers ou agents de change pour négocier les assignats. En marge, il écrit : "A Plodit et sur le bureau".
Le 22 Octobre 1791, il demande la création d'une caisse patriotique municipale pour cautionner ("cossionner") les petits assignats de 1 livre ; 30 deniers et 3 livres. Il avait déjà demandé le 14 Juin 1791 la création de "billets patriotiques" garantis par la municipalité, en raison du peu de confiance des assignats.
"Le 18 Avril 1794 l'an II de la liberté française. Vivre libre ou mourir", il demande à Messieurs de département du Loir et Cher la création d'un tribunal de commerce à Blois, en avançant d'ailleurs des arguments parfaitement valables.
Le 08 Décembre 1792, il revient encore à son idée de création de billets patriotiques et demande à la Convention Nationale de prendre un décret en ce sens.
Le 05 Décembre 1792, il a "débitté" (et il a été "aplodit") un discours à l'Assemblée des Amis de la Constitution pour incriminer un certain PIERLOT, membre de cette Société, ancien peintre du cydevant évêque THEMINE, qui ne payait pas ses dettes.
Le 15 Avril 1792, il a fait un long discours aux "citoyens habittans des campagnes" pour leur reprocher d'accaparer le blé et le vin au détriment des habitants des villes et d'être la cause du renchérissement de ces denrées bien que ce soit sans profit pour les cultivateurs.
Il serait fastidieux de citer tous les discours de BEZARD-LEGRAND ; il s'intéresse à tous les sujets ; la discipline militaire, le recrutement des officiers, la charité qui doit régner entre les membres de l'Assemblée, la cherté de la vie, l'indulgence entre citoyens, etc....
Mais il en est quelques un de lire notamment :
a) Un long discours sur l'utilité des femmes pour stimuler les ardeurs civiques et guerrières des hommes, avec de nombreux exemples historiques et qui se termine ainsi : "Or donc, je demande s'il ne serait pas utile de relever l'Hôtel et le Trône de Vénus parmi nous, s'il convient que la législation s'en occupe, si le moment est venu, ou s'il faudrait le préparer. Toutes questions que je soumets à la supériorité de vos lumières avec toute la franchise d'un citoyen qui aime sincèrement les hommes vertueux et qui ne hait pas les vierges".
b) Un mémoire sur la distinction entre les vrais assignats et les faux.
c) Une proposition "de faire décréter que les prêtres patriotes seront à l'avenir, distingués dans leur habit par les trois couleurs de l'uniforme national. D'après la bigarrure monacale, il n'est personne qui ne sache que la Sainteté du Ministre ne réside pas essentiellement dans la couleur d'une souquenille. Le noir a toujours été le caractère des oiseaux de mauvaise augure ; il faut donc abandonner cette couleur aux prêtres réfractaires et même les y condamner". "Ainsi je vote que la soutane des prêtres patriotes soit le drap bleu roi ; les petits parements et les boutons écarlates, avec une ceinture de laine blanche. Les candidats ainsi habillés, seront jolis comme des anges ; le peuple, les femmes surtout, se laisseront prendre et subjuguer par les sens. Jugez Messieurs, des conversions".
d) Et enfin un long mémoire du 08 Janvier 1792 à Messieurs les amis de la constitution pour se justifier, comme on l'a déjà vu, de l'accusation portée contre lui de spéculer sur la vente des assignats contre de l'or. Ce mémoire constitue un remarquable cours d'économie sur les assignats et le papier monnaie tant en France que dans les pays européens, sur la prospérité de l'Angleterre et sur le prêt à intérêt.
Tous ces mémoires et discours sont écrit dans le style caractéristique de l'époque révolutionnaire, avec une généreuse emphase et dénotent surtout la préoccupation constante de BEZARD-LEGRAND de se concilier les bonnes grâces de ses amis de la Société de la Constitution avec lesquels il n'est pas toujours très à l'aise.
Il semble bien qu'il soit parvenu à obtenir la bienveillance des conventionnels, puisque le 02 Prairial An II (21 Mai 1794) il est convoqué avec deux autres concitoyens à la Convention Nationale "pour lui offrir les prémices de leurs travaux". Une note ajoutée sur cette convocation indique :
"Ce jourd'hui, 07 Messidor An II de la République française une et indivisible avons écris sur le présent registre le nommé HEMERY le capucin par ordre du Comité de surveillance accusé d'avoir tenu des propos inciviques et l'avons laissé à la charge et garde du commissaire Thomas BOITTE (?) concierge de ladite maison qui a signé avec nous".
On ignore qui était ce capucin et pourquoi cette mention a été reproduite sur la lettre de convocation de BEZARD-LEGRAND à la Convention Nationale.
On peut cependant se demander s'il n'a pas été menacé d'arrestation car le 02 Ventose An IV (21 Février 1795) il est prié de se rendre le lendemain à la séance de l'administration centrale du département entre 9 heures et 10 heures du matin. BEZARD-LEGRAND s'étant inquiété de l'objet de cette convocation il lui répondu le 03 Ventose par une lettre signée de 7 administrateurs :
"L'objet pour lequel, citoyen, nous vous avons prié de passer à notre séance de ce matin est pressant. Nous vous prions de vous y rendre avec le porteur".
C - Achat de la propriété de Périgny et opérations commerciales pendant la Révolution
Achat de Périgny
Bien qu'il ait essayé de démontrer à ses amis du club des amis de la constitution qu'il n'avait jamais spéculé sur la monnaie qu'il ait fait, dans un de ses discours, l'apologie des assignats, Pierre BEZARD-LEGRAND jugea prudent, dans cette période d'instabilité monétaire de convertir ses assignats en biens fonciers.
Le 30 Nivose An III (19 Janvier 1795) il achète aux héritiers de Claude Joseph François DE BAUDRY, sieur de la Blandinière, décédé à Blois au mois d'octobre 1791, une métairie au bourg de Périgny contenant 68 arpents, 9 boisselées de terres labourables, un arpent de 13 boisselées d'herbage, 4 boisselées de pré, 3 boisselées de pré de Malignes, soit ensemble 71 arpents 3 boisselées (42 hectares) moyennant le prix 85.386 livres.
Les bâtiments comprenaient : maison de maîtres, jardin, charmille, bâtiment de fermier composé entre autre d'une chambre basse à cheminée servant de fournil, écurie, étable à vache, bergerie, grenier sur le tout, cave, poulailler, grange à blé et à avoine, basse cour et jardin potager derrière le bâtiment.
Le 27 Avril 1796, BEZARD-LEGRAND complète cette acquisition en achetant à Isaac Mathieu BALDUC, demeurant à Paris et à Jean Charles Philibert LEGENDRE, demeurant également à Paris (acquéreurs des biens nationaux du Château de Périgny qui appartenait à Hercule Charlemagne TAILLEVIS de PERIGNY) 7 quartiers de pré à la rue Creuse, Commune de Périgny, un bois de 20 boisselées à la Croix de Chaillou et 3 arpents et demi de bois à Liverieux.
Le 12 Frimaire An VI (03 Décembre 1797), il achetait 5 boisselées 2/3 moins 1/5 de boisselées de terre en une pièce aux Cartes, commune de Périgny, le joignant.
Le 21 Prairial An XIII, il achetait de l'Aumone à Périgny qui appartenait précédemment aux héritiers du sieur DE BAUDRY, moyennant 1.800 Frs de rentes viagères. La venderesse, Mademoiselle Thérèse RAMBOURG décéda en Janvier 1810. BEZARD-LEGRAND n'acquitta donc les 1.800 Frs de rentes viagères annuelles que pendant 5 ans ; (le titre d'achat de l'Aumone se trouvait dans les titres de propriété de Périgny).
Il la revendit le 01 Janvier 1817, moyennant 24.000 Frs, voir lettre du 03 Octobre 1813, par laquelle DELAGRANGE, notaire à Blois lui propose un acquéreur au prix de 22.200 Frs. BEZARD-LEGRAND exige 26.000 Frs et 400 Frs de pot de vin. Mais par lettre du 26 Septembre 1816, il traite la vente de l'Aumone avec le Comte de la SORNIS, demeurant à Freschine qui lui offre 25.600 Frs et qu'il lui vend finalement pour 24.000 Frs payés comptant.
Enfin, le 09 Avril 1809, il achetait un hectare 37 de terre sur Villeromain et 46 ares 53 de terre au même lieu.
La ferme du bourg à Périgny était louée lors de son acquisition par BEZARD-LEGRAND à Pierre JOURDAN et Marie CORNET son épouse.
Le 29 Ventose An VII (08 Mars 1800), BEZARD-LEGRAND leur louait à nouveau "la basse cour du logis de Périgny", à charge notamment d'entretenir les Charmilles et de planter des arbres fruitiers, moyennant 5 muids de blé, 50 bottes de paille, 6 couples de chapons et 60 Frs de ferme.
En 1808, il fait établir un arpentage et un relevé de cadastre de ses terres de Périgny, Villeromain, Coulommiers, Crucheray et Villemardy (la ferme de Périgny étant alors appelée "les Portes Vertes").
Il possédait alors 33 septrées sur Périgny, 1 septrée 11 boisselées sur Villemardy, 35 septrées sur Villeromain, 1 septrée sur Coulommiers, soit 77 septrées ou 175 hectares (y compris la ferme de l'Aumone). Il fait établir également un plan cadastral qui existe toujours (encadré de deux bâtons dorés).
On verra plus loin les travaux et aménagements que fit BEZARD-LEGRAND à la propriété de Périgny.
Opérations commerciales pendant la Révolution
On a vu plus haut que Pierre BEZARD-LEGRAND, avait déclaré, au début de la période révolutionnaire qu'il avait "tenu longtemps des négociations sur toutes les places du royaume". Il était en contact notamment avec des négociants en draps de Rouen. D'après une tradition de la famille il allait assez fréquemment dans certaines villes de France, notamment à Rouen pour y traiter des achats de marchandises ; il fait ces voyages, les routes n'étant pas sûres, armé de pistolets en compagnie d'un certain LAURANT, ancêtre des LAURANT du Coudray de Périgny, et avec un certain LEMAIRE, ancêtre des LEMAIRE de Vendôme qui habitait rue Guesnault et dont la famille était au XIXe siècle et au début du XXe siècle gros propriétaire foncier à St-Anne, Villerable, Danzé et Azé. (Elle possède encore la ferme de Villessus à Villerable, celle de la Couenneterie à Danzé et des bois à Danzé et Azé).
Le 02 Juillet 1793, un certain DERIBERES des Gardes à Argentons lui envoie des "Droguets de Limoges" rayé bleu, petite lais, deux pièces grande lais, trois pièces petite lais fond bleu avec du rouge à côté et une pièce rayée teinte rouge.
Les guerres révolutionnaires sont une bonne occasion pour BEZARD-LEGRAND de développer son activité commerciale en fournissant des draps aux armées.
Le 16 Juin 1793, il écrit au citoyen Ministre de la Guerre :
"qu'il sera dans le cas de rendre service à la République en fournissant divers objets nécessaires à l'habillement des braves défenseurs de la patrie, savoir toiles de chemise, drap bleu et les doublures ; en lui accordant confiance, il saura se désintéresser en fournissant de bonnes marchandises dont il a acquis la connaissance à force de travail. Il prie le citoyen Ministre de la Guerre de lui fournir les moyens de pouvoir donner des preuves de ses sentiments civiques et il attend la réponse du Ministre à Blois où il fait sa résidence ordinaire, jouissant de la confiance de ses concitoyens'.
L'administration de l'habillement, équipement et campement des troupes accuse réception de cette lettre le 30 Août 1793 et le 21 Septembre 1793, l'adjoint du Ministre de la Guerre invita BEZARD-LEGRAND "à faire passer des échantillons de toiles avec une note indicative de leurs prix et quantités, afin de pouvoir juger si votre offre convient aux intérêts de la République".
Le 25 Septembre 1793, BEZARD-LEGRAND, en réponse à cette lettre fit passer aux administrateurs de l'habillement des échantillons de toiles pour draps et chemises ajoutant : "c'est avec peine que je vous annonce que le prix courant de cette espèce de marchandise est exorbitant" et il site les prix. "Je pourrai livrer ces marchandises au comptant sans cependant vouloir m'y engager formellement attendu que cette espèce de marchandise augmente de jour en jour... Compter sur mon zèle à bien servir la République".
On ignore si BEZARD-LEGRAND a pu conclure ce marché, cependant un peu plus tard, le citoyen Ministre de la Guerre a accepté son offre civique et désintéressée, car le 12 Germinal An II (03 Avril 1794) l'adjoint au Ministre de la Guerre (division des hôpitaux militaires, service du matériel) lui écrivait qu'il avait renvoyé aux administrations des hôpitaux militaires sa requête sollicitant le paiement d'une somme de 2.205 Frs, montant d'une fourniture de toile livrée pour le service de l'hôpital militaire de Blois. Il résulte d'une note portée par BEZARD-LEGRAND sur une autre demande concernant le même objet "qu'il a été payé dans les 24 heures".
Si ces marchés de la République lui procurent des bénéfices substantiels, celle-ci en profite pour le mettre à contribution. C'est ainsi que le 08 Nivose An III, les maires et officiers municipaux de la commune de Blois l'informe que :
"la Convention Nationale vient de supprimer le maximum du prix de toutes les denrées ; la liberté du commerce est établie ; le conseil général, sans cesse occupé à procurer à ses administrés des subsistances, a arrêté d'inviter tous les bons citoyens de vouloir bien prêter à la commune des fonds pour les acquérir, et il te met du nombre et il compte sur ton patriotisme pour lui prêter ce que tes facultés te permettront. La souscription est ouverte à la Commune".
Cette lettre est signée de 8 administrateurs et de BEZARD-BOYSSE, Maire.
Ce BEZARD était un cousin, ainsi qu'il est confirmé par une lettre de BEZARD-LEGRAND du 07 Mars 1809.
BEZARD-LEGRAND a d'ailleurs été obligé de souscrire à plusieurs emprunts forcés en l'An III et en l'An IV.
Le 18 Mésidor An III, il prêtait 2.000 livres à la ville de Blois pour l'achat de grains. Par circulaire du 1er Frimaire An XIII, le préfet CORBIGNY demande aux souscripteurs de cet emprunt de renoncer à leur créance "afin d'éteindre les dettes de la ville de Blois", attendu que "l'ordre et la régularité règnent maintenant" dans sa comptabilité.
BEZARD-LEGRAND est ensuite imposé à la réquisition du fer. Puis il est obligé de souscrire 1.000 Frs puis 1.200 Frs d'emprunt forcé en l'An III et il indique "que ses facultés sont épuisées".
En échange de ces emprunts, il lui est délivré un "extrait d'inscription au Grand Livre de la dette publique" de 50 Frs de rente le 21 Frimaire An III.
Le 03 Août 1820, le receveur général des finances, à Blois, l'informe que le remboursement de cet extrait d'inscription est périmé, BEZARD-LEGRAND n'ayant pas accompli les formalités de consolidation prescrites par la loi du 24 Frimaire An VI.
Enfin, en l'An IV, il souscrit 2.000 Frs à l'emprunt forcé de l'An IV. Seul les deux premiers coupons de 200 Frs chacun furent remboursés.
On peut s'étonner qu'un an après le dernier emprunt forcé qui "épuise ses facultés" il est pu acheter le domaine de Périgny moyennant 85.000 livres.
D - L'activité de BEZARD-LEGRAND sous le Directoire, le Consulat et l'Empire
La période révolutionnaire passée, BEZARD-LEGRAND n'a plus besoin de donner des gages patriotiques et peut se consacrer paisiblement à sa vie professionnelle et familiale que l'on peut reconstituer grâce à une nombreuse correspondance et d'abondant documents. Il exerce toujours son commerce de marchand drapier, rue Porte Chartraine à Blois où il habite, mais il se rend fréquemment à Périgny et s'occupe activement de la gestion de sa propriété.
Il résulte une liasse de lettres écrites en 1806, qu'il est en relation avec un négociant de Marseille qui lui propose de l'huile d'olive et du savon ; avec un commerçant de Hambourg qui lui propose 600 pièces de Nanquin et de l'eau de vie avec transport par bateau à Nantes (BEZARD-LEGRAND commande 100 pièces de Nanquin) et qui lui envoie des prospectus de la "Grande Coterie" à Hambourg ; avec un commerçant de Nyon en Suisse ; avec un autre de Sokerin (ou Lokerin) en Allemagne qui lui propose de la toile payable sur Anvers, Bruxelles ou Gand, et encore avec un commerçant de Francfort.
Il jouit d'une grande considération parmi ses concitoyens et entretient des relations avec les personnalités politiques, notamment sous l'Empire avec le préfet CORBIGNY. En raison de sa situation sociale, il est souvent consulté et sollicité par des quémandeurs. Il répond d'ailleurs toujours généreusement à toutes les demandes qui lui sont présentées et semble jouir d'une grande estime.
Le 4ème jour complémentaire de l'An VI, un certain GODEFROY intervient auprès de lui en faveur d'une dame DUGUEPE, ou plutôt de LUCKER qui se trouve dans une situation financière difficile. BEZARD-LEGRAND, saisit de cette demande, la transmet au citoyen "BARASSE", Directeur au Palais de Directoire National à Paris, ce qui semble indiqué qu'il avait quelques relations avec le gouvernement.
Le 09 Prairial An VI, il écrit au Ministre des Finances à Paris pour protester au nom des négociants et marchands de Blois contre les "vues ambitieuses du Canton de Vendôme" dont les habitants demandent que :
"le grand courrier de la malle-poste soit dirigé par Vendôme, ce qui n'offre rien d'avantageux, car ce canton n'est qu'entre deux montagnes, point de commerce, et la route peu habitée ; Vendôme n'a pour tout avantage sur Blois que deux députés et nous un".
"Le chef lieu du département du Loir et Cher est une ville de commerce en vin et eau de vie considérable par la production qu'offre ses ressources économiques, et par la Loire, belle et grande route bien habitée".
Le 03 Germinal An VI, il reçoit une lettre d'un dénommé CADIOU, marchand de tabac à Paris, 289 rue St-Martin, qui a des revers de fortune ; il achète le tabac, dit-il au même prix qu'il le revend ; il lui rappelle que BEZARD-LEGRAND "a cru devoir lui tenir compte du refus qu'il a fait de se joindre aux fripons qui le poursuivaient et dont les spéculations honteuses n'excitèrent en lui que l'indignation". BEZARD-LEGRAND lui répond qu'il y a encore "des hommes probes et même désintéressés qui savent reconnaître l'homme de bien" et qu'il saura se sacrifier pour rendre service. C'est pourquoi il lui envoie un billet de 2.000 Frs payable dans un an au denier de 6 %.
Le 22 Ventose An VIII, il écrit au citoyen consul "CAMBACERAISSE" deuxième consul de la République française, (si BEZARD-LEGRAND a des relations avec tous les grands personnages du régime, il fait preuve d'une ignorance totale de l'orthographe de leur nom patronymique) dans les termes suivants qui caractérisent bien son style et son dévouement :
"L'humanité m'oblige de m'intéresser aux infortunés. Je vous sollicite une place pour un père de famille âgé de 30 ans, assez bel homme, qui était Lieutenant dans les légions de Belgique où il s'est bien comporté ; il s'est retiré de ce corps pour se marier à Blois et a été nommé chef instructeur ; il connaît très bien les chevaux. Il se trouve obligé d'avoir recours à une place pour vivre soit dans le civil ou le militaire ; il se recommande à un homme humain et bienfaisant ; je ne puis donc mieux m'adresser. Puis-je espérer réponse. Il n'est pas de ma famille ; il n'est pas mon parent ni mon ami ; il est malheureux et je m'y intéresse ! C'est de vous, citoyen consul où il peut trouver son existence plus douce. Sa famille est recommandable. Je suis avec respect votre obéissant et citoyen. BEZARD-LEGRAND".
Le 04 Thermidor An XIII, il reçoit une lettre d'un autre solliciteur ; il s'agit de Me PASQUIER, notaire à Vendôme, qui n'ayant pas assez d'ouvrage dans sa profession a accepter la commission de Voyer de l'arrondissement de Vendôme pour subvenir aux besoins de sa femme et de ses cinq enfants. Il sollicite platement l'intervention généreuse de BEZARD-LEGRAND auprès du préfet CORBIGNY pour être payé de ses fonctions de Voyer. Il demande en outre une place de percepteur communal pour son beau-frère, invalide de guerre. Enfin il propose à BEZARD-LEGRAND d'établir le relevé cadastral de ses propriétés de Périgny (ce qui fut d'ailleurs fait, ainsi qu'il résulte des titres de propriétés de Périgny).
Le 07 Avril 1809, il recommande au préfet CORBIGNY un candidat à la Légion d'Honneur.
Le 21 Octobre 1813, un certain LAUTEREST, négociant à Mayence, sans doute en relations d'affaires avec BEZARD-LEGRAND lui demande de soulager le sort d'un certain WILFINGER, officier autrichien, prisonnier de guerre à Blois. BEZARD-LEGRAND indique au bas de cette lettre qu'il l'a contacté et lui a fait remettre un mandat.
Le 08 Octobre 1814, il informe une dame qu'il est passé au Ministère de la Guerre pour qu'elle puisse toucher la pension de la Légion d'Honneur de son mari.
Le 16 Juin 1816, il écrit au Bureau de Bienfaisance de Blois pour lui rappeler qui lui est dû 373 Frs pour fourniture de marchandises, mais "voulant donner au Bureau une preuve du désire qu'il a de concourir au soulagement de l'humanité souffrante", il lui offre une somme de 140 livres en marchandises au prix de facture à prendre dans ses magasins.
Si BEZARD-LEGRAND fait preuve d'une grande générosité envers toutes les personnes qui le sollicitent, il en est cependant qui essuient des rebuffades violentes, surtout s'il s'agit de questions d'intérêts. Le 13 Mai 1808, un certain CHAPPOLIN lui écrit au sujet d'une dette qu'il conteste. BEZARD-LEGRAND lui répond le 14 Mai 1808 :
"Il faut être ridicule pour faire reproche à un homme qui mit sa confiance en vous et qui vous envoie des billets échus. Ecrivez à Messieurs MALLET ce qu'il vous plaira. Je suis indépendant d'eux et encore moins de vous. Si vous êtes gras, je ne suis pas maigre".
Comme on a pas manqué de la remarquer, si BEZARD-LEGRAND sait se montrer généreux, il n'en est pas moins d'un tempérament vif et autoritaire. Au cours de sa vie, il a eu plusieurs procès, après le fameux procès d'usure de 1790. Chaque fois il se défend avec acharnement. Il n'hésite pas, par exemple, à formuler une inscription en faux contre le fermier des barrières de Blois qui a fait dresser procès verbal le 15 Brumaire An X contre son domestique qui conduisait une charrette chargée de poinçons de vin ; il venait de la grande route de Blois à Vendôme pour se diriger au magasin que posséder BEZARD-LEGRAND aux Basses Granges ; pour éviter le contrôle de la barrière et pour ne pas payer le "droit de passe", il prit un détour ; BEZARD-LEGRAND fait citer de nombreux témoins pour justifier le bon droit de son domestique et dresse un croquis des lieux. On ignore le résultat de ce procès.
E - L'activité à Périgny
BEZARD-LEGRAND déploya une grande activité à l'aménagement et à la mise en valeur de sa propriété de Périgny qu'il avait acquise le 19 Janvier 1795. Il s'y rendait très fréquemment et y habitait presque constamment, du moins l'été, après avoir laissé l'exploitation de son commerce à son fils Samuel.
Il s'intéressa à la vie de la commune et de la paroisse. Le 13 Nivose An IX (05 Janvier 1801), il est nommé membre du Conseil Municipal de Villeromain (Périgny n'étant pas alors une commune) par arrêté de CORBIGNY, Préfet de Loir et Cher, en conformité de l'article 20 de la loi du 28 Pluviose An VIII.
En l'An XII, il fait convoquer le "Conseil Général" de la commune de Villeromain pour augmenter le traitement du curé et acheter des objets nécessaires au culte (cire, pain, vin, blanchissage et salaire d'un sonneur obligé de nettoyer l'église et d'accompagner le desservant dans l'exercice extérieur de sa fonction). Il fait prendre ces dépenses en charge par le budget communal, attendu le modique produit des offrandes volontaires, le produit nul de la l'occasion des bancs et le faible produit des quêtes qui n'est que de 40 Frs par an.
Il organise avec le desservant de Périgny, l'Abbé DEVARENNE, la cérémonie du baptême de la nouvelle cloche de l'église de Périgny qui a lieu le 22 Vendémiaire An XII (16 Octobre 1803). Il invite le préfet CORBIGNY, le sous-préfet LEFEBVRE, une Madame BEAUVALET, le receveur général et un Monsieur BEAUVOIR, négociant à Vendôme à venir déjeuner chez lui après la cérémonie, à sa ferme. Il dessine à cette occasion le petit tableau qui se trouve dans le bureau de Périgny.
Le 07 Janvier 1808, il informe le maire de Périgny que le préfet vient d'écrire au Ministre des Cultes pour conserver la paroisse de Périgny et le 19 Janvier 1808; il rédige la note suivante :
"Périgny conservé et protégé par Monsieur CORBIGNY.
Evêque et grand vicaire ayant demandé au Ministre des Cultes la suppression de cette paroisse, étant trop près de Villeromain.
C'est au crédit du parrain de la cloche que les paroissiens doivent la conservation de la paroisse, ayant été recommandé par un des amis de Monsieur le préfet. J'ai vu la lettre de Mgr l'Evêque à Monsieur le préfet. Il me suffit, Monsieur, que vous vous y intéressiez pour que vous conserviez ladite paroisse" lui a répondu le préfet.
Les temps ont décidément bien changé depuis l'époque des discours, "au Club des Amis de la Constitution" sur l'uniforme tricolore des prêtres !
En même temps qu'il s'occupe des intérêts des habitants de Périgny, BEZARD-LEGRAND s'intéresse à l'aménagement de sa propriété et sa mise en valeur.
Lors de l'acquisition, la ferme "de la Basse Cour du Logis de Périgny", était loué à Pierre JOURDAN et Madeleine CORNET, sa femme. Le 29 Ventose An VII, il renouvelle ce bail à charge notamment par le fermier d'entretenir les Charmilles et de planter des arbres fruitiers.
Le 14 Août 1811, il écrit à ses fermiers pour les informer de son arrivée prochaine pour arrêter leur compte et renouveler leur bail avec leur fils et l'invite ensuite à lui montrer toutes les pièces terre louées. Il en résulte du compte détaillé de Pierre JOURDAN que ce dernier lui doit 801 Frs et lui donne congé.
Le 18 Décembre 1813, il loue cette ferme à Nicolas GOUFFAULT.
Tous les comptes de réparation aux toitures, travaux divers à la ferme, réclamations de fermage, coupe de bois de charpente, vente de peupliers et d'ormeaux, travaux d'aménagement du parc et du jardin sont méticuleusement classés par BEZARD-LEGRAND et prouvent le soin qu'il apportait à la gestion de cette ferme.
Il avait tenu deux registres de comptes reliés d'un vieux parchemin, l'un concernant la gestion de sa ferme à Périgny, l'autre concernant la maison de maître et le parc. Ce dernier contient des annotations savoureuses sur ses activités, ses rares maladies, la température, etc... Il est intitulé textuellement : "De Pance fait et ogmantation à Périgny depuis le 29 May 1807 à moi BEZARD-LEGRAND Ngt à Blois".
La liasse volumineuse de ces comptes, notes, croquis, etc.... mérite d'être étudiée attentivement ; elle permet de reconstituer certains aménagements apportés au parc de Périgny pour lui donner son aspect actuel : creusement du vivier au bas de l'allée de platanes, et du vivier au bas du pré ; aménagement de fossés et projet d'une île au centre dans le parc (dont on retrouve encore les traces aujourd'hui), déplacement des piliers d'entrée de la propriété reconstruits à leur emplacement actuel sur le chemin allant du bourg au potager du Père GABLIER, plantations d'arbres fruitiers, création de la grande allée, etc...
En Brumaire An XII, notamment un certain LECOMTE (sans doute père de Mademoiselle LECOMTE dont il sera souvent fait mention dans la correspondance ultérieure), indique qu'il a fait 163 trous pour planter des arbres, "y compris la grande allée".
BEZARD-LEGRAND s'occupe aussi du curage de la Houzée de Villeromain à Bezard, on relève le plan avec l'indication des propriétaires riverains et la part contributive de chacun. C'est un travail considérable et qu'il est intéressant de consulter.
Après avoir été en excellent rapport avec le Chevalier Préfet Corbigny, pendant l'Empire, BEZARD-LEGRAND se fait le champion de la cause royale dès le retour du Roi. Le dépouillement de la correspondance et des documents divers laissés par BEZARD-LEGRAND permet de suivre les événements historiques dont il a été témoin. Par exemple, en Mai 1814, il reçoit une lettre d'un correspondant de Tarare, au sujet de l'envoi de marchandises :
"Le retard du courrier et l'absence de notre maison que nous avons été obligés de quitter par suite de l'envahissement de notre pays par l'ennemi, nous a empêché de répondre", etc...
En effet, le 03 Décembre 1814, le garde champêtre de Périgny fait parvenir à BEZARD-LEGRAND trois lettres de trois propriétaires de Périgny désignés à la décoration du Lys.
"Je vous y joins monsieur MERCIER, adjoint à Villeromain qui vous prie d'avoir la bonté de vous intéresser pour lui de la décoration de Me GUILLEREAU Meunier de Dauton".
Le 28 Décembre 1814, il reçoit une lettre de DORE, prêtre desservant de Périgny, le remerciant de lui avoir fait obtenir la décoration du Lys :
"Mais daigniez prier l'Orfèvre de reprendre la Croix que vous m'avez fait passer par le Me BIGUIER de la POTERNE, elle s'est trouvée si faible et si peu solide qu'elle s'est mise en trois sitôt qu'on a voulu y toucher, ce qui m'a fait peine, sachant que cela ne venait point de votre faute. L'ouvrier ne peut s'y refuser en voyant que le tout vient de la faiblesse de l'ouvrage et de la délicatesse de la façon ; en vous remerciant bien des fois" ..... Suive les voeux de nouvel an.
VILLEJOINT
Parallèlement à la mise en valeur de sa propriété de Périgny, BEZARD-LEGRAND attache un grand intérêt à l'exploitation de sa Closerie de Villejoint qu'il s'était fait attribuer dans le partage lors de l'entrée de sa soeur au couvent du 22 Octobre 1787. Cette Closerie, aujourd'hui englobée dans la zone industrielle de Blois, en bordure de l'autoroute, produisait du bon vin ainsi que l'attestent de nombreux "congés" ou "passavants" soigneusement conservés par BEZARD-LEGRAND pour transporter les poinçons de vin à Blois. C'est d'ailleurs au cours de ces transports de vin qu'il eut un procès relaté ci-dessus, sans domestique ayant voulu éviter de s'arrêter à la barrière de l'Octroi de Blois.
F - Beaujour (Joseph Bezard)
BEZARD-LEGRAND, au début de l'Empire, était arrivé à une situation financière confortable et était devenu un grand bourgeois de Blois. Ses affaires prospéraient ; tout semblait lui réussir et il jouissait de l'estime et de la considération de ses concitoyens.
Cependant le malheur va le frapper dans ses affections les plus chères. Il avait déjà perdu, semble-t-il en bas âge son quatrième enfant.
Le 26 Décembre 1799, décède sa fille Marie Brigitte épouse de Charles Michel ROGER, "après avoir été trois mois mère".
Son petit-fils qu'il va élever après le remariage de son gendre décédera lui-même le 05 Juillet 1818.
Mais ce qui l'affecte le plus, c'est la mort de son fils Joseph qu'il surnomme "BEAUJOUR", né à Blois le 15 Octobre 1785.
Il a été possible de regrouper tous les documents dispersés dans un ordre invraisemblable et que BEZARD-LEGRAND avait soigneusement classés sous une chemise portant la suscription :
"Recherche de mon fils. Lettre écrite depuis le 03 Décembre 1807 jusqu'au 30 Décembre pour la recherche de mon fils BEAUJOUR. Cinq mois sans lettre et sans avis. Ecrit au Major, Capitaine, au Président de Place, au Ministère et autres".
Joseph BEZARD était le second fils de BEZARD-LEGRAND ; il destinait son fils aîné, Pierre Samuel, à la continuation de son commerce, il voulut faire engager le seconde dans l'armé ; est ce par vocation, par patriotisme, ou parce qu'il n'envisageait aucune autre position sociale pour lui ? Il est impossible de le préciser.
Le 21 Brumaire An XIV (14 Novembre 1805) BEZARD-LEGRAND à Monsieur le Sénateur CORNET à Paris :
"Ayant eu l'honneur d'entretenir avec vous des relations d'affaires pendant plusieurs années, et me flattant d'avoir obtenu quelques titres à votre estime et à votre confiance, j'ose solliciter l'appui de votre protection pour le succès du parti que mon fils, âgé de 19 ans 1/2, est résolu de prendre dans la carrière des armes.
La garde d'honneur de sa Majesté l'Empereur où les Vélites sont les corps dans lesquels il ambitionne de faire preuve de son dévouement à la personne du souverain et à la défense de la Patrie.
Oserais-je vous prier, Monsieur le Sénateur, de ménager à mon fils, votre bienveillante protection pour faciliter son avancement lorsqu'il aurait été assez heureux pour utiliser l'occasion de montrer, par sa bonne conduite et ses faits d'armes qu'il est digne de servir sous les yeux de notre Auguste Souverain.
Je désire obtenir de votre complaisance un mot de réponse qui me fasse connaître ce qu'il est permis à un père résolu de faire tous les sacrifices pour son fils, d'espérer pour son avancement et son bonheur.
Je vous conserverai, Monsieur, ainsi que lui, la plus parfaite reconnaissance".
Le 13 Février 1806, le préfet de Loir et Cher informe Monsieur BEZARD (Barthélémy) fils (pourquoi est-il prénommé Barthélémy ? Sans doute par erreur, il ne peut s'agir du Barthélémy BEZARD à qui avait été délivré le certificat de toisement à l'âge de 20 ans, le 23 Mars 1775), que :
"Son excellence le Ministre de l'Intérieur l'a chargé de lui faire connaître au nom de sa Majesté l'Empereur, qu'elle a vu avec satisfaction le témoignage de dévouement que vous avez cherché à lui donner en vous faisant inscrire pour entrer dans la garde d'honneur qui devait accompagner sa Majesté quand elle était à la tête de ses armées. Des succès sans compte ont terminé la dernière campagne avant que sa Majesté eut pour ainsi dire le temps de lire les listes qui lui étaient envoyées de tous les départements de l'Empire, et la cessation des hostilités ne lui a pas permis d'accorder au dévouement de la jeunesse française la plus noble récompense qu'elle put recevoir, c'est à dire d'accepter ses offres de service.... Quoiqu'il en soit, ne doutez pas, Monsieur, que sa Majesté qui a vu votre nom sur cette liste honorable, ne conserve de la bienveillance pour vous et que ce ne soit un titre de plus pour obtenir les bienfaits auxquels vous croiriez avoir droit de prétendre".
Le 17 Février 1806, L. P. SEGUR, grand maître des cérémonies, conseiller d'Etat, grand cordon de la Légion d'Honneur et de l'Ordre du Portugal, confirme à BEZARD-LEGRAND les termes de la lettre ci-dessus.
Le Beaujour BEZARD doit donc attendre la reprise des hostilités pour pouvoir faire la preuve de ses faits d'armes sous les yeux de l'Empereur. Mais, il doit être d'un tempérament batailleur, car le commissaire de police de la ville de Blois écrit à son père le 19 Février 1806 :
"Dénoncer un fils à son père est pénible pour celui qui respecte les vertus familiales (l'indulgence). Mais cet avis sera fraternel, ne sera pas une plainte ; le père prévenu rappellera son fils à l'ordre et par des représentations paternels le fera aborder la raison.
"Voici les faits : Monsieur BEZARD Beaujour, votre fils, a eu une petite aventure avec Monsieur DUBUISSON ; la conciliation projetée par l'adjoint DUMAINE, me remplaçant au bal, a donné lieu à une entrevue extérieure (votre fils y est allé) avec douceur parce qu'il a regardé sa faute plutôt pour une erreur que pour un crime ; il devait être satisfait de cet acte d'indulgence : mais non ; par une suite d'étourderies, il vient de provoquer un cartel avec Monsieur DUBUISSON ; c'est moi qui m'y trouverai ; la loi me le prescrit, au regard de mes devoirs. Mais avant tout je renvoie cet enfant à la discipline paternel ; je pense que cette fougue mal entendue et impétueuse sera pour vous réprimée. Et il a ajouté que, si Monsieur DUBUISSON ne s'y rendait pas, il l'injurierait à chaque fois qu'il le rencontrerait. Vous voudrez mettre à ordre à cela ; vous m'éviterez la disgrâce d'employer les moyens que la loi me prescrit pour éviter la perturbation. Je vous salue avec estime".
BEZARD-LEGRAND annote cette lettre :
"Fait réponse : mon fils n'est pas un perturbateur, DUBUISSON est un polisson et vous, Monsieur, vous croyez avoir raison ; si mon fils a des tords il devait le souffleter".
Le 17 Mars 1806, Monsieur DE LA MORTE, ancien Capitaine, demeurant à Fontenailles par Beaugency, assure BEZARD-LEGRAND de son concours pour le projet de son fils...
Le 10 Avril 1806, BEZARD-LEGRAND écrit à Monsieur le Sénateur DUBOIS-DUBUY pour solliciter son intervention car son fils désire depuis deux ans rentrer dans l'armée et y faire son état ; il est très brave et donne beaucoup d'espérance.
Le 15 Avril 1806, il écrit à Monsieur DE LA MORTE ("Mon cher ancien camarade") pour que son fils soit mis au service du Prince Joseph, roi de Naples et de Sicile, et il renouvelle cette demande le 19 Avril 1806 au Sénateur DUBOIS-DUBUY, car il y a "quatre ans" que son fils désire servir dans la carrière militaire ; il écrit à nouveau dans ce sens à Monsieur DE LA MORTE le 22 Avril.
Le 21 Mai, il profite d'une correspondance avec le directeur du journal de l'instruction publique, pour solliciter son intervention en faveur de son fils.
Le 15 Mai, il remercie Madame DE LA MORTE de sa "royale réception" et rappelle que son fils "brûle du désir de servir sa Majesté".
Après plusieurs autres lettres du Capitaine DE LA MORTE, d'une dame DUCOR-DUROY à Fontenailles et de Monsieur AMAUX, direction du journal de l'instruction publique, le préfet de Loir et Cher informe enfin BEZARD-LEGRAND le 23 Mai 1806 que l'Empereur a ordonné l'admission de son fils dans les Vélites à pied et qu'il doit partir de suite à Paris.
A dater de son incorporation, il devra payer au gouvernement la pension exigée. Cependant, ce n'est que le 05 Juin 1806 que BEZARD-LEGRAND demande au préfet de recevoir son fils pour qu'il lui délivre sa feuille de route et le 07 Juin il lui envoie un panier d'écrevisses et lui annonce l'envoi de vin de Calabre, et du rhum de la Jamaïque ; il savait reconnaître les services rendus !
Beaujour BEZARD se met en route le 08 Juin et emporte :
- 9 chemises marquées J. B.,
- 12 mouchoirs blancs et couleur,
- 6 paires de bas de coton,
- 4 bonnets de coton,
- 2 paires de bas de soie de couleur,
- 6 cravates dont 2 noires,
- 2 serviettes ouvrées,
- 1 habit,
- 2 gilets (1 blanc et nankin),
- 4 culottes dont 1 longue.
BEZARD-LEGRAND accompagne son fils à Paris et il écrit le 11 Juin 1806 à sa femme :
"Ma bonne amie,
La course que je viens de faire avec notre fils m'a fatigué de toutes les manières. La nature ne peut se refuser des larmes à l'amour filial. Les chefs à qui j'ai causé y ont été sensibles quoique je ne souffrais plus dès Blois ; ils m'ont promis des égards et des considérations et même de l'avancement. Il est aujourd'hui affublé de son carquois guerrier ; il me manifeste des sentiments de la reconnaissance pour sa maman et moi. C'est son goût. De vive voix je t'en dirai davantage. C'est le meilleur état. A présent il faut de la conduite, de la bravoure et de l'économie.... J'ai causé avec lui en venant de chez notre cousin... Les sentiments amicaux qu'il m'a développé et ses bonnes dispositions me font bien augurer de lui. Je t'embrasse de tout mon coeur".
Les termes de cette lettre laissent cependant planer un doute sur le "goût" de Beaujour pour le service des armes. Son père ne l'a t-il pas poussé dans cette voix pour des raisons de "conduite" ?
Beaujour rajoute à cette lettre :
"Ma chère maman,
Ce matin j'ai été reçu à l'école militaire où j'ai endossé l'habit, ce qui m'a fait plaisir. Demain matin nous irons à Versailles dans notre corps. Etant pressé je ne puis écrire davantage. Reçois l'assurance de mon respect".
Le 11 Juin 1806, BEZARD-LEGRAND paie la pension de son fils aux chasseurs à pied à Versailles (200 Frs) et s'attarde à Paris ; il passe la soirée du Dimanche 22 Juin à Tivoli et va au théâtre ; il rentre à Blois et écrit le 27 Juin à Monsieur AMAUX, direction du journal de l'instruction publique pour le remercier de son intervention.
Le 26 Juin, Beaujour écrit sa première lettre à sa mère, d'une orthographe presque purement phonétique. Il se trouve avec des jeunes gens très bien élevés ; il n'y a jamais un mot plus que l'autre. Il est bien nourri. Il touche 4 Frs tous les décadi, mais le blanchissage lui coûte 15 à 16 Frs par semaine. Il se lève à 4 heures pour faire de l'exercice jusqu'à 8 heures. Puis il fait son lit et blanchit sa buffleterie et dîne après. Il passe la revue chaque jour avec culotte de nankin, gilet blanc, bas blanc et souliers à boucle. Après dîner (déjeuner) il a repos jusqu'à 4 heures 1/2 puis il fait à nouveau de l'exercice. Il a acheté deux paires de bas blancs, et une paire de guêtres, ce qui lui a coûté 30 Frs. Il a un grand mal de dents qui le fait beaucoup souffrir et, à cause de la fièvre, il ne peut écrire à son frère.
Le 02 Juillet, BEZARD-LEGRAND écrit au Lieutenant MORIOUX des Grenadiers à pieds de la Garde Impériale à Paris, pour le féliciter de sa décoration de la Légion d'Honneur qu'il vient de recevoir grâce à son intervention auprès de Préfet CORBIGNY "continuez de voler à la gloire. Votre zèle m'est connu, et l'Empereur saura vous distinguer et vous récompenser".
La mère de ce Lieutenant MORIOUX avait été la nourrice de sa fille, Marie Brigitte BEZARD, ainsi qu'il résulte d'une lettre de BEZARD-LEGRAND du 20 Janvier 1810.
Le Lieutenant MORIOUX répond à BEZARD-LEGRAND le 12 Juillet, le remerciant de son intervention auprès de Monsieur CORBIGNY et lui disant qu'il a été voir son fils à Versailles ; il s'est promené avec lui dans le parc, et l'a recommandé à des officiers qu'il connaît, notamment au Major BOYER qui veillera sur lui. Le Lieutenant MORIOUX ira à Blois pour la foire d'Août.
BEZARD-LEGRAND le remercie le 21 Juillet des nouvelles qui lui donne de son fils et du soin qu'il prend de lui et l'assure de toute son amitié.
Beaujour BEZARD écrit à nouveau à sa mère le 14 Juillet ; à cause de son mal de dents il a oublié de souhaiter la fête de son père. Il est allé à l'hôpital pendant 8 jours. Il est allé dîner chez le grand-père de son ami GIOT et a été voir à Versailles le banquier SOCHEAU chez qui son père avait déposé son habit et surtout l'ordonnance. Il parle de la visite que lui a rendu le Lieutenant MORIOUX et de son intervention auprès du Colonel Major. Cette lettre n'est pas écrite de la main de Beaujour, qui semble répugner à écrire ; mais il ajoute de sa main et avec toutes les fautes d'orthographe auxquelles il est accoutumé, ces amitiés à son frère, à Mademoiselle LECOMTE et à Monsieur et Madame LEMAIGNEN. Cette demoiselle LECOMTE était donc toujours une intime de la maison et nous la retrouverons encore beaucoup plus tard.
Le 21 Juillet BEZARD-LEGRAND écrit à son fils pour lui reprocher son silence et l'engager à suivre les bons conseils du Lieutenant MORIOUX qu'il présentera au Préfet et aux membres de la Légion d'Honneur lorsqu'il viendra à Blois à la foire d'Août. Son nom sera gravé sur les tables de marbre des membres de la Légion d'Honneur. Il engage Beaujour à apprendre les mathématiques et à bien faire l'exercice.
Beaujour répond à son père le 24 Juillet qu'il est affecté à la troisième compagnie et compagnon de lit de son ami GIOT. Il prend des leçons avec une maître d'armes de la Garde Impériale. Il lui faut 18 Frs pour acheter deux fleurets, un masque, un gant et une paire de sandales. Les leçons d'escrime qu'il avait déjà prises à Blois lui ont été profitables. Cette lettre n'est toujours pas écrite par Beaujour qui y ajoute de sa main, ses amitiés à son frère, à Monsieur et Madame LEMAIGNEN, à Monsieur et Madame GIOT. "GIOT et LEMAIGNEN se portent bien et te présentent ainsi qu'à ma chère maman leur civilité". Qui pouvait être ce LEMAIGNEN ? Le fils du notaire, peut-être ?
Un peu plus tard, BEZARD-LEGRAND a appris par Monsieur DE SEGUR qu'un corps était en formation à Mayence sous les ordres du Maréchal KELLERMANN et il écrit à Monsieur DE LA MORTE pour qu'il intervienne en faveur de la nomination de son fils dans le corps.
Le 24 Juillet 1806, il demande au Lieutenant MORIOUX s'il est possible d'intervenir auprès du Colonel Major pour faire nommer son fils au grade de Caporal. MORIOUX lui répond le 29 Juillet l'assurant de tout son zèle et lui conseille d'écrire au Colonel Major, ce qu'il fait le 03 Août 1806.
Le 18 Août, le Maire de Blois convoque Joseph BEZARD pour le tirage de la conscription. Son père répond que son fils est incorporé depuis le 10 Juin. Le 02 Septembre, Beaujour informe son père qu'il n'a pu faire réparer une montre qu'il lui avait donnée, n'ayant pas les fonds nécessaires. En se promenant dans le parc de Versailles avec ses amis GIOT et LEMAIGNEN il a rencontré des familles de Blois qui admiraient les Grandes Eaux. Une de ces familles les a invité à dîner et lui a remis un Louis. Il ajoute ses amitiés à son frère, son oncle, sa tante, son cousin LEROUX et mille choses honnêtes à Mademoiselle LECOMTE ainsi que sa soeur et "la bonne Nannette".
Le 26 Septembre, le Lieutenant MORIOUX remercie BEZARD-LEGRAND des services qu'il rend à sa famille et à lui-même, notamment auprès de Monsieur CORBIGNY. Il a vu Beaujour au cours d'une revue dans la plaine des Sablons et il vient d'apprendre que son régiment va se diriger vers Mayence et Francfort où la garde doit se réunir et où sera le quartier général de sa Majesté. "On parle de paix et de guerre ; rien de certain à ce sujet"?
En fait, c'est la guerre, et Beaujour est en route avec la grande armée pour l'Allemagne. Le 08 Octobre il est à BAMBERG, d'où il écrit à ses parents :
"Nous allons à la rencontre des Prussiens que nous espérons taper d'une bonne façon ; notre Empereur marche à notre tête. J'ai supporté la fatigue de la route le mieux du monde. GIOT est de garde chez l'Empereur avec toute sa compagnie ; il est aussi content que moi de marcher à l'ennemi ; la cavalerie de la garde ne nous ayant pas rejoint, je n'ai pas vu LEMAIGNEN ; j'ai vu le Général VERDIER, mais je puis l'aborder sur la route ; cette lettre ne pourra, je crois bien, avoir de réponse, car nous sommes toujours en route".
Le 30 Octobre, après 37 jours de marche forcée il est arrivé à Berlin d'où il écrit à ses parents :
"Nous sommes arrivés dans la capitale de la Prusse sans avoir tiré un seul coup de fusil ; il y a environ 17 jours que la Bataille d'Iéna s'est donnée ; cette journée nous a été favorable quoique n'ayant que des forces bien inférieures à l'ennemi tant en cavalerie, qu'artillerie et infanterie ; si notre Cavalerie fut arrivée 4 heures plus tôt, nous eussions pris à l'ennemi tout son grand corps d'armée ; cette bataille commença à 5 heures du matin et n'a fini qu'à 11 heures du soir nos gens ne font que les poursuivre et font beaucoup de prisonniers. L'Empereur nous fait marcher à grandes journées contre eux ; leur retraite ressemble plutôt à une déroute complète. Nous sommes arrivés de cette manière à Postdam, très belle ville à 8 lieues de Berlin, et résidence de plaisance du Roi de Prusse ; nous avons fait séjour dans cet endroit en sommes partis pour aller coucher à une lieue de Berlin, dans le village de Chartambourg, nous partimes de là le lendemain à 3 heures du soir.
L'Empereur a fait son entrée triomphale dans Berlin au milieu de sa garde ; le peuple lui a fait la réception la plus gracieuse ; tous les magistrats de la ville ont été au devant de lui pour lui offrir les clefs de la ville.
"..... Louis GIOT et LEMAIGNEN se portent bien et nous employons nos petits moments de loisir à nous promener ensemble. Je finis mon cher papa et chère maman et vous embrasse comme je vous aime et suis pour la vie votre affectionné et respectueux fils".
Bien entendu, cette lettre n'est toujours pas écrite pas Beaujour qui se contente de signer. Il est curieux de constater qu'il a à peu près la même signature que son père.
Outre son intérêt historique, cette lettre est très émouvante. C'est en effet une des dernières lettres que recevront ses parents. Il semble d'ailleurs qu'ils ne l'aient reçue que beaucoup plus tard comme on va le voir.
En effet, le 03 Janvier 1807, BEZARD-LEGRAND écrit aux administrateurs du bureau des revues, Hôtel Petit Saint-Joseph, rue Saint-Dominique à Paris, qu'il n'a pas de nouvelles de son fils depuis 3 mois. "Il plane des doutes sur la vie ou la mort de mon fils". Le même jour il écrit aux administrateurs des hospices militaires de Berlin en Prusse :
"Il est douloureux à un père de rechercher son fils ; la guerre l'a peut-être obligé de séjourner dans vos hôpitaux ; il a été recommandé par son altesse sérénissime le Prince archichancelier qui m'a promis sa protection".
Cependant, Beaujour était arrivé avec la Grande Armée à Varsovie d'où il avait écrit à ses parents le 23 Janvier 1807. Mais cette lettre ne leur est parvenue que beaucoup plus tard.
Il accuse réception d'une lettre de ses parents du 15 Novembre 1806. Il a été hospitalisé pendant 20 jours pendant lesquels le Lieutenant MORIOUX lui a rendu visite et lui a prêté un Louis. Il ne sait pas grand chose de la guerre sinon que les Russes ont été repoussés aux frontières de la Pologne. GIOT et LEMAIGNEN se portent très bien. Il demande l'adresse du frère de Mlle LECOMTE.
Cependant, l'administration ne perd pas ses droits et le Préfet de Loir et Cher réclame le 20 Février 1807 la paiement de la pension aux Vélites de la Garde (50 Frs) afin d'éviter des poursuites.
Le 15 Mars, le Lieutenant MORIOUX (devenu Capitaine au 10e d'Infanterie légère 1ère division, 4e Corps de la Grande Armée commandée par Monseigneur le Maréchal SOULT) écrit à BEZARD-LEGRAND de Liebstard (vieille Prusse).
Il a quitté son fils le 28 Janvier 1807, date à laquelle MORIOUX est parti de Varsovie. Beaujour était bien peiné de ne pouvoir participer à cette nouvelle campagne car il avait eu une engelure au pied et était entré à l'hôpital où il lui a prêté de l'argent.
Quant à MORIOUX, il a passé la Vistule en longeant la rivière de la Nareva et il entre dans les villes Prusses et après 8 jours de marche arrive en vue de l'Armée Russe le 04 Février au matin.
"Les deux armées se disposaient à une affaire générale ; l'ennemi se voyait dans une superbe position mais bientôt il fut forcé à une retraite qu'il fit parfaitement en règle le 05 - 06 et 07 Février. Nous les poursuivimes jour et nuit à grands coups de canon, leur faisant grand nombre de prisonniers et tué bien du monde. Enfin le 08 Février l'ennemi profitait de la fatigue de nos troupes, du peu de cavalerie que nous avions, et ayant reçu un renfort considérable en artillerie de position, voulut faire face. L'affaire devint cruelle ; je peux vous assurer que c'est la 43e bataille et la plus sanglante que j'aie vue ; nous ne devons la victoire qu'à l'intrépidité sans égale de notre armée. 43.000 français subirent les efforts multipliés de 85.000 Russes, qui, après 12 heures de combat sans avoir perdu ni gagné un pied de terrain se virent forcé à une retraite, nous laissant 5.000 blessés, au moins 8.000 morts, 22 pièces de canons et nombre de caissons. Ils doivent leur salut à l'extrême fatigue de nos troupes. On se tint la nuit sur le champ de bataille sans les poursuivre. Le lendemain on découvrit que l'ennemi s'était retiré avec confusion dans la ville de Konigsberg. On a pris position en attendant du renfort. Je fus nommé par sa Majesté Capitaine sur le champ de bataille ; j'aurai désiré rester à la garde, mais je fus envoyé au 10e régiment d'Infanterie légère. Nous sommes depuis cette époque en position ; seulement une rivière nous sépare de l'ennemi ; je ne peux vous dire ce qu'il en résultera ......".
(Bataille d'Eylau).
La lettre écrite de Varsovie le 23 Janvier par Beaujour à ses parents leu est parvenue au début de Mars et le 13 Mars, son père lui en accuse réception. Il désirerait avoir plus souvent des nouvelles de son fils, les batailles qui se donnent tous les jours lui causant de vives inquiétudes. Il l'entretient de ses démarches en vue de son avancement et l'embrasse de tout son coeur.
Le 24 Juillet, le Préfet réclame à nouveau le paiement de la somme de 100 Frs pour pension de son fils aux Vélites de la Garde lui indiquant que tout retard dans le règlement pourrait nuire à l'avancement de Beaujour et même à son exclusion de ce corps. BEZARD-LEGRAND s'acquitte de ces 100 Frs le 28 Juillet.
Le 18 Août 1807, BEZARD-LEGRAND reçoit la dernière lettre de son fils datée du 26 Juillet 1807 :
"Il est en toute impossibilité de vous marquer quelque nouvelle pour moi ; depuis ma chute de Tilsit je ne fais que traîner d'hopitalle en opital ; j'ai rencontrai Monsieur MOURIO, capitaine dans la 10ième légère que revenais de l'Hôpital pour une blessure de balle dans le côté, ce qui a été peu de chose, car il a été blessé à la foire du 14. Il m'a donc prêté 25 Francs ce qui m'a fait beaucoup de plaisire. Je vais partire sous peut Berlin où je pourai me remaitre car ma cuisse est très mauvaise. J'ai l'honneur de vous saluer".
A cette dernière lettre est épinglé un morceau de papier écrit par BEZARD-LEGRAND : "Ecrit de l'abondance du coeur 21 Octobre 1807 à mon Fils de la Grande Armée".
Il est étonnant qu'on n'ait reçu aucune nouvelle de Beaujour entre le mois de Janvier et le mois de Juillet. Pourquoi n'a-t-il pas écrit pendant près de 6 mois. Il ne devait pas être malade, ni blessé, puisqu'il est parvenu, avec grande armée à Tilsitt.
Peut-être a-t-il écrit d'autres lettres qui ne sont pas parvenues ?
Le 28 Octobre 1807, BEZARD-LEGRAND écrit au Capitaine MORIOUX, alors à Marienwerden en Prusse pour le remercier de l'intérêt qu'il porte à son fils.
Il ignore encore le décès de son fils, et le 03 Décembre 1807, il sollicite une audience de trois minutes à son Altesse Sérénissime le Prince archichancelier de l'Empire alors de passage à la Préfecture de Blois (CAMBACERES).
Il lui expose par écrit que son fils s'est battu sous les yeux de l'Empereur et Roi à Iéna, Eylan et Friedlande. Il sollicite une lieutenance conformément aux promesses que sa Majesté l'Empereur et Roi a faites à son fils le 17 Février 1806 par l'entremise de Monsieur DE SEGUR, grand maître des cérémonies. Mais il résulte d'une note manuscrite de BEZARD-LEGRAND qu'il a surtout exposé à l'Archichancelier son inquiétude sur le sort de son fils, presque certain qu'il est mort. CAMBACERES lui a promis de lui donner des nouvelles dans les 08 Jours. Il a rappelé à BEZARD-LEGRAND qu'il avait dîné avec lui chez Monsieur MULLER, régent de la Banque de France à Paris et chez le Directeur Général de la Banque de France, devenu depuis Sénateur. Il informe le même jour (03 Décembre) Monsieur DE BOYER Major des chasseurs à pied de la garde impériale à Paris, de son entretien d'un quart d'heure avec CAMBACERES. Le 08 Décembre il demande des nouvelles de son fils au Président du Conseil d'Administration militaire des chasseurs à pied de la garde impériale à Paris.
On comprend la douleur de ce pauvre père qui n'a pas reçu de nouvelles de son fils depuis le 18 Août, et encore est-ce une lettre datée du 26 Juillet, il y a donc près de six mois.
Le 15 Décembre 1807, BEZARD-LEGRAND reçoit une lettre du Capitaine MORIOUX datée de Stettin, en réponse à sa lettre du 28 Octobre, qu'il n'a reçue que le 05 Décembre. Il le remercie de la bienveillance dont il fait preuve envers ses père et mère et se préoccupe de l'avancement de Beaujour. Cependant, il fait remarquer à BEZARD-LEGRAND qu'il serait indigne de son honneur d'officier qu'il propose de l'argent à ses supérieurs pour obtenir l'avancement de son fils, comme BEZARD-LEGRAND le lui a demandé. Il s'y refuse.
Il est d'ailleurs très difficile d'obtenir cet avancement car le nombre de Vélites aux chasseurs de la garde est considérable et :
"Monsieur le Maréchal a tant de recommandations qu'il ne peut rendre justice à tout le monde. C'est un fils de général ou un parent qui a toujours l'avantage".
"Il faut s'insinuer près des chefs ; malheureusement on ne fait pas le choix des caractères, car celui de Monsieur votre fils est trop grand pour s'abaisser au vil métier de flatteur".
Le préfet de CORBIGNY étant à Paris le 28 Décembre, BEZARD-LEGRAND lui demande d'un profiter pour s'enquérir de nouvelles de son fils auprès des Ministères, et le lendemain il écrit au Ministre de la guerre :
"Un père de famille s'adresse à vous avec confiance. Depuis 5 mois je cherche mon fils qui se nomme Joseph BEZARD, chasseur Vélite à pied. Il a eu l'honneur de combattre, sous les yeux de sa Majesté l'Empereur le Rou à Iéna, Eylau et Friedland où il a fait preuve de courage. Depuis 5 mois personne ne peut me dire s'il est à l'hôpital ou mort. Quelle angoisse pour un père qui est en attente".
Il renouvelle sa demande à Monsieur le Préfet CORBIGNY le 14 Janvier 1808, "Rendez-service à un père et une mère éplorés et à une famille qui désire savoir ce qu'est devenu Joseph BEZARD, son fils, etc...".
Il écrit également à Monsieur DE LA MORTE, alors commandant de la Place de Berneau en, Prusse le 29 Décembre 1807 pour lui demander si son fils n'est pas dans un hôpital en Prusse.
Le 20 Janvier 1808, Monsieur DE LA MORTE, alors chef du 7e bataillon, commandant la Place de Neustadt-Oberswalde lui répond que son fils n'est pas à l'hôpital de Berneau car il vient de s'en informer. Il aura des nouvelles dans 15 jours. Et le 26 Janvier, il informe BEZARD-LEGRAND que son fils n'est pas dans les hôpitaux de la région. Ils ont tous été évacués sur la France à l'exception de celui d'Elbing (près de Königsberg). Mais, il a tout lieu de penser que son fils est rentré avec la garde de l'Empereur. Il continue néanmoins ses recherches :
Enfin après six mois de silence et d'angoisse, BEZARD-LEGRAND reçoit du sous-inspecteur aux revues une lettre du 02 Février 1808 lui annonçant:
"Qu'il a écrit au quartier Maître du Régiment ; il vient de me faire passer la pièce que vous trouverez ci-joint ; je regrette que son contenu ne soit pas plus satisfaisant et dans pareille circonstance, je partage bien sincèrement la douleur d'un père de famille qui est attaché à ses enfants".
A cette lettre est joint un certificat des membres du Conseil d'Administration de la Garde Impériale, constatant que Joseph BEZARD est mort à l'hôpital externe le 23 Septembre 1807 par suite de maladie.
Il résulte d'une note écrite par BEZARD-LEGRAND que son fils serait mort à Berlin. Il avait les jambes gelées. Cependant, sur un billet de faire part, BEZARD-LEGRAND indique que son fils est mort "à Könitz entre Königsbert et Berlin à 68 lieues de distance". Quelle fut la cause de la mort de Beaujour ? Nous ne le savons pas. Ce n'est certainement pas les jambes gelées, car nous étions alors en plein été ; d'ailleurs Beaujour a écrit lui-même le 26 Juillet qu'il avait fait une chute de Tilsitt et que depuis il se traînait d'hôpital en hôpital et que sa cuisse était "très mauvaise".
On conçoit la douleur de BEZARD-LEGRAND en apprenant si brutalement la mort de son fils, 8 ans après la mort de sa fille. Il fait imprimer 192 faire parts de décès, dont nous avons quelques exemplaires, dont un destiné à LEMAIGNEN, notaire, sans doute le père du camarade de son fils.
Sa soeur, religieuse à la Visitation de Blois, lui écrit dès qu'elle a appris le décès. Dans un style très "bonne soeur", elle s'inquiète de savoir si Beaujour a pu recevoir les sacrements avant de mourir. Elle demande au Seigneur de répandre sa bénédiction sur "deux chers enfants qui vous restent". On peut se demander si ce deuxième enfant est Charles ROGER, son petit-fils, dont elle parle dans sa lettre, ou si ce ne serait pas le 4ème enfant que BEZARD-LEGRAND prétendait avoir en 1793 ?
Ce pénible récit de la vie et de la mort de Beaujour BEZARD s'achève hélas sur une question d'argent !
Le préfet réclame à BEZARD-LEGRAND, après la mort de son fils le solde de sa pension aux Vélites.... BEZARD répond :
"Je désirerais bien devoir cette somme et avoir mon fils".
Il fait d'ailleurs ses comptes, comme à son habitude, et constate qu'il a versé en trop sur la pension, 23 livres 2 deniers et 8 sols !
Correspondance avec la famille MORIOUX après la mort de Beaujour
Le Capitaine MORIOUX avait un frère Pierre qui était Dragon au 10e régiment du 2e corps d'armée de la Gironde en Espagne. Ce Pierre MORIOUX écrivait à sa mère le 10 Mai 1808, après avoir appris la mort de son père et demande des nouvelles de son frère.
Le 10 Août 1808, le Capitaine MORIOUX écrit à BEZARD-LEGRAND pour lui dire qu'il a écrit deux fois à son fils. Il n'a pas reçu de réponse. Il attribue cela à son avancement. Il lui demande de prier le Préfet CORBIGNY de prendre en considération le sort de sa mère qui a perdu son mari, et dont les deux fils sont aux armées.
Le 20 Janvier 1810, BEZARD-LEGRAND informe le Dragon, Pierre MORIOUX, alors en Espagne, de la mort de son frère, le Capitaine MORIOUX à la suite de ses blessures en Allemagne. Il lui donne des conseils pour placer une somme de 2.400 Frs qui appartenait au Capitaine MORIOUX, en sorte que sa mère en touche les revenus :
"Comptez sur mon zèle à vous obliger ; votre frère à eu des égards pour mon fils et je lui en ai de la reconnaissance. Je vous embrasse. Je suis le père de la fille que votre mère à nourri. Le Ministre m'a envoyé la Croix de la Légion d'Honneur de votre frère ; je l'ai remise à votre mère".
Enfin, le 06 Avril 1810, BEZARD-LEGRAND écrit à Monsieur Le Baron de CORBIGNY.
"Monsieur le Chevalier, au sujet du deuxième fils de la veuve MORIOUX, toutes recherches faites par moi ont été superflues. Cette mère est infortunée et sans appui. Le frère a été tué sur le champ de bataille de Wagram, capitaine et décoré. Monsieur le Préfet n'ignore pas les bonnes volontés de ce capitaine. L'amour filial le rendait à la reconnaissance maternelle.... Rendez à cette veuve ce que la loi lui accorde sur les 27.000 Frs restés en dépôt".
Au dos du portrait de Beaujour, son père a écrit "Portrait d'un brave". Il est émouvant de pouvoir retrouver dans ce portrait les traits de ce jeune garçon que les lettres pieusement conservées par BEZARD-LEGRAND font revivre.
G - Charles Roger
On sait que BEZARD-LEGRAND avait une fille : Marie Brigitte BEZARD née à Blois le 07 Septembre 1781.
Elle avait épousé à Blois le 29 Septembre 1797, à 16 ans, Charles Michel ROGER, né à Saint-Dyé sur Loire le 03 Janvier 1777.
Il était le fils de Michel ROGER, né en 1752, décédé à Saint-Dyé en 1816 et de Marie Françoise Victoire LEMAIGNEN (1757-1824). Cette dernière était issue du deuxième mariage de André Michel LEMAIGNEN, né le 20 Novembre 1719, décédé le 30 Août 1770, avec Marie Anne Victoire POIRIER (André Michel LEMAIGNEN avait épousé en premières noces Rose TRESSEY).
Charles Michel ROGER était notaire à Avaray.
Du mariage de Charles Michel ROGER et de Marie Brigitte BEZARD était né un fils à Orléans le 17 Septembre 1799 : Charles ROGER. Sa mère décéda trois mois après sa naissance à Blois, le 26 Octobre 1799 et Charles Michel ROGER se remaria le 07 Juillet 1801 avec Sophie Adélaïde Françoise BRERONT, née le 11 Janvier 1781 (décédée à Avaray le 08 Septembre 1840), fille d'Etienne BRERONT, notaire, régisseur de terres du Marquisat d'Avaray, et de Florence Françoise SERREAU.
Sophie BRERONT avait eu pour parrain haut et très puissant Seigneur Claude Antoine de BEZIADE, Marquis d'Avaray, Brigadier des Armes du Roi, maître de la garde robe de Monsieur son frère, et pour marraine très haute et très puissante dame de Mailly, marquise d'Avaray, dame pour accompagner Madame la Comtesse d'Artois.
Dès son veuvage, Charles Michel ROGER confie son fils Charles, âgé de 3 mois à ses beaux-parents BEZARD-LEGRAND qui vont l'élever comme leur propre fils, d'autant plus que la seconde femme de Charles Michel ROGER ne semble s'y être jamais intéressée et n'avoir aucune affection pour lui ainsi qu'il résulte des lettres qu'on va parcourir. Il semble bien résulter de ces lettres que Charles Michel ROGER a toujours regretté cette séparation d'avec son fils à qui il témoigne une tendresse quelque peu excessive, mais sans doute dans le goût romantique du temps.
Le 22 Mars 1808, Charles Michel ROGER écrit à sa belle-mère, Madame BEZARD-LEGRAND qu'il a le plus grand désir d'aller la voir, d'autant plus qu'il sait que son beau-père est fatigué et que son petit Charles n'est pas très bien portant. Lui-même a la fièvre depuis 7 mois au point qu'il ne peut marcher. Il espère remercier ses beaux-parents du soin qu'ils ont pour son fils et jouir de ses caresses. Il l'engage à ne point s'échauffer en courant, à ne point se battre, en un mot d'être sage et tranquille. "Je vous demande en grâce de me tranquilliser sur le gros rhume de mon beau-père et je le prie de bien se ménager". Il souhaite enfin que ses beaux-parents vivent longtemps pour le bonheur de ceux qui leur sont attachés et envoie ses sincères amitiés à son beau frère (Pierre Samuel BEZARD) et à ses cousins et cousines LEMAIGNEN.
Le 30 Mai 1808, Charles Michel ROGER écrit à son fils :
"Mon bon ami, continue à bien travailler ; ton frère Eugène est toujours bien malade "
(Il s'agit du premier des 10 enfants nés de son mariage avec sa seconde épouse, né à Blois le 17 Juin 1804 qui sera notaire à Avaray et épousera à St-Dyé le 21 Décembre 1828, Victoire Luce PICOT et en secondes noces à Orléans le 30 Janvier 1836, Sophie SAUVAIN, il est prénommait en réalité Louis Eugène).
"J'assure de mon respectueux attachement mon cher papa et ma chère maman (ses beaux-parents). Je prie mon frère (son beau frère Pierre Samuel BEZARD) de croire aux sentiments d'amitiés qui m'animent pour lui, et lui demande le change. Mille choses agréables à Mademoiselle LECOMTE. Adieu mon petit ami, nous nous aimerons toujours. Ta maman et ton papa BRERONT t'embrassent.
Le 24 Juin 1808, il écrit à son fils :
"Mon bon ami, tu ne veux donc plus m'écrire, tu ne veux donc plus m'aimer. J'attends une réponse. Deviens-tu indifférent, m'aurais-tu oublié. J'ose pourtant encore espérer. Embrasse pour moi tes chers parents en les assurant d'un attachement vrai et respectueux. Je t'embrasse aussi du meilleur de mon coeur. Ton ami : Roger".
A la fin de l'année 1808, Charles ROGER devait se trouver chez son père à Avaray car il écrit à ses grands parents le 16 Décembre 1808 :
"Viendrez-vous bientôt nous voir pour que j'ai le plaisir de vous embrasser .... Je n'oublie pas ma mie Nannette".
Cette lettre témoigne des sentiments très affectueux de Charles ROGER pour ses grands parents. C'était, semble-t-il, un enfant sensible et précoce. En effet, en Juin 1806 à l'âge de 6 ans il récitait un compliment à son grand-père :
"Quand chacun animé par la reconnaissance s'empresse tour à tour à fêter votre nom, souffrez mon grand papa que mon zèle devance l'âge où l'on ne connaît ni rime ni raison. J'ai pour bouquet mon coeur ; que peut de plus l'enfance, le présent, quand on aime, est toujours de saison".
C'était sans doute la grand mère BEZARD qui avait écrit ce compliment pour la Saint-Pierre.
Le 28 Décembre 1808, Charles Michel ROGER souhaite à ses beaux-parents ses voeux et les prie de les transmettre à son petit Charles qu'il aime de tout son coeur. Il témoigne à Monsieur et Madame BEZARD-LEGRAND sa reconnaissance pour bien élever son fils. "Ma femme se joint à moi pour vous assurer de ses amitiés et de son respect". Il transmet également ses voeux à Mademoiselle LECOMTE et à la bonne Nannette "qu'elle m'aime autant que je l'aime ; nous nous aimerons longtemps".
Le 05 Janvier 1809, il demande à son beau-père de différer la paiement d'un billet qu'il a souscrit et dont il laisse sa femme et Monsieur BRERONT dans l'ignorance. BEZARD annote cette lettre : "08 Janvier : Répondu : ne pouvons rien faire".
Le 26 Juillet 1809, il écrit à sa belle-mère pour la remercier de tout ce qu'elle fait pour son fils qu'il vient de voir à Avaray et à Saint-Dyé. "Amitiés à mon beau-frère, à Mademoiselle LECOMTE et à Nannette".
Le 25 Octobre 1809, lettre datée d'Herbilly de Charles Michel ROGER à sa belle-mère lui annonçant le renvoi auprès d'elle de son fils, à son retour de vacances. Amitiés à son beau-frère et à Mademoiselle LECOMTE. Son fils lui a promis qu'il travaillerait avec courage pour mériter des prix.
Le 27 Décembre 1809, Charles ROGER écrit à sa belle-mère pour lui adresser ses voeux et lui témoigner à nouveau sa reconnaissance pour le soin qu'elle prend à son fils.
Le 14 Janvier 1810, il écrit à son fils pour le remercier de sa lettre de voeux du premier de l'an, l'appelant toujours "Mon cher ami". Il lui reproche que sa lettre ne soit pas assez affectueuse et le complimente sur ses progrès scolaires :
" Je n'ai pas goûté ta lettre autant que toutes celles que tu m'avais déjà écrites. J'y voyais alors une amitié sincère dirigée par l'âme et par le coeur. Aujourd'hui, je ne vois qu'un respect filial indiqué par le devoir au 1er jour de chaque année et moi j'aurais désiré une lettre de ton style où tu m'eus témoigné ton affection pour moi ; que tu m'eus instruit de tes progrès et du plaisir que tu aurais de me voir. Je pense journellement à toi. Je t'aime et je voudrais que tu en fis autant ; mais j'espère que tu m'aimeras toujours ... Ta maman t'embrasse mille fois. Eugène pense toujours à toi et comme il apprend à écrire, c'est toujours CHARLES qu'il trace en gros caractères. Ton papa BRERONT te fait mille amitiés. Adieu mon cher et bon ami. Amitié, travail, santé et joie. Ton père".
Il semble que les incitations au travail prodiguées par son père aient été écoutées, car Charles ROGER parait avoir été un bon élève, si l'on en juge par ses notes scolaires du premier et deuxième trimestre 1814. Il était alors en 4ème classe latine et se classait 1er, 2ème, 3ème ou 4ème sur 14 élèves. Avec les mentions très bien en thèmes et vers latin, français et grec (qu'il commence). Mais il est indiqué qu'il est d'un caractère étourdi et léger, qu'il s'applique assez bien, qu'il n'est pas assez appliqué en mathématiques, assez bon en dessin, assez docile, a une bonne mémoire et écrit très bien quand il veut.
Le 06 Avril 1814, son frère Eugène lui écrit pour le remercier de lui avoir envoyé de la musique et lui annonce qu'il commence la syntaxe latine ; il en est à "SCRIBO AD TE EPISTOLAM". C'est son père qui le 07 Avril lui transmet cette lettre de son frère de la veille ajoutant "Ton papa et ta maman BRERONT son très sensibles à l'amitié que tu leur témoigne... Je suis très pressé, nous avons eu à loger 210 cavaliers cette nuit ; il faut que je les fasse repartir". Il s'agissait sans doute de mouvements de troupe pour la campagne de France avant l'abdication de l'Empereur.
Le 30 Décembre 1814, Charles Michel ROGER envoie à ses beaux-parents une lettre de voeux assez plate et banale et transmet une lettre de bonne année d'Eugène à son frère. Monsieur le curé leur a permis de consacrer la classe du soir à écrire des lettres ; ils sont deux élèves dans la classe et 4 pour les thèmes.
Depuis cette dernière lettre, nous n'en avons aucune jusqu'au 28 Mai 1818 ; nous ignorons ainsi les dernières années d'adolescence de Charles ROGER. Nous apprenons seulement le 28 Mars 1818, par la lettre qu'il écrit à ses grands-parents qu'il est militaire à Dôle dans le Jura.
"Mon cher papa et ma chère maman,
Vous blâmez sans doute mon indigne paresse ; vous avez bien raison et il est difficile d'en avoir autant que moi ; j'en mets jusque dans mes choses qui ne peuvent que m'être agréables ; ma négligence envers vous en est une preuve bien convaincante ; mais néanmoins vous m'excuserez lorsque vous saurez de mon Maréchal des Logis chef vient d'être cassé et est dans une position où je dois me donner de le seconder, ce qui prouve la dépendance de notre état ; mais dans cette vie d'épreuve, il faut se faire un fonds de philosophie à l'abri du malheur ; je regarde toujours au dessous de moi, mes chers et bon parents, selon vos sages conseils qui sont gravés dans ma mémoire ; l'absence ne me les rappelle qu'avec peu de force ; il me semble quelque fois être à la maison écoutant vos airs et tâchant d'en profiter (ce que j'aurais toujours dû faire) je ne serais pas militaire maintenant".
Je ne sais à quoi attribuer le silence de mon père lui ayant écrit le 11 Janvier après sa réponse de nouvel an. Je n'ai pas encore reçu de ses nouvelles. Est-ce indifférence ou oubli ? C'est ce qui me désespère, n'ayant pas grand foi aux services que ma belle-mère peut me rendre auprès de lui. Je lui écrirai de nouveau le 02 ou 03 Avril prochain pour lui demander de l'argent, ma pension touchant à sa fin. J'aime à croire qu'il n'est pas fâché contre moi, ne lui en ayant pas donné le sujet : peut-être est-il malade ? Dans tous les cas je vous serais bien reconnaissant si vous aviez la bonté de m'en donner des nouvelles.
J'attends des nouvelles de mon oncle que j'assure de mon respect ainsi que ma tante ; j'embrasse Emilie qui doit être bien gentille et bien grandie.
Que mes tantes AMIOT et LEROUX ainsi que leur charmante famille trouvent ici l'assurance de mon respect. Je n'oublie point la bonne et complaisante Nannette. Adieu mon cher papa et ma chère maman, je vous embrasse avec respect et vous prie de me croire votre dévoué fils".
Il signe : ROGER-BEZARD, fourier.
On voit d'après cette lettre que les rapports de Charles ROGER avec sa belle-mère étaient loin d'être cordiaux. Il a pratiquement rompu tous contacts familiaux avec son père et s'intègre complètement avec la famille de sa mère au point qu'il prend le nom de ROGER-BEZARD. Sa lettre d'un style aisé, dénote une culture assez poussée. On se demande pourquoi il n'a pas suivi les sages conseils de ses grands-parents et pourquoi il a dû s'engager dans l'armée, à son grand regret.
BEZARD-LEGRAND a annoté cette lettre : Répondu le 02 Mai - Moral et tendresse et amitié. Envoyé 20 Francs par la poste. Nous avons d'ailleurs la copie de cette lettre du 02 Mai à "Mon fils et ami".
"..... Il faut savoir obéir à ses chefs, même les prévenir ; c'est le devoir d'un brave militaire. Le devoir avant tout. Si tu as des peines domestiques, c'est moi dans la vie la personne qui en est à la base. Encore une fois de la philosophie ; tu me diras que celui qui est dans l'opulence ne manque de rien, erreur. Ecris à ton père qui, je crois bien, aime les lettres respectueuses et reconnaissantes. Tu parviendras à obtenir ce que tu peux avoir besoin. Prends le par les sentiments d'amour falial. Représente lui ta bonne conduite et ta bonne tenue ; il est père et saura la porte du coeur et protection.
Assure de nos respects Monsieur le Marquis de LUCKER à qui je dois écrire sous 15 jours ; il faut de la patience et pour te consoler je lui envoie des pièces blanches par la poste. Tout est payé. Si mes facultés me permettaient de faire davantage, je le ferai, c'est de bon coeur.
Tu m'avais fait espérer que tu irais à Saumur ou à Arras.
Ecris donc à ton père qui est le notaire, le fermier général, l'homme de confiance d'un grand seigneur, le Duc d'Avaray, l'ami de notre bon Roi.
Soit bien avec tes chefs et tes camarades.
Je t'embrasse en bon grand-père".
BEZARD-LEGRAND avait incontestablement une affection profonde pour son petit fils, d'autant plus qu'il s'accuse d'être la cause de la rupture des relations avec son père après le remariage de ce dernier. Il le considérait comme son propre fils, et c'était réciproque.
Malheureusement, BEZARD-LEGRAND est une fois de plus cruellement éprouvé dans ces affections : Charles ROGER décède à Dôle le 05 Juillet 1818, fourrier du régiment des chasseurs du Var, âgé de 19 ans, ainsi que le constate la copie de son acte de décès délivrée à "M. BEZARD-le-GRAND, grand-père dudit défunt".
Un petit tableau ovale, peint en 1801, se trouvant à Périgny, représente Charles ROGER âgé d'environ 2 ans, mangeant une galette.
On a vu que Louis Eugène ROGER était devenu notaire à Avaray après son père.
De l'un de ses frères naîtra Jean Claude Eugène RIFFAULT qui fut maire de Blois.
Parmi les descendants des autres enfants de Charles Michel ROGER avec Sophie BRERONT figurent :
1°) Edouard ROGER, curé de Selommes vers 1885.
2°) Yves ROGER qui fut curé d'Herbault puis de Morée, décédé Aumônier des Petites Soeurs des Pauvres à Blois le 26 Janvier 1977 dans sa 78e année, enterré à Saint-Dyé où vivaient ses soeurs, Madame RIPERT, Madame QUESNEAU et Mademoiselle ROGER.
3°) Marie Elise ROGER épouse BEGENNE, qui eut une fille, Marie, qui épousa Philippe FOUCAULT, pharmacien à Blois (voir généalogie LEMAIGNEN et DEMEZIL).
4°) Camille ROGER, Capitaine d'artillerie à Vendôme qui eut un fils, Camille, Capitaine à Tours, qui épousa Jeanne Marie MACHART (décédée le 02 Mai 1915). Ils eurent 8 enfants dont Fernand LEMAIGNEN fut membre du Conseil de Famille. (Voir titre d'acquisition de la maison CROYERE, rue du Bourg Neuf à Vendôme du 07 Octobre 1933, à l'Etude. Vente par la famille ROGER-MACHART).
H - Lettres de Madame Bezard-Legrand à son mari
Françoise Louis Brigitte LEGRAND a écrit plusieurs lettres à son mari Pierre BEZARD, qu'il est amusant de parcourir.
La première qui nous ait été conservée est datée du 24 Juillet 1787 ; elle est adressée à son mari alors en voyage à Rouen :
"J'attendais aujourd'hui de tes chères nouvelles mon bon ami, et je m'en trouve privé. Tu as oublié ta promesse de m'écrire à Chartres. Tache de trouver un petit moment cher Mignon et ne tarde point à me donner cette douce satisfaction. Ménage ta santé ; pense que tu as une épouse et des enfants qui t'adorent. Tes jours me sont si précieux. Les caresses de nos tendres enfants sont si fréquentes et j'en jouis seule avec attendrissement. Viens donc le plus tôt possible partager avec moi le vrai bonheur, cela mettra le comble à ma félicité.
Adieu mon cher ami, je t'embrasse de tout mon coeur. Je suis pour la vie ta tendre et fidèle épouse".
BEZARD-LEGRAND.
Elle joint à sa lettres des échantillons de tissus qu'elle recommande à son mari de commander pour la foire prochaine, (ces échantillons sont encore collés à cette lettre). Elle transmet les respects de Mademoiselle LECOMTE.
Le 07 Mai 1808, elle écrit à son mari, de Périgny, pour lui demander du vinaigre, de la toile pour couvrir la rôtissoire, du ruban, un écheveau de fil. " Je t'embrasse de tout mon coeur et suis pour la vie ta tendre et fidèle épouse".
le 16 Décembre 1808, de Périgny :
"Je profite mon bon ami d'une occasion sure pour te donner des preuves de ma tendresse et te dire que tu es sans cesse présent à mon imagination. Ta santé et le plaisir de te voir font mon unique bonheur. Fais donc en sorte d'y contribuer par ta présence assidue à la maison afin de vivre en paix. Reviens de tes étourderies. Il est toujours temps de bien faire. Mille choses gracieuses à Monsieur et Madame LEMAIGNEN ; j'embrasse BEZARD (son fils) et Mademoiselle LECOMTE ; tu m'enverras un 1/2 pain et 2/3 de canevas grande lèze pour finir le garde manger".
Est-ce que BEZARD-LEGRAND serait un tantinet infidèle ?
Dans les même moments, elle souhaite, par une lettre non datée, le bonjour à son fils ainsi qu'à Mademoiselle LECOMTE :
"J'engage le premier à soigner le jardin et lui envoyer une douzaine des plus belles laitues et un demi pain.
La seconde à lui faire tenir par la plus prochaine occasion, une chemise, un mouchoir, une paire de poche ; pour son mari, deux chemises, deux mouchoirs.
Chacun des susdits dénommes embrasseront mon petit Charles. Mille choses gracieuses à Monsieur et Madame LEMAIGNEN. Je n'oublie point Nannette. Il faudra une pote de viande lorsque Monsieur BEZARD viendra. Rien autre chose. Jeanneton se porte bien".
Qui est Jeanneton ?
Elle écrit à son mari le 22 Mai 1814 de Périgny :
"J'ai reçu, mon ami, ta missive et toutes mes petites commissions. Demain on plantera les choux. Le maçon travaillera Jeudi à l'Aumône, je t'engage d'y passer en venant me chercher pour voir son ouvrage.
Tu t'es privé d'un petit levreau que j'aurais eu bien du plaisir à manger avec toi. Autrement il m'est indifférent ; une personne seule sait se passer".
De Périgny, du 12.... 1817, une autre lettre toujours aussi primesautière :
"Je suis arrivée, mon bon ami, en très bonne santé quoique la chaleur fut grande. La fille et la petite (?) de la maison étaient venu au devant de moi, ce qui fait que je me suis trouvée déchargée de mon petit panier. Cela m'a fait plaisir quoiqu'il ne fut pas lourd ; aussi leur ai-je fait part de mon morceau de galette. Je retourne le petit panier. Comme je suis convenu avec Nannette ; le pot que je devais envoyer n'a pas peu y entrer. Bonjour, mon tendre ami ; je t'embrasse de bien bon coeur ainsi que nos enfants et suis pour la vie ta fidèle épouse. BEZARD-LEGRAND. Si BEZARD (ton fils) veut t'accompagner, il me fera plaisir. N'oublie pas le pot de rillettes et le demi-pain. Je me suis procurer du lard".
De Blois, elle écrit à son mari à Périgny le 21 Mars 1818.
"Après la chute que j'ai faite, tu vois par la présente que ma main est à peu près guérie ; le reste n'est pas aussi bien ; mais j'espère qu'avec les bons soins de Nannette et grâce aux médicaments que je prends, ma guérison sera prompte. Et pense que mon bonheur et ma félicité résident en toi. Etc.....
Présente mes respects à Monsieur le Curé, tes enfants et ta bru te présentent les leurs. Place l'arbrisseau où tu voudras, ce n'est pas conséquent".
Le 03 Avril 1818, de Périgny :
"Vu qu'un laboureur va aller à Blois, j'envoie la présente à Villeromain pour que tu ne sois pas inquiet. Si contre mon attente tu ne pouvais venir lundi, écris-moi par le postillon. J'enverrai au devant de lui demain samedi pour qu'il me l'emporte par Vendôme. Bonjour mon cher époux, je t'embrasse avec tendresse et suis pour la vie avec sincérité ton épouse. Femme BEZARD-LEGRAND.
Fais accepter de ma part à Madame PORCHER, mon amie, tout ce que l'on peut de gratieux. J'embrasse nos enfants et Emilie. Je n'oublie point Nannette".
Le 15 Avril 1818, même lettre de même genre, sans motif, pour assurer son mari de sa tendresse : "N'oublie point Nannette. J'embrasse nos enfants. Il faut du sel et des oignons secs".
Le 17 Avril 1818, de Périgny, une lettre plus mélancolique :
"Je profite de l'occasion, mon bon ami, de Me BIGUIER pour te faire parvenir les sentiments tendres d'une épouse que ne cesse de penser à son époux. Soit de même, mon cher coeur que les ceuses qui nous unissent...... (illisible) par les longues années que nous avons déjà passé ensemble. Que Dieu bénisse celles qui nous restent encore à parcourir. Et tâchons par notre bonne conduite de le mériter. Je t'embrasse et suis pour la vie ton épouse. J'embrasse mes enfants.
Puis le 08 Mai, elle revient à des choses plus matérielles :
"Je profite, mon bon ami, de l'occasion et de l'obligence de notre voisin Vincent LECOMTE pour te rappeler qu'il faut pour finir la cheminée 200 briques et de la chaux, et pour moi une barde, du fromage, un quarteron de ......, de la salade, une tablette de chocolat, du pain, quelques biscuits et un éteignoir. On vous attendra à la route (de Blois à Vendôme) avec un âne. Je t'embrasse de tout mon coeur ainsi que nos enfants et suis pour la vie ta tendre et fidèle épouse. N'oublie point Nannette".
Une autre lettre du même style et du même contenu du 12 Mai (cette fois-ci il faut des asperges, des fleurs pour "nos Emilie" (sa belle fille et sa petite fille). Mille choses "gratieuses à Madame AUCHER".
Et encore une autre du 14 Mai (deux jours après) :
"Il m'est flatteur de pouvoir retracer à tes yeux les caractères d'un sincère attachement. Non, personne plus que mois n'a été et ne sera jamais ni plus tendre ni plus fidèle. J'ai de tout temps su partager tes peines et contribuer de tout mon coeur à les abréger. En ce, tu dois reconnaître l'épouse tendre et la bonne mère, celle qui est pour la vie, etc....
Puis, elle demande du pain, des raves et de la boisson.
Le 29 Mai 1818, elle lui confirme qu'elle l'attend le lendemain samedi, ainsi qu'il le lui a fait savoir par leur voisin CORNET.
"Je suis on ne peut plus satisfaite du soin que tu prends à me donner de tes chères nouvelles ainsi que nos enfants. Je n'oublie point Nannette".
Mais son cher coeur n'est pas venu la voir à Périgny. Aussi, lui écrit-elle le 31 Mai :
"J'ai été bien peinée, mon bon ami, de ne pas te voir hier, suivant ta promesse; surtout ne manque pas à celle de demain 1er Juin. Avec notre bonne Nannette je vous tiendrai le dîner prêt. J'enverrai au devant de vous comme de coutume...... Notre Octave ayant fini Jeudi, nous solemnisons aujourd'hui la fête du Sacré-Coeur en grande cérémonie. La musique de Villeromain est toujours des fêtes. J'assisterai à toutes les cérémonies religieuses avec exactitude. Il faut prêcher d'exemple ...... J'ai été bien contente de recevoir la lettre de Charles que tu m'as envoyée. Elle est un peu consolante ; nous causerons ensemble de son contenu".
(Il est dommage que nous n'ayons pas cette lettre qui devait être une réponse à celle que BEZARD-LEGRAND lui avait écrite le 02 Mai).
"Bonjour mon cher coeur ; reviens auprès de celle qui ne fait consister son bonheur que par l'amitié et la délicatesse d'une épouse fidèle. Je suis et ai été toute la vie et serai jusqu'au dernier soupir ta fidèle : Fe LEGRAND Fe BEZARD".
"Tu me feras plaisir d'apporter avec vous, de l'huile, des petits pois, quelques choux et du pain frais pour toi".
On ne peut s'empêcher de s'imaginer quelle a dû être la douleur des époux BEZARD-LEGRAND en apprenant la décès de leur petit fils un mois après qu'ils venaient de s'entretenir ensemble des sentiments exprimés par Charles ROGER. Après avoir eu 4 enfants, il ne leur restait plus que leur fils Pierre Samuel et la petite Emilie.
Il n'existe pas d'autres lettres de Madame BEZARD-LEGRAND depuis cette dernière.
Ces lettres permettent de saisir sur le vif la vie familiale des BEZARD et de se faire une idée assez précise de leurs séjours à Périgny.
I - Mariage de Pierre Samuel Bezard et Cession du Magasin
Après la tourmente révolutionnaire, malgré les deuils qui l'accablent (mort de sa fille le 26 Décembre 1799 - mort de son fils Beaujour le 23 Septembre 1807) BEZARD-LEGRAND continue à s'occuper activement de son commerce et de l'exploitation de ses biens. Jusqu'à sa mort, il habite dans sa maison de Blois, Grande Rue, près de la Porte Chartraine à laquelle il a adjoint en 1792 la maison de sa soeur AMIOT dans le Cul de Sac du Cygne et en 1793 celle de la Rue Chemonton.
(Mais il avait vendu le 08 Octobre 1793, un jardin situé près de l'église Saint-Nicolas à Blois et le 05 Octobre 1810 un autre jardin au Haut Bourg).
Agé d'environ 55 ans, il envisage de vendre son affaire commerciale.
Le 11 Janvier 1810, en effet, un jeune homme qui signe seulement de ses initiales "M.L." demeurant aux Montils lui écrit :
"Monsieur, j'ai reçu votre lettre avec un grand plaisir, accompagnée des bonbons que vous m'avez envoyés ; je les ai reçus avec joie quoique je vous eusse défendu de m'en envoyer avant que les affaires fusses terminées..... Ma mère a fait part de votre lettre à mon père et des intentions que vous avez pour moi et que vous espériez le gagner par votre constance ; il lui a fait réponse qu'il n'était pas dans l'intention de m'établir ; qu'à l'âge de 25 ans il pourrait y penser ; aussi Monsieur, je serais au désespoir de vous faire manquer un établissement favorable. il me sera cependant, difficile de rompre les noeuds d'amitiés que nous avons formés. Cependant Monsieur, si vous m'aimez véritablement, vous pourrez faire le sacrifice d'attendre jusqu'à 21 ans ; à cet âge, étant dans mes droits et ayant des amis qui voudrait bien se prêter pour nous, nous le faire aussitôt...... J'attends votre décision avec inquiétude, dans la crainte que vous ne soyez pas aussi constant que moi ......
Mais, BEZARD-LEGRAND n'a pas voulu attendre et il cédera son fonds de commerce à son fils, Pierre Samuel. On peut d'ailleurs se demander pourquoi, dès 1810, il ne réservait ce commerce à son fils ?
Celui-ci avait alors 27 ans ; il pouvait donc parfaitement lui succèder. A cette époque Pierre Samuel BEZARD songeait à se marier.
Le 27 Mars 1810, il écrivait à son père alors chez un Monsieur LANGE à Montoire (avec une orthographe catastrophique !).
"Mon cher papa,
"Je vous dirais avoir vu Monsieur PEAN, marchand de fer, lequel m'a dit faire des affaires avec le Maître de Forges a fer à Fréteval, lequel est propriétaire de la verrerie de Rougemont ; il a de 6 à 7 enfants, que cette maison était fort riche et qu'il y avait la demoiselle aînée qui a 22 ans et beaucoup d'usage, laquelle m'a-t-il dit fera très bien mon affaire quant au commerce.
Il m'a dit que pour des renseignements, Monsieur MARGANNE pourrait vous en donner parce qu'ils font des affaires ensembles. Vous ne pouvez me donner de preuve plus grande de votre amitié paternelle, quoique je n'en ai pas besoin après toutes vos bontés. Les enfants de ce Monsieur sont en pension à Vendôme. Il parait que le fils aîné est à la tête de la verrerie de Rougemont, et le père de sa demoiselle sont à Fréteval. Monsieur PEAN la dépeint comme très adroite, ayant perdu sa mère.
Je vous supplie de parler pour moi auprès de Monsieur MARGANNE.
Je suis avec la plus haute reconnaissance, votre très honoré fils.
Il ajoute en post-scriptum : "Je vous conseillerai de faire percer une porte en place de la croisée près le puits, pour éviter le passage dans votre chambre. Vous pourrez la donner à forfait".
Note de BEZARD-LEGRAND : "Pris renseignements, notamment auprès de Monsieur MARGANNE qui n'y a pas confiance. Autrefois très riche ; n'est pas élevé".
Le projet de mariage avec la fille du Maître de Forges de Fréteval n'aboutit donc pas, bien qu'elle aurait fait l'affaire de Pierre Samuel "quant au commerce".
Il épouse au début de Février 1812 (contrat de mariage reçu par Me POISSON, notaire à Romorantin, le 03 Février) Emilie Marguerite PORCHER, fille mineure de défunt Jean-Louis PORCHER et dame Marie Marguerite AUCHER (voir famille PORCHER-AUCHER).
Article 2 du contrat de mariage "Ledit sieur futur époux est pris par la demoiselle future épouse avec la somme de 20.000 Frs que lesdits sieur et dame BEZARD ses père et mère lui constituent en dot, dont 10.000 Frs pour le prix d'un maison en laquelle demeurent lesdits sieur et dame BEZARD, située ville de Blois, rue Porte Chartraine, dont le futur époux aura la jouissance à compter du 1er Janvier 1813, et 5.000 Frs que lesdits sieurs et dame BEZARD promettent de fournir à leur fils en marchandises de leur état. A l'égard du surplus de ladite somme de 20.000 Frs, se montant de 5.000 Frs lesdits sieur futur époux déclare l'avoir en sa possession, en objets mobiliers lui provenant de ses économies".
De ce mariage naîtra une seule fille, le 29 Juillet 1813 à Blois : Emilie Marie Brigitte (dont nous avons le portrait fait en 1819 avec un petit chat dans ses bras) qui épousera Léon LEMAIGNEN.
BEZARD-LEGRAND cède son fonds de commerce (plus exactement ses marchandises, car la vente de fonds de commerce est alors inconnu) à son fils le 14 Avril 1814 ainsi qu'il résulte de l'inventaire des marchandises en magasin établi à cette date.
Il rédige une affiche pour solder ses marchandises : "BEZARD père, ex marchand, au fond de la cour porte B à gauche à VENDRE en gros et en détail, draperies, toileries, rouenneries et autres marchandises en dessous du cour de 10%".
D'après une tradition de famille, quelques jours avant, le 02 Avril 1814, l'Impératrice Marie Louise de passage à Blois vers l'exile, se serait dans la boutique de BEZARD-LEGRAND et le petit roi de Rome aurait été assis sur le comptoir, pendant que Marie Louise choisissait des tissus. Aucun document écrit ne confirme ce fait , mais il est fort possible que l'Impératrice logeait lors de son passage à Blois à la Préfecture ait été incitée par la Baronne de CORBIGNY à faire les achats dans la boutique de BEZARD-LEGRAND.
Pierre Samuel BEZARD reçoit sa patente de commerçant le 20 Avril 1814 et succède à son père qui profite de la cessation de ses activités commerciales pour se consacrer au recouvrement de nombreuses créances qu'ils lui sont dues par ses clients et divers débiteurs. il existe de nombreuses lettres de ces débiteurs qui sollicitent des délais de paiement. BEZARD-LEGRAND les menace de poursuites par huissier. L'un d'eux cependant lui écrit le 19 Mars 1814 : "Vous avez dû recevoir hier une lettre de Monsieur MALLET qui m'a écrit aussi. Je vous prie de passer chez moi et d'apporter avec vous mon billet de 3.090 Frs et un sac vide. Je suis dans ce moment libre". Le sac était certainement destiné à être rempli de Louis en paiement du billet.
Il fait alors partie d'une société littéraire qui le convoque à une réunion le 28 Avril 1814 à 7 heures du soir.
On remarquera que BEZARD-LEGRAND s'était aux termes du contrat de mariage de son fils de lui laisser la jouissance de la maison de la Porte Chartraine le 1er Janvier 1813 et lui faisait don de 5.000 Frs de marchandises, ce qui semblait indiquer que son fils allait lui succèder prochainement. Cependant il ne lui succède que le 14 Avril 1814. Pourquoi ce retard ? Il semble bien qu'il est eu des difficultés entre le père et le fils et que les rapports étaient tendus entre eux.
En effet, le 02 Mars 1815, intervient pardevant Me PARDESSUS, notaire à Blois, une convention entre Monsieur et Madame BEZARD-LEGRAND et Monsieur et Madame BEZARD-PORCHER dans laquelle il est exposé que les marchandises d'un montant de 5.000 Frs promises par le contrat de mariage n'ont pas été livrées. "Monsieur et Madame BEZARD-PORCHER voulant donner à Monsieur et Madame BEZARD-LEGRAND un témoignage de leur attachement, déclarent qu'ils rennoncent par le présent à exiger de Monsieur et Madame BEZARD-LEGRAND tant qu'ils vivront, la dite somme de 5.000 Frs. En conséquence, cette somme ne sera exigible qu'après le décès du survivant de Monsieur et Madame BEZARD-LEGRAND, sans intérêts". Cette somme sera prélevée sur les plus clairs deniers de la succession, et ne sera pas payée en marchandises, mais en espèces d'or et d'argent au poids et au cours du jour.
Pourquoi BEZARD-LEGRAND n'a-t-il pas exécuter les promesses du contrat de mariage ?
Une quinzaine de feuillets couverts de notes et de chiffres par BEZARD-LEGRAND entre 1812 et 1815 permettent de répondre partiellement à cette question et de se faire une idée sur les rapports qui existaient alors entre le père et le fils.
BEZARD-LEGRAND rédige le 24 Décembre 1812 ainsi libellé :
"BEZARD-LEGRAND père et BEZARD-PORCHE (sic) consentent à passer titre à première réquisition de l'un ou de l'autre pour la Therasse (sic) qui donne sur le Cul de Sac du Cygne appartienne à l'un et à l'autre, ayant moitié chacun rapport à la maison n° 100. (De la rue Porte Chartraine). Nous soussigné, convenons que les réparations seront faites par moitié et que nous paierons l'imposition de même. Dans le cas de la mort du papa ou de la maman, ladite terrasse seulement appartiendra au fils BEZARD-PORCHE, en totalité, sans que Charles ROGER-BEZARD puisse y prétendre".
Cette convention n'a pas été signée. Elle dénote qu'à peine après le mariage de Pierre Samuel, il y avait déjà des difficultés de voisinage entre le père et le fils au sujet de leur deux maisons contiguës.
Lorsque BEZARD-LEGRAND a donné à son fils la maison rue Porte Chartraine, aux termes de son contrat de mariage, il aurait convenu, d'après une note rédigée par BEZARD-LEGRAND certaines réserves :
"Observation : Si BEZARD se rappelle nos conditions expresses et même par écrit, sans cela je ne l'aurais pas marié : j'ai retenu la glace et le chambranle de marbre blanc et (je lui ai demandé de) me rembourser les meubles à vue d'experts. Pour le contrat de mariage (sans doute les frais de ce contrat), c'est aux époux de me rembourser au lieu de 1.169 Frs ; qu'ils me donnent son billet dans un an sans intérêt de 1.100 Frs (?) ou qu'ils me remettent les glaces et autres objets".
Dans une autre note, BEZARD-LEGRAND précise :
"Objets dont mon fils aura à me tenir compte ou à rendre : au premier étage, deux encoignures 110 Frs ; une armoire 72 Frs ; un buffet et autres objets 105 Frs ; à la boutique (divers objets pour) 119 Frs. Total 406 Frs. Le marbre de la cheminée en blanc, 200 Frs ; la glace au-dessus 400 Frs, etc....".
Dans une autre note :
"BEZARD-PORCHE m'oblige à vue d'expert et au prix qu'ils estimeront à me payer la glace et le chambranle en marbre blanc qui est dans la chambre où je couche à présent pour tenir compte de mon ...... (illisible) 30 Décembre 1812.
Une autre note rédigée après l'acte notarié sus analysé du 02 Mars 1815, est ainsi libellée :
"J'ai vendu à mon fils BEZARD-PORCHE le 03 Mars 1815 pour conserver la bonne harmonie : une glace de cheminée ; je lui ai offert de la prendre pour 450 frs, le marbre blanc de la cheminée valant 250 Frs ; les deux encoignures d'armoires valant 140 Frs ; le buffet de la chambre 100 Frs ; une grande armoire de mon beau père LEGRAND 70 Frs. Total 1.060 Frs et 708 Frs de frais de contrat de mariage. J'ai reçu de BEZARD-PORCHE 700 Frs pour une valeur de 1.768 Frs".
Mais ce qui est le plus grave c'est la note suivante :
"BEZARD-LEGRAND déclare devant mon fils et la famille de sa femme qu'en son âme et conscience il a reçu 20.000 Frs, savoir : 10.000 Frs pour la maison de commerce + 5.000 Frs par quittance du 03 Février 1812. Ce qui s'est effectué le 13 Avril 1812 : étant dans mon cabinet il a reçu les 5.000 Frs en billets au porteur dont il a fait l'usage que bon lui a semblé. Je lui ai réclamé un billet de 3.000 Frs qu'il a enlevé de mon cabinet qui était à échéance à la fin de Janvier 1813. Ce qui a fait du bruit, car j'ai dit à sa femme devant plusieurs personnes : vous m'avez volé ! Je le soutient encore ! Il est ridicule de faire passer un père pour un être regardant et tirant. On le vole et ne peut élevé la voix. 5.000 Frs remis en marchandises de ma boutique pour solde de son contrat de mariage en Décembre. Les 3.000 Frs je saurai m'en rappeler et y faire droit".
L'indignation de BEZARD-LEGRAND est à son paroxysme et il rédige de nombreuses notes, toutes à peu près semblables pour prouver que son fils lui doit de l'argent, sans compter les intérêts, par exemple :
"Doit BEZARD-PORCHE :
- 1er inventaire des 30 et 31 décembre 1812 8954 livres, 4 sols, 9 deniers
- 2ème vente du 15 Janvier 1813 5556 livres, 6 sols, 6 deniers
----------------------------------
14510 livres, 11 sols, 3 deniers
"Redû au 1er Janvier 1813 : 5.000
et une reconnaissance : 2.583, 6, 8
----------------
7.583, 6, 8
7583 livres, 6 sols, 8 deniers
-----------------------------------
"Il revient à BEZARD-LEGRAND 6927 livres, 4 sols, 7 deniers
"à me tenir compte à partir du 15 Janvier 1813 à 5 %. Laissé écrit entre nous".
BEZARD-LEGRAND mélange allègrement les Francs et les Livres. Plusieurs autres comptes semblables détails le montant des intérêts dus par Pierre Samuel, avec quelques variantes sur le décompte des sommes dues et l'un d'eux porte en outre la mention : "Il doit de plus pour la glace et marbre et meuble encore 1.292 Frs".
Sur une autre note :
"En terminant nos comptes convenus ce qui est juste : j'abandonne 1.292 Frs 13 en mobilier. Passer acte devant notaire. Plus à prendre après notre décès de l'un et de l'autre 4.000 Frs par donation à titre de préciput et hors part ce qui veut dire en sus de ce qui lui reviendra en sus de Charles ROGER.
La glace et meuble et marbre seront à BEZARD-PORCHE ; qu'il se souvienne du billet qu'il a pris dans mon cabinet en Avril 1812. Je le prouverai. Si je voulais le perdre dans l'opinion. Mais je suis père".
Encore ne suffit-il pas que son fils le vole ; sa femme elle-même prend parti pour son fils : "Avant le mariage de mon fils, ma femme pardevant notaire à mon insu, une note où elle donne à son fils 6.000 Frs à prendre sur ce qu'elle laissera après sa mort. C'est, je crois, un testament qu'elle a fait. Est-il bon, oui ou non ?".
C'est pour mettre fin à ce litige qu'est signé la convention notariée du 02 Mars 1815 par laquelle BEZARD-PORCHER "pour témoigner de son attachement à ses parents" renonce à exiger le paiement des 5.000 Frs promis par son contrat de mariage. Mais BEZARD-LEGRAND estime que c'est lui qui a fait un cadeau à son fils ! En effet il déclare dans une note : "Nous avons donné le 03 Mars 1815 à prendre sur la succession après notre mort la somme de 5.000 Frs, ce qui forme les 20.000 Frs de son contrat de mariage, en vertu de l'acte de PARDESSUS du 03 Mars 1815".
Si Pierre Samuel était un voleur, BEZARD-LEGRAND n'était-il pas, comme le dit son fils "regardant et tirant" ?
Pour préparer cette convention du 02 Mars 1815 (et non pas le 03 Mars) le notaire PARDESSUS avait envoyé une note à BEZARD-LEGRAND : "Monsieur BEZARD pour égaler son fils en raison des sacrifices qu'il a fait pour l'éducation de son petit fils, peut par sa donation donner à son aîné 5.000 Frs à prendre sur sa succession et celle de son épouse, au décès d'eux, à titre de préciput et hors part". Note de BEZARD-LEGRAND : "Hors part, c'est à dire en sus de ce qui lui reviendra dans nos deux successions après notre mort".
Puisqu'il ne s'agissait de payer tout de suite ces 5.000 Frs, BEZARD-LEGRAND a accepté de suivre les conseils du notaire et de signer la convention du 02 Mars 1815 ; mais il reste convaincu que c'est un cadeau immérité qu'il fait à son fils.
Donation à Pierre Samuel BEZARD
A partir de cette date on ne trouve aucun document sur les relations entre BEZARD-LEGRAND et son fils qui ont du redevenir normales sinon cordiales. Il est d'ailleurs devenu le seul héritier, puisque Charles ROGER est décédé le 05 Juillet 1818.
Aussi, par acte de Me GAULTIER de la FERRIERE, notaire à Blois du 12 Septembre 1820 (titre de Périgny), Monsieur et Madame BEZARD-LEGRAND font-ils donation à Pierre Samuel de tous leurs biens immeubles.
Il lui avait déjà vendu par acte du 06 Décembre 1817 : "une chambre tenant à la maison des vendeurs située Grande Rue, alcôve dedans, garnie de boisures croisée au levant et porte à deux vantaux au midi, cour commune devant, ladite chambre joignant de galerne et abritant d'abas sur les vendeurs, de solaire et d'amont sur la cour commune" moyennant le prix de 300 Frs payé comptant à la vue du notaire. BEZARD-PORCHER habitait au n°98 de la Grande Rue (rue Porte Chartraine).
Les biens donnés par l'acte de donation comprenaient :
1°) Le lieu et domaine des Portes Rouges situé dans le bourg du bourg de Périgny composé de maisons de maîtres, jardin, charmilles, bâtiments de fermiers composés entr'autre d'un chambre basse à cheminée servant de fournil, écurie, étable à vaches, bergerie, grenier sur le tout, cave, poulailler, grange à blé et à avoine, basse cour et jardin potager derrière les bâtiments, dans lequel se trouvent complantés plus de 50 arbres fruitiers, et remise ; un hectare 47 ares 35 centiares d'herbage près des bâtiments complantés de peupliers. Terres, près et vignes sur Périgny, Villeromain et Coulommiers ; le tout d'une contenance de 52 hectares 94 ares 82 centiares.
2°) La Closerie de Villejoint, commune de Blois, avec bâtiment de maître et du Closier et 2 hectares 6 ares 42 centiares de vignes.
3°) Une maison aux Basses Granges, lieu-dit la Goislière, comprenant une chambre, fournil, grange, cave et cellier.
4°) Une maison à Blois, n°100 Porte Chartraine (autrefois n°60), comprenant boutique sur la rue, chambre, cour, cuisine, cave ; au premier étage 3 chambres et au deuxième étage également 3 chambres.
5°) Un maison à Blois, n°61 dans le fond du Cul de Sac du Cygnes sur la rue de la Porte Chartraine, habitée alors par Monsieur et Madame BEZARD-LEGRAND, comprenant une chambre basse, cour, cuisine ; deux chambres au premier étage, un petit cabinet, une autre chambre au second étage.
6°) Deux autres maisons, rue Chevremouton à Blois : la première n°23 et 24 comprenant, 4 chambres de plain pied, 4 cabinets, deux chambres hautes, un cabinet, 4 gardes robe et un petit cabinet, une cour basse, une chambre à niveau de cette cour, une écurie, une autre chambre, un hangar, allée ouvrant sur le Cul de Sac qui conduit dans la grande rue, et 3 caves, joignant le Cul de Sac du Cygne d'Amont. La deuxième maison portant le n°22 comprenant 6 chambres, 3 cabinets, écurie, latrines, cave et grenier.
Tous ces immeubles acquis de communauté à l'exception de la propriété de Villejoint qui était propre à BEZARD-LEGRAND.
Les donateurs se réservaient la jouissance de la maison qu'ils habitaient à Blois, de la maison de maître et du jardin des Portes Rouges à Périgny et de toutes les promenades dépendants de ladite ferme et de la récolte des fruits.
Cette donations a été faite à charge par le donataire de rembourser un prêt de 10.000 Frs dû par les donateurs, une rente viagère de 100 Frs due à une demoiselle HADOU, une autre rente viagère de 400 Frs due à un Abbé DEBOURNEUF, prêtre à St-Calais, et en outre, une rente viagère de 1.400 Frs au profit des donateurs, la livraison de 8 hectolitres, 1 décalitre, 3 litres, 3 décilitres plus 4 hectolitres 67 décilitres ou un muid et demi de blé, 4 hectolitres 47 litres 2 décilitres ou 2 poinçons de vin blanc de Sologne et même quantité de vin rouge et Chambon ou Molineuf.
J - Les dernieres annees de Bezard-Legrand
Après avoir ainsi donné ses biens à son fils, BEZARD-LEGRAND continue à vivre à Blois rue Porte Chartraine. Il se rend de temps à autres à Périgny. Il est toujours membre du conseil municipal de Villeromain, car il est convoqué à une réunion de ce conseil en Avril 1820.
Sa domestique Nannette était toujours à son service car le 03 Janvier 1821 il payait 72 Frs à Monsieur RABIGLIA oculiste à Blois pour une opération de son oeil droit.
Par contre, Mademoiselle LECOMTE semble l'avoir quitté dès 1818 car le 06 Mai de cette année, elle écrivait d'Oucques pour remercier Madame BEZARD-LEGRAND de son aimable invitation.
Le 29 Juin 1820 il loue à Madame DE LA SAUSSAYE, une chambre garnie dans une maison 19, rue Chemonton à Blois pour 12 Frs par mois, et un Monsieur REMEON chirurgien de St-Louis et de St-Lazare, à l'hôpital Troussay lui écrit le 04 Juillet 1820 qu'il ne peut pas répondre du paiement de ce loyer et que la fortune de Madame DE LA SAUSSAYE ne lui permettra pas de payer ce loyer attendu les malheurs qui lui sont arrivés.
Il ne semble pas que BEZARD-LEGRAND est entretenu des relations suivies avec les membres de sa famille, notamment avec ses soeurs AMIOT et LEROUX ; du moins ne trouve t-on aucune correspondance avec elles.
Toutefois il écrit le 08 Octobre 1818 à Me ROMURE-GARDINON, notaire à "Chatorneaux" (Chateaurenault) :
"Mon ancien ami,
Les circonstances malheureuses de la Révolution ne nous ont jamais divisées. C'est un motif de plus de nous qualifier du titre ci-dessous.
A un ami, peut-on ouvrir son coeur ? Madame AUBOIS (mère de la femme de son neveu LEROUX) a écrit à mon neveu, son malheureux gendre ; ladite lettre est tombée entre les mains de sa mère qui est ma soeur. Madame AUBOIS marque à ce malheureux LEROUX, mon neveu, que sa femme était à Nancy, qu'elle en est sûre, ayant des nouvelles certaines. Cette dame a eu l'inconséquence de lui marquer que sa fille s'était trouvée à Nancy à un bal que Monsieur le Préfet a donné et qu'elle avait été bien vue (je m'interdis toute réfexion !).
Or, mon ami, nous avons su respecter la vertu et mépriser le vice.
Revenons à ce malheureux LEROUX qui vient d'être frappé aujourd'hui de la cruelle séparation de sa pauvre mère qui vient d'en mourir de chagrin ; elle est ma soeur, O douleur trop amère.
Il faut mon ami, oublier ce qui s'est passé en mon absence, je n'ai point participé au contrat ni au mariage, je suis bien sur d'être accueilli par toi, et mon ancien huissier Me BARIEUX.
Il faut vous entendre avec la famille des deux êtres qui seront toujours malheureux, étant séparés l'un de l'autre. Qu'elle fasse un retour sincère sur elle-même, et, se jetant aux pieds de son légitime mari, je crois qu'il lui pardonnera ; toi avec Me BARIEUX, et moi présent, qui suis ton oncle.
Mon ami tu es parent et si tu partages mes sentiments, et que la mère ne participe en rien de son éloignement. Qu'elle se réunisse au sentiment d'honneur de la réunité des deux époux et oublie le passé et vive en bonne intelligence. La religion nous le commande.
J'attends de toi une réponse positive et crois moi pour la vie. Ton sincère ami, ton dévoué serviteur".
On ignore si ces sages objurgations ont été suivies d'effet.
Nous n'avons d'ailleurs plus aucune lettre ni document quelconque permettant de savoir ce que sont devenus les époux BEZARD-LEGRAND depuis 1821 jusqu'à leur décès.
Peut-être leur vieillesse ne fut pas très heureuse ainsi que semblerait en témoigner une lettre écrite par l'Abbé DORE, prêtre desservant de Périgny et Villeromain, le 12 Août 1821 à Madame BEZARD-LEGRAND :
"Permettez que votre consolation et la mienne je m'entretienne un moment avec vous. Etant l'un et l'autre à la veille de consommer notre dernier sacrifice, marchant ensemble par la voix des souffrances, la seule que nous ait tracé notre divin modèle pour arriver à la véritable vie, gardons nous de nous décourager, soyons avec notre chef si nous voulons régner avec lui ; allons par la croix nous reposer sur le Tabor. C'est un article de notre fois que notre père Céleste ne nous reconnaîtra pour être à lui qu'autant qu'il nous trouvera conforme à l'image de son fils souffrant. Voilà le type qu'au sommet de la montagne du calvaire il nous commande à tous de nous modeler, ce s'étant fait homme que pour nous donner dans sa personne l'exemple des vertus qu'il nous fallait pratiquer pour mériter le Ciel" etc..... "Voyons sans regret périr pour quelques jours cette maison de boue à laquelle nous avons peut être été trop attachée, ce corps, cette chaire si souvent rebelle que nous n'avons, hélas! que trop flattée"..... "Après tout, mourir pour un vrai Chrétien, n'est-ce pas commencer à vivre"..... "Mourons, mourons avec joie puisque ce n'est que par cette voie que nous pourrons nous promettre de jouir, de contempler à loisir cette beauté toujours ancienne, toujours nouvelle qui fait la félicité des habitants du ciel".
Il y a trois pages d'écriture fine et serrée sur ce ton !
Cette lettre était écrite à Madame BEZARD-LEGRAND en raison de la grave maladie dont elle était atteinte car elle décéda trois semaines plus tard à Blois le Samedi 08 Septembre 1821 à 8 heures du matin, ainsi qu'il résulte de la facture délivrée par le vicaire de l'église St-Nicolas le 09 Septembre 1822, pour "messe basse d'anniversaire pour Feue Dame Françoise Louise Brigitte LEGRAND, épouse du sieur Pierre BEZARD".
Ce décès est également précisé par une note de Pierre BEZARD-LEGRAND dans son livre de comptes concernant Périgny à la page 47 : "Ma respectable femme est morte à Blois le 08 Septembre 1821 à 8 heures du matin, le Samedi après trois mois de maladie ; enterrée le 9, Dimanche".
Son mari lui a survécu 4 ans sans qu'il soit possible d'apporter aucune précision sur ce que fut sa vie durant son veuvage.
A la page 55 de son livre de comptes concernant Périgny, il note : "J'ai arrivé à Périgny de Blois le 18 Avril 1824. A observer que je ne pouvais ni lire ni écrire pendant un mois".
Ce livre de comptes se termine à la date du 18 Août 1825 ; les dernières pages sont écrites d'une écriture tremblotante.
Il demeurait à Blois, continuait-il à venir de temps à autres à Périgny dont il s'était réservé les promenades aux termes de l'acte de donation faite à son fils un an avant la mort de sa femme ? C'est peut être pendant ce temps qu'il classa soigneusement ses papiers. On image combien ces quatre années ont du lui être pénibles à la fin d'une vie brillante et agitée. Il avait perdu tous les membres de sa famille, sauf son fils Pierre Samuel qui s'était démis de tous ses biens en sa faveur "Et nunc Dimittis.....".
On ignore comment il est mort. On sait seulement qu'il est décédé à Blois, rue Porte Chartraine, le 20 Octobre 1825 et qu'il a été inhumé le lendemain dans le cimetière St-Nicolas à l'âge de 71 ans.
Grâce à l'abondance extraordinaire des documents laissés par Pierre BEZARD-LEGRAND il a été possible de le découvrir et de la faire revivre.
Son tempérament autoritaire, son sens des affaires commerciales, l'adresse avec laquelle il a su s'adapter aux événements politiques qu'il a traversé en font le grand homme de la famille.
Son écriture volontaire, appuyée, mais qui suit difficilement sa pensée, et difficile à déchiffrer et son orthographe et des plus fantaisiste ; il conservait les brouillons de ses lettres et les surchargeait d'annotations et de chiffres, les classant et les épinglant méthodiquement.
Il avait la passion des comptes. Le tableau qu'il a peint lui même (dans un costume milieu du XVIIIe siècle) symbolise d'ailleurs cette passion, puisqu'il s'est peint en train de tenir un livre de comptes. Sur une table à côté de lui, un compas, un fusain, et des crayons rappellent son goût pour le dessin. Ce tableau porte au bas la date "1747" ; il l'avait volontairement antidaté pour une raison inconnue (précision fournie par Monsieur Fernand LEMAIGNEN).
Malgré son âpreté au gain, et ses spéculations qui ne furent peut être pas toujours très honnête et lui valurent notamment son procès d'usure, il semble avoir toujours eu le désir de rendre service à ses amis, surtout si cela ne lui coûtait rien.
Quels qu'aient pu être ses défauts, on ne peut s'empêcher de penser que, malgré sa réussite financière, c'est un homme qui a profondément souffert dans ses affections les plus chères, puisqu'après avoir perdu trois enfants, son petit fils et sa femme il ne lui restait plus que son fils Pierre Samuel qui ne semble pas lui avoir donné de bien grandes satisfactions.
Enfin sa biographie et ce n'est pas son moindre intérêt, permet de suivre les événements historiques au milieu desquels il a vécu.
C'est incontestablement le grand ancêtre de la famille à qui nous devons la propriété de Périgny.
IV - PIERRE SAMUEL BEZARD-PORCHER
ET LEON LEMAIGNEN-BEZARD